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Par Les Trois Coups
Corps déchiré d’un pasteur, corps exalté de l’acteur
Par Laura Plas
Les Trois Coups.com
Étrange coïncidence : alors qu’au Théâtre de la Ville, la dernière création de Romeo Castellucci attire les foudres de catholiques extrémistes, la Manufacture des Abbesses accueille dans le même temps « la Confession du pasteur Burg », adaptation du roman de Jacques Chessex, qui en son temps fit scandale chez les protestants puritains. Ce n’est pourtant pas ce texte qui rend le spectacle intéressant, selon nous, mais plutôt la radicalité de la mise en scène et la puissance de l’interprétation.
« la Confession du pasteur Burg » | © D.R.
La Confession du pasteur Burg fut à la fois auréolée de gloire littéraire et conspuée. Motif ? Le portrait prétendument infâmant d’un représentant du clergé. Pourtant, on peine aujourd’hui à imaginer ce qui a pu choquer, tout au moins dans l’adaptation qu’en propose Didier Nkebereza. Voici un pasteur exalté par des idées de pureté qui se propose d’être le bras de Dieu en perdant une innocente jeune fille : Geneviève. Certes, ses intentions ne sont pas très pures, pas très chrétiennes. Ajoutons que la leçon de la pièce est somme toute modérée, presque convenue. Par ailleurs, l’on a vu bien plus transgressif à l’écran comme sur les planches, et il ne s’agit là de toute façon que d’une confession particulière. Burg est un cas isolé. Suspect de déséquilibre et peu sympathique, il ne saurait représenter son Église, qui ne cesse de le rappeler à la modération. Scandale au-delà des Alpes, pas en deçà ?
C’est qu’en fait une partie de la portée de l’œuvre nous échappe. De même, on ne fait que deviner le travail d’adaptation qu’a fourni Didier Nkebereza pour transformer le roman en pièce. Travail important pourtant puisque seuls 30 % du récit ont été conservés, travail reconnu par l’auteur et assez subtil pour respecter l’esprit du texte, tout en prenant des libertés avec sa lettre. Quelques choix sont cependant patents. D’abord, il y a ce paradoxe d’une confession qui nous est faite au présent – lorsqu’au contraire, pour un instant seulement, apaisé et lyrique, le présent laisse place au passé, c’est assez beau. Parole brute du présent donc, pas encore affadie par le passage des heures : ce que le pasteur endure dans sa chair, la parole l’exprime : rage, passion, déchirure ou révélation.
C’est d’ailleurs à l’expressionnisme que l’on songe dès les premiers instants : la lumière seule habille le plateau. Violente, elle accentue les contrastes, ménage des clairs-obscurs, dévoile les tourments. Elle permet aussi à Frédéric Landenberg de s’abîmer dans l’ombre, ou de surgir soudain. Surtout, le jeu de ce comédien, enfiévré, physique à l’extrême, rappelle les figures de vampires, de tentateurs ou d’hommes déchus qu’affectionne l’expressionnisme. L’acteur se recroqueville, transforme ses mains en serres, puis se redresse, effrayant. Son regard transperce les rangs de spectateurs. C’est presque comme si la parole était dérisoire, comme si tout se jouait à un autre niveau : dans les veines et sous la peau, c’est-à-dire dans ce corps avec lequel le pasteur entretient justement un rapport douloureux.
Cris et chuchotements
Deuxième choix évident et radical : celui de la discontinuité, sous la forme de l’ellipse et des ruptures de ton. Vous étiez il y a une minute encore les ouailles qu’invective le pasteur, mais voici que Burg semble vous parler maintenant en confidence. Bientôt, votre situation change encore : vous retrouvez votre place confortable, de l’autre côté du quatrième mur. Alors, vous assistez à la mascarade que le pasteur sert à son monde pour le tromper. Vous êtes tranquilles, certes, mais pour combien de temps ? Pareillement, vous étiez hier, vous voici un mois plus tard. Geneviève était en vie, la voici dans une boîte qui descend sous terre : une phrase a suffi ou une ellipse… Rien ne reste, tout s’entrechoque : cris et chuchotements, hargne et halètement, bonheur et chute. Et, à nouveau, le jeu de l’acteur s’accorde à ce rythme saccadé. Ainsi, Frédéric Landenberg se retourne, se dérobe : ellipse. Il se redresse, ou se retrouve à terre : rupture de l’histoire. Sa voix caresse ou vocifère. Rupture de ton. C’est brutal, parfois pas agréable. Sans concessions.
C’est pourquoi on ne peut croire à la conversion du pasteur, cette surprise merveilleuse de l’amour. Son mouvement lent et solaire ne s’accorde pas aux chocs et aux soubresauts. Alors que le pasteur semble avoir trouvé la paix, et que le suc de la vie coule dans les mots, au sein même de la forêt qui abrite l’amour de Burg et de Geneviève, on entend déjà la cognée du malheur. Burg conclut que l’amour humain ne fait pas le poids face à un Dieu jaloux. On dirait plutôt que le couple ne tient pas face à la communauté. Dans le Songe d’une nuit d’été, de Bergman, le « petit frère » de Burg, Friedrich comprend d’ailleurs qu’il n’y a d’autre issue que la fuite avec son aimée. Sinon la comédie vire au drame, peut-être à la tragédie. La loi du père (sur terre comme au ciel) est inexorable.
Radicale et sans ménagement pour le spectateur, telle est donc la pièce. On étoufferait peut-être sans la figure radieuse de Geneviève, ou celles grotesques mais sympathiques des paroissiens campés avec talent par le comédien. Et c’est bien en définitive pour la prestation de Frédéric Landenberg qu’on ira voir le spectacle. Si le propos est parfois un peu court, l’intrigue, prévisible, on est impressionné par la puissance et la richesse de l’interprétation. Didier Nkebereza a bien eu raison de parier dessus. ¶
Laura Plas
La Confession du pasteur Burg, de Jacques Chessex
Éditions Christian Bourgeois
Mise en scène : Didier Nkebereza
Avec : Frédéric Landenberg
La Manufacture des Abbesses • 7, rue Véron • 75018 Paris
Site du théâtre : www.manufacturedesabesses.com
Réservations : 01 42 33 42 03
Du 11 octobre 2011 au 28 janvier 2012 à 19 heures du mardi au samedi
Durée : 1 h 5
24 € | 13 €
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