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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« La Belle et la Bête », de Pierre-Yves Lemieux (critique), Théâtre national de Chaillot à Paris

« La Belle et la Bête » : conte glaçant sur papier glacé


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


La Cie Lemieux Pilon 4 Art, revisite le conte de « la Belle et la Bête ». Sous le patronage de Cocteau, elle nous en offre une version cruelle, sensuelle et onirique. Malheureusement, le texte ne vaut pas ici les somptueuses images, et le conte n’évite pas certains clichés.

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« la Belle et la Bête » | © Victor Pilon

Mais non, le conte de la Belle et la Bête n’est pas l’œuvre des studios Disney ! De Mme Leprince de Beaumont alors ? Encore raté ! La première version française du conte est signée… Mme de Villeneuve. Dans cette version, l’histoire de la belle et la bête se mêle à celle d’une vieille fée concupiscente, tantôt cruelle tantôt bienfaisante. Le désir se nourrit de la peur, la beauté n’est que l’envers de la monstruosité. Enfin, la belle a des rêves érotiques. Quant à la bête, elle demande chaque soir à son hôte : « Voulez-vous coucher avec moi ? ». C’est ce conte troublant et magnifiquement écrit (1) qui inspire le nouveau spectacle de Michel Lemieux et Victor Pilon.

Chez ces artistes multidisciplinaires, l’œuvre tient autant du cinéma que du théâtre : ce sont des virtuoses de l’image. C’est pourquoi on ressent aussi l’influence du film de Cocteau dans les splendides projections qu’ils proposent. Les deux artistes avaient d’ailleurs rendu hommage au grand poète surréaliste dans leur Orféo. La demeure de la bête, avec son portail gothique, ses ronces qui s’enchevêtrent jusque dans la salle comme pour saisir les spectateurs, est digne de Cocteau. De temps à autre, dans un motif, on croirait voir un clin d’œil à son film.

« Les bêtes, comme les rêves et les brouillards, appartiennent d’abord à l’obscur » (2)

Nous voici embarqués dans un conte d’esthètes pour adultes (de bien plus de 10 ans !). Les artistes eux-mêmes l’affirment. Au programme : pamoisons érotiques, discours sadiques. Les rêves sensuels se mêlent au cauchemar de l’enfance martyrisée. La réalité de la prostitution et du travail des enfants, les violences d’aujourd’hui sont évoquées par une étrange Dame, à la fois conteuse et personnage inquiétant. Car Yves Lemieux a choisi d’actualiser le conte. Il en fait une réflexion sur le mirage de la communication virtuelle, les effets pervers d’un individualisme narcissique. Dans sa réécriture, la Belle est une artiste contemporaine qui aime à peindre des œuvres endeuillées, son père prend les traits d’un marchand d’art, la Bête d’un acheteur.

C’est un des points, selon nous, où le bât blesse. Non que l’idée de l’actualisation soit idiote, mais plutôt maladroitement concrétisée. Elle se mêle en particulier à un verbiage sur l’horrible dans l’art, et sur l’art lui-même. La pièce présente ainsi un lourd prologue sous forme de commentaire du Cauchemar de Füssli. Certes, ce tableau fait rêver, certes, il fait comme préfigurer le conte, certes, il constitue une référence des surréalistes, mais le voir aurait suffi à notre émoi. Quant aux discussions entre la Belle et sa sœur ou la Bête sur ses productions, elles sont trop expédiées pour ne pas prêter au rire.

Perdus dans le château !

Quant à l’écriture de plateau cette fois, dominée par les images, elle sacrifie les comédiens. Ceux-ci paraissent en effet perdus dans un beau livre en papier glacé. On a sans cesse l’impression qu’ils crient, que leurs gestes sont ou trop larges ou trop petits. Seule la Dame, qui bénéficie d’une position privilégiée en bord plateau, conserve une présence, d’ailleurs effrayante. De fait, son statut de conteuse lui donne une épaisseur : elle échappe à la fiction qu’elle révèle. Ajoutons que les vidéos magnifiques sont parfois attendues.

Le spectacle de la Cie Lemieux Pilon 4 Art présente donc des instants de beauté convulsive et des images de rêves, comme le galop du Magnifique (3). Il brouille nos miroirs en nous laissant face aux monstres qui sommeillent en chacun de nous. Mais sa narration embrouillée, ses partis pris d’écriture peuvent laisser sceptiques. Cela laisse le champ ouvert à d’autres rêves, à de nouvelles versions de la Belle et la Bête… 

Laura Plas


1. La Belle et la Bête, Mme de Villeneuve, « Folio », 2010.

2. Citation de l’œuvre de Mme de Villeneuve, auparavant citée.

3. Il s’agit du cheval qui mène la Belle dans le conte, et qui dans le spectacle est une incarnation de la Bête.


La Belle et la Bête, de Pierre-Yves Lemieux, d’après le conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont

Cie Lemieux Pilon 4 Art • 4123, rue Drolet • Montréal

Site : www.4dart.com

Courriel : info@4dart.com

Création et mise en scène : Michel Lemieux et Victor Pilon

Création et texte : Pierre-Yves Lemieux

Avec : Anne-Marie Cadieux, Bénédicte Décary, Peter James, Louise Laprade, Vincent Leclerc et le cheval Champagne

Assistante à la mise en scène et régie : Isabelle Painchaud

Décor, costumes, accessoires : Anne Séguin-Poirier

Musique originale : Michel Smith

Conception visuelle : Michel Lemieux, Victor Pilon

Coconception visuelle : Mathieu Saint-Arnaud

Lumières : Alain Lortie

Théâtre national de Chaillot • 1, place du Trocadéro • 751016 Paris

Métro : ligne 6, arrêt Trocadéro

Bus : lignes 22, 30, 32, 63, 72, 82

Site du théâtre : www.theatre-chaillot.fr

Réservations : 01 53 65 30 00

Du jeudi 21 février au lundi 1er mars 2013, du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche 24 février à 15 h 30, relâche le lundi

Durée : 1 h 30

Hors abonnement : 33 € | 25 € | 18€

Tarifs abonnés : 23 € | 20 € | 8 €

Moins de 26 ans : 11 € | 13 € (hors abonnement) et 11 € | 10 € (abonnement trois spectacles et plus)

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