« Kiss Kiss », de Karelle Prugnaud (critique), L’Élysée à Lyon

25.12.2009

Brûlant baiser

Par Élise Ternat

Les Trois Coups.com

C’est entre deux résidences aux Nouvelles Subsistances que Karelle Prugnaud et la Cie L’Envers du décor s’invitent au théâtre L’Élysée pour y présenter la première étape d’un travail nommé « Kiss Kiss ». Cette création au caractère hybride mêle vidéo, lecture de textes d’Eugène Durif et mise en scène, avec la volonté de faire naître la radicalité dans l’interaction de ces trois domaines. Cette première étape d’une création qui aura lieu en automne 2010 au Théâtre du Cloître à Bellac s’annonce déjà très alléchante.

Il y a tout d’abord cet écran massif où l’on découvre l’image inversée d’un individu grimé de blanc de la tête au pied, sorte de clown contorsionniste monstrueux, une boule de S.M. dans la bouche, manipulant à la perfection le Yo-Yo, dans un geste hypnotique de va-et-vient. L’aspect visuel ici présenté semble donner le ton d’un univers « gothico-S.M. », rappelant à certains égards la série des films Cremaster de Matthew Barney. Pendant ce temps, deux, trois… cinq protagonistes au total, vêtus d’imperméables et de chapeaux, débarquent sur le plateau, déposant au sol avec violence et précision des sacs de terre. Deux d’entre eux, dos au public, s’apprêtent à entamer la lecture. Ce premier moment annonce déjà les éléments à venir d’une mise en scène efficace et ritualisée.

La vidéo plonge le public dans les méandres amoureux d’un couple, tissu intime fait d’incompréhensions réciproques et de désirs manqués, manifestés par les voix et présences de Karelle Prugnaud et Tito Gonzales, qui assurent un doublage en direct. Le couple est ici enfermé dans un huis clos sourd, un véritable îlot de fantasmes, tandis que le texte signé Eugène Durif, à l’érotisme cru et touchant de justesse, apporte une certaine poésie. La violence souvent pathétique de ces morceaux de récit confère à l’ensemble une certaine radicalité. La volonté de faire coexister sur un même niveau mise en scène, vidéo et doublage en direct est ici tout à fait pertinente puisque les divers éléments imbriqués les uns dans les autres, qu’ils soient sonores avec le son mixé par Bob X, musicaux avec des emprunts à Ennio Morricone, textuels ou encore visuels, gagnent mutuellement de l’épaisseur.

kiss-kiss

« Kiss Kiss » | © D.R.

L’univers, quant à lui, est ultra-esthétisé. L’écran fonctionne tel un monde rêvé par rapport auquel le réel se situe dans un registre plus bestial. Dans cette réalité, les humains, véritables porcs, sont affublés d’un groin et semblent se complaire dans une jouissance fornicatrice, en se vautrant dans la boue. À l’écran, le fantasme atteint son paroxysme dans la scène du festin orgiaque. Tout au long du film, les tableaux qui apparaissent successivement au public sont plutôt séduisants. On découvre pêle-mêle des ailes d’ange maculées de sang, une danseuse exécutant des pas en écrasant des œufs à demi éclos, ou encore des scènes de bondage dignes du photographe Nobuyoshi Araki. Cet univers halluciné semble puiser ses influences dans une large palette visuelle et sonore, allant par exemple des films de Jean-Luc Godard à ceux de David Lynch, tout en conservant une personnalité plastiquement puissante.

On retiendra de Kiss Kiss son univers sulfureux, sa mise en scène forte, qui affirme sa radicalité sans tomber dans le cliché. Le rythme est vif et soutenu. On regrette simplement la courte durée de ce travail qui nous rappelle que nous ne sommes ici qu’à la première étape d’une création à venir. Celle-ci s’annonce tout à fait prometteuse. ¶

Élise Ternat

Kiss Kiss, de Karelle Prugnaud

Compagnie L’Envers du décor

cie_enversdudecor@yahoo.fr

Scénario : Eugène Durif

Mise en scène : Karelle Prugnaud

Avec : Xavier Berlioz, Karelle Prugnaud, Bob X

Film : Karelle Prugnaud et Tito Gonzalez, avec David Kaménos et Anna Gorynsztejn

Univers sonore : Bob X et Tito Gonzalez

Lumière : Frédéric Blanc, assisté de Pierrick Corbaz

Son : Samuel Mazzoti

Costumes : Nina Benslimane