« Journey Home », de la compagnie Les SlovaKs (critique de Margot Boisier), Le Maillon-Wacken à Strasbourg

27.12.2011

Quand l’Histoire rencontre les histoires

Entre tradition et expérimentation, les six artistes de la compagnie Les SlovaKs (cinq danseurs, un musicien) proposent un spectacle qui regroupe plusieurs influences, et offrent ainsi à nos yeux une fiction documentaire dansée tout à fait épatante.

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« Journey Home » | © Herman Sorgeloos

Un spectacle de danse sans femmes. Étrange. Dans cet univers exclusivement masculin se côtoient une infinité de formes de danses différentes. Le kaléidoscope qui nous est ainsi proposé n’a de cesse de nous surprendre. Chaque danse est réalisée avec la volonté de transmettre simultanément la force d’une émotion ponctuelle et la beauté d’un patrimoine culturel ancré dans le temps. L’Histoire et les histoires se télescopent et s’entremêlent dans cette mise en scène particulièrement originale.

Les danseurs nous transportent entre registre traditionnel et recherche d’une identité esthétique contemporaine. De la danse, donc, mais aussi de la musique, et du chant. Le musicien est installé en fond de scène sur une modeste chaise, équipé d’un bozuk (instrument balkanique, sorte de mandoline, aussi appelé cistre en Europe), d’un violon, d’une pédale d’effets et d’un loopeur. Il enregistre puis rediffuse des mélodies successives qui viennent se superposer et créer des morceaux riches, variés et énergiques. Les danseurs bougent avec ou contre cette musique, et parfois en silence aussi. Et ils chantent. Surprenante puissance de la voix qui sort soudainement de ces corps dansants. Un solo, un chant choral. Avec la richesse de leurs compétences combinées, les six interprètes s’inventent une théâtralité polymorphe qui nous emmène bien loin des sentiers battus. Leur vibration est saisissante.

Une théâtralité à s’approprier

Le spectacle s’articule en six épisodes : six situations narratives différentes. Les danseurs sont parfois seuls, souvent à deux, parfois tous ensemble pour nous faire vivre ces morceaux de vie. Regard et gestuelle illustrative ou imitation : ils nous racontent quelque chose, c’est sûr. Ce qu’ils nous racontent est moins évident. Chacun s’approprie son tableau, et les significations sont aussi nombreuses que les spectateurs. C’est à nous d’utiliser nos propres repères pour construire la cohérence de l’histoire qui est racontée.

Quoi qu’on se raconte, on retient en tout cas la technique absolument impressionnante de ces cinq danseurs, plus musclés et plus agiles les uns que les autres : ils maintiennent un rythme soutenu durant l’intégralité du spectacle, se relayant dans une virtuosité sportive partagée.

Les garçons travaillent avec le sol, avec la résistance de l’air, qui semble être tantôt divisible à l’infini, tantôt résistant comme une masse liquide. Ils alternent gestuelle lente et mesurée, avec des résonances du côté des arts martiaux, contorsions dynamiques façon hip-hop, et mouvements frénétiques, répétitifs. Les grands portent les petits, les petits portent les grands, serrés l’un contre l’autre, dans des positions improbables, passant du registre du combat à celui de l’érotisme selon les déclinaisons les plus étonnantes.

Le spectacle, qui résulte de la rencontre de cette accumulation d’influences et des franches personnalités des six artistes, nous séduit par l’ampleur de sa créativité et la subtile poétique qui le traverse. ¶

Margot Boisier

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com

Journey Home, de la compagnie Les SlovaKs

Compagnie Les SlovaKs • 63-65, rue Vandeweyer • B-1030 Bruxelles

+32 (0) 478 96 89 97

Site : http://lesslovaks.com

De et avec : Milan Herich, Anton Lachky, Milan Tomasik, Peter Jasko, Martin Kilvady

Composition et musique en direct : Simon Thierrée

Scénographie : Les SlovaKs Dance Collective, Joris De Bolle

Lumière : Joris De Bolle

Costumes : Mat Voorter, Pepa Martinez