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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« La Foule », d’après « Dans la foule », de Laurent Mauvignier (critique), Conservatoire national supérieur d’art dramatique à Paris

Emportés par la foule


Par Marion Souliman

Les Trois Coups.com


Denis Podalydès et les brillants élèves de troisième année du C.N.S.A.D. (Conservatoire national supérieur d’art dramatique) nous proposent ici de nous replonger dans le drame du tristement célèbre stade du Heysel. Le sociétaire de la Comédie-Française adapte le texte bouleversant de Laurent Mauvignier, « Dans la foule ». Il nous offre un spectacle à l’esthétique forte et au propos intense. Une plongée réussie au cœur d’une foule monstrueusement humaine.

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« la Foule » | © Anne Gayan

Une fois n’est pas coutume, le C.N.S.A.D. ouvre ses portes et nous présente le travail de ses derniers apprentis comédiens. Apprentis comédiens qui n’ont que le bénéfice de l’âge à envier à leurs pairs et aînés tant tout chez eux témoigne déjà d’une grande maîtrise et d’un désir ardent de brûler les planches. Avant de laisser la promotion 2012 voler de ses propres ailes en juin prochain, le Conservatoire se fait la vitrine de ces talents en devenir. Il y a de la beauté chez ces jeunes comédiens et le texte de Laurent Mauvignier, dans la mise en scène de Denis Podalydès, la révèle avec force.

Le sociétaire de la Comédie-Française adapte et met en scène ici l’un des romans les plus bouleversants de l’auteur : Dans la foule. Denis Podalydès nous propose donc de revenir sur le drame du Heysel, le tristement célèbre stade bruxellois qui accueilli en 1985 la finale de la Coupe d’Europe, prétendu « match du siècle » qui faisait s’affronter la Juve et Liverpool. Ce stade devient alors le théâtre d’un drame humain sans précédent : avant le début du match, dans cette foule de supporters venus de toute l’Europe, un groupe d’Anglais charge dans la tribune italienne. Un mouvement de panique naît, la tribune s’effondre et trente-neuf personnes meurent écrasées alors que le coup d’envoi du match est donné.

Ce qui intéresse ici Laurent Mauvignier, ce n’est pas l’évènement en tant que tel, mais bien davantage les êtres qui y ont pris part : il s’attache à éclairer cette foule, à l’individualiser pour l’humaniser. Denis Podalydès a parfaitement saisi la volonté de l’auteur et parvient à restituer, souvent avec une grande justesse, la vie intérieure de quelques-uns des anonymes qui composèrent cette foule monstrueuse.

Raconter et se raconter

L’adaptation et la mise en scène que réalise Denis Podalydès sont denses et d’une esthétique très contemporaine à l’instar de l’écriture de Laurent Mauvignier. La mise en scène reste donc au plus près du texte, et ce qui nous est donné à voir sur le plateau n’est pas une description des faits au présent, mais davantage une narration intérieure de ce qui s’est passé. Il s’agit donc ici d’écouter, de voir et de ressentir une histoire qui se raconte plutôt que de vivre, le temps d’une représentation, les évènements comme si nous y étions.

Le livre et la narration sont ainsi partout présents dans la mise en scène de Denis Podalydès. D’abord, le livre est là physiquement : sur un plateau noir occupé par quelques chaises, l’ouvrage de Laurent Mauvignier est dispersé un peu partout. Puis les comédiens entrent en jeu, et le livre est pris en mains, au sens propre du terme, par ces derniers : passant de mains en mains au gré des mouvements de la foule, ce livre s’ouvre sous nos yeux. Plus tard, une page de l’ouvrage est projetée sur le mur de fond de scène, et Denis Podalydès nous propose d’en lire, là encore au sens propre du terme, quelques extraits.

Le metteur en scène joue finement sur cette question des sens propres et figurés, car ce qui s’opère sur le plateau, au-delà de la prise en main physique du livre, c’est la prise en main de la narration par les comédiens. Si ceux-ci sont d’abord des voix, leurs corps aussi deviennent peu à peu parole. Ainsi, les voix des acteurs jouent avec l’écriture de Laurent Mauvignier : ces voix se répètent, s’interrompent, cherchent et doutent, témoignant d’un réel fuyant et de sa difficile narration. Et les corps des comédiens ne nous racontent pas autre chose : eux aussi s’entrechoquent, avancent, reculent, errent, se perdent enfin et se trouvent aussi dans des chorégraphies parfaitement désordonnées. Les voix et la narration deviennent donc matière sur le plateau pour raconter l’horreur de cette violence et nous faire ressentir le mouvement de cette foule, conglomérat de désirs frustrés, de vies moroses galvanisées par l’alcool et l’évènement.

Emportés par la foule

La foule nous emporte, s’emporte et, dans son brouhaha, quelques voix s’élèvent, voix que démultiplie Denis Podalydès. D’abord, c’est la voix de Geoff qui se scinde en trois. Il en va de même pour celles de Gabriel et de Tana, incarnée par six comédiennes différentes – nous soulignerons ici l’incarnation toute particulière de Charlotte Van Bervesselès. Au-delà du but de l’exercice qui vise à présenter chacun des comédiens, ces dédoublements sont là pour témoigner encore à la fois de la masse et de l’individualité de la foule.

Bien entendu, certains passages sont moins lisibles, d’autres moins réussis : certaines scènes des Tana sont trop longues, et la scène de l’hôpital est un peu simpliste, voire grossière. Néanmoins, le travail fourni ici est une très belle recherche sur ce que parler dans la foule veut dire : comment se faire entendre, comment dire et devenir « je » au milieu d’un « nous » massif, violent parfois et indéfinissable souvent. Un spectacle qui offre donc un questionnement profond et sensible sur l’individu dans le groupe. 

Marion Souliman


La Foule, d’après Dans la foule de Laurent Mauvignier

Editions de Minuit, 2006

Adaptation de Denis Podalydès

Mise en scène : Denis Podalydès

Collaboration artistique : Gabriel Dufay

Avec : Yacine Ait Benhassi, Julien Campani, Hélène Chevallier, Bénédicte Choisnet, William Edimo, Romain Francisco, Jean-Christophe Legendre, Sylvain Levitte, Leslie Menu, Yasmine Nadifi, Clara Noël, Lena Paugam, Juliette Savary, Bertrand Usclat, Charlotte Van Bervesselès

Création costumes : Valérie Montagu

Création lumière : Jérôme Delporte

Théâtre du C.N.S.A.D. • 2 bis, rue du Conservatoire • 75009 Paris

Site du théâtre : www.cnsad.fr

Réservations : 01 42 46 12 91

Du 15 au 17 décembre 2011 à 19 h 30

Durée : 2 h 30

Entrée libre

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