Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Une naïve qui fait tomber
les masques !
Par Aline Bartoli
Les Trois Coups.com
C’est un véritable petit bijou d’écriture et d’interprétation que s’est offert le Funambule de Montmartre, dont l’intérêt marqué pour des pièces tant éclectiques qu’esthétiques ne nous aura pas échappé. Présente au dernier Off d’Avignon, « la Naïve » a été écrite par Fabio Marra, jeune auteur contemporain italien, et est montée par la compagnie Carrozzone Teatro, dont il fait lui-même partie. Tragi-comédie grinçante sur le thème de la famille, « la Naïve » est un mélange des genres osé et réussi qui se déguste avec délectation.
« la Naïve » | © Laurent Rodes
L’histoire se déroule dans un appartement de la ville de Naples, dans un contexte de chômage et de misère sociale. Anna, petite couturière, porte à bout de bras une famille totalement ingrate qui lui fait payer le prix fort de sa naïveté. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Son mari, Federico, chômeur assidu, la trompe allègrement. Son frère et son épouse profitent de son hospitalité pour se faire héberger à l’œil, tout comme son propre père. Pour couronner le tout, sa soi-disant meilleure amie ne loupe pas une occasion de la mettre en garde contre Federico, quitte à jouer la parfaite hypocrite, pour ne pas dire la garce ! Pendant que les uns lui mentent et les autres profitent de sa gentillesse, Anna coud pour joindre les deux bouts, le sourire aux lèvres.
Entre la naïveté et la bêtise, il pourrait n’y avoir qu’un pas, mais Anna n’est pas dupe et découvre très vite la trahison de son mari. À ce moment-là, elle se sait enceinte, elle l’aime toujours éperdument et ne veut pas voir souffrir ses proches. Elle va alors commettre l’impensable, compte tenu de la situation, mais aussi l’irréparable…
Quand le rire vient au secours du drame
Ici, tout est étroit et petit, mesquin et sans profondeur : les perspectives d’avenir, la consistance du repas du soir, les liens familiaux et, le plus criant, l’espace vital. La promiscuité fait rage dans cette famille, qui est obligée de s’entasser sur elle-même pour survivre, et la petite scène du Funambule se prête parfaitement au jeu. On couche le grand-père dans la commode du salon qui se transforme en lit de fortune la nuit venue, c’est dire !
L’écriture est juste, bien ficelée, enlevée par une mise en scène rythmée et efficace. On sait où on va et on y va bon train. À la fois cruels et attachants, les personnages burlesques passent du rire aux larmes avec une cohérence et une limpidité agréablement surprenantes. S’exprimant souvent face aux spectateurs, c’est un peu comme si la commedia dell’arte avait tombé les masques : les expressions du visage, les gestes sont poussés à l’extrême, si bien que le spectacle pourrait être muet qu’on en comprendrait tout de même le sens. Entre mimes et clowns sur fond d’histoire dramatique classique, la Naïve mélange les genres avec brio. Cerise sur le tiramisu : les accents chantants des différentes nationalités qui se côtoient sur le plateau donnent un petit air pagnolesque à la pièce ! Le rire reste le moteur, mais n’oublions pas que nous sommes aussi dans une tragédie… la fin de la pièce en fera méditer plus d’un.
Une très belle interprétation des comédiens
Fabio Marra est fabuleux en mari lâche et infidèle, grimaçant et gesticulant, tel Charlie Chaplin dans les Temps modernes. Monsieur Gennaro, le père d’Anna, interprété par Georges d’Audignon, brille par les railleries et les méchancetés gratuites dont le spectateur jouit par procuration. N’oublions pas non plus Valérie Mastrangelo et Aurélien Gomis (Sofia et Stefano), truculents en couple infernal, bébête et égoïste, ainsi que Selin Oktay, majestueuse en meilleure amie tordue !
Quant à la Naïve, à la fois agaçante dans son aveuglement borné et touchante, elle est admirablement jouée par une Sonia Palau aux yeux de biche, qui excelle dans ce personnage central emprunt de bonté, de dévouement et d’espoir dans l’espèce humaine. Il pose d’ailleurs à lui seul des questions existentielles : la naïveté est-elle une qualité humaine à préserver ? Quelles valeurs véritables reste t-il à la famille ? Faut-il être capable de tout pardonner pour ne pas la voir exploser ?
Une fois le spectacle terminé, les comédiens descendent dans l’orchestre et, en rang d’oignons, remercient vivement le public d’être venu les applaudir d’une poignée de mains chaleureuse. On saluera bien volontiers ce geste rare, généreux et humble. Un contact humain appréciable à la dimension de la pièce proposée. ¶
Aline Bartoli
La Naïve, de Fabio Marra
Compagnie Carrozzone Teatro • 2, villa Stendhal • 75020 Paris
01 43 49 46 75 | 06 17 82 41 77 | 06 21 41 29 05
Site : www.carrozzoneteatro.com
Courriel : info@carrozzoneteatro.com
Mise en scène : Fabio Marra, Sonia Palau
Avec : Sonia Palau, Selin Oktay, Fabio Marra, Georges d’Audignon, Aurélien Gomis, Valérie Mastrangelo
Construction décor : Stefano Perocco Di Meduna
Costumes : Giuseppina Minopoli
Accessoires : Carrozzone Teatro
Production : Carrozzone Teatro
Dessinateur : Michelangelo Marra
Régie : Gaël Gaurin
Conception web : Alessandro Marra
Photographie : Eva Blanch
Le Funambule de Montmartre • 53, rue des Saules • 75018 Paris
Site du théâtre : www.funambule-montmartre.com
Réservations : 01 42 23 88 93
À partir du 5 novembre 2011, samedi et dimanche à 18 heures, lundi à 21 h 30
Durée : 1 h 15
20 € | 14 € | 10 €
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