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Par Les Trois Coups
Et Pellier supprima le verbe
William Pellier n’est pas volubile. C’est un homme discret, en retrait, qui semble préférer le poste d’observateur aux feux de la rampe. Dans « le Tireur occidental », son personnage principal est un observateur, lui aussi, mais un observateur scientifique, un jeune thésard en ethnologie dont les recherches, inspirées des théories anthropométriques et physiognomoniques du xixe siècle, ont pour postulat de départ la supériorité de la civilisation occidentale sur celles du reste du monde.
Un beau visage vierge de toute expression prononce, face public, le récit de son voyage. Julien Derivaz, qui joue Rodolphe, semble hélas avoir été dépossédé de son corps. Sa bouche égrène les phrases comme les engrenages interminables d’une machinerie intellectuelle aussi froide que l’acier. Le reste de son corps demeure immobile, placé en différents points de la scène, au fond de laquelle défilent des images de voie ferrée, de feu, et un entretien entre trois personnages dans un appartement. On se demande où est le rapport entre les éléments scénographiques – et s’il en existe –, tandis que le texte coule, austère et glacial, des lèvres du jeune homme dématérialisé.
L’avantage de la langue française, c’est que l’effet de style ne nécessite pas d’effets de manches pour être marquant. Ôtez-lui le verbe, et elle se désincarne. Son inconvénient, c’est que sans sa chair, elle écorche l’oreille. C’est l’intention ici, de toute évidence. Dans le Tireur occidental, William Pellier réussit à la perfection son exercice de style : la logorrhée de son seul personnage est à la fois désincarnée et contraignante.
Il est vrai que le propos de la pièce s’y prête. Rodolphe est, au terme de ses huit années d’études, en voyage d’observation au bord du monde occidental. Il lui faut terminer sa thèse sur les races inférieures. Observer leur comportement et les raisons de leur insistante aspiration à dépasser le mur qui sépare leur monde du nôtre. Durant son voyage, il écrit à Catherine, sa fiancée, à qui il confie, six mois durant, ses inquiétudes et ses attentes. Dans ses lettres, le ton change à peine. Il reste formel, et bien que plus tendre, ne révèle aucune faille dans les intentions du jeune homme à l’outrecuidance tout universitaire.
Au commencement était le Verbe. Dans l’Occident de Pellier, le verbe n’est plus
Lorsqu’il rencontre le Tireur, militaire taiseux et brutal, dont la mission est d’abattre tout individu approchant la frontière de l’Occident, il gagne sa confiance et obtient l’autorisation de faire du mirador son poste d’observation scientifique. Son excitation est à son comble lorsque, par accident, le Tireur blesse un « indigène » au lieu de l’abattre. Son objet d’étude lui est ainsi offert sur un plateau, vivant et à portée de main.
Le texte, exclusivement construit de phrases nominales, détonne par sa rigidité impitoyable aux oreilles du spectateur. Le lien entre l’absence de verbe et la désincarnation du personnage principal est évident. L’absurdité et l’irrationnel rendus cocasses par l’obsolescence des références scientifiques, tout cela reste néanmoins purement intellectuel et échoue à susciter l’indignation autant que le rire. L’ironie du texte devrait pourtant permettre le rapprochement avec l’actualité douloureuse des idéologies xénophobe et ségrégative Ici, on reste de marbre.
L’intention de Steven Fafournoux – qui signait déjà, du même auteur, la mise en scène de Grammaire des mammifères la saison dernière –, est visiblement de souligner la dureté par une mise en scène vierge d’artifices et l’absence d’émotion. Pourtant, si à aucun moment le jeu ou les mots ne vous touchent, la scène ne devient-elle pas un lieu anachronique ? ¶
Catherine Lise Dubost
Les Trois Coups
Le Tireur occidental, de William Pellier
Éditions Espaces 34, Montpellier, 2004
ISBN 2-84705-004-3
Compagnie Le Fil
Mise en scène : Steven Fafournoux
Assistant à la mise en scène : Clément Vieille
Avec : Julien Derivaz
Lumière et régie : Xavier Davoust
Théâtre des Marronniers • 7, rue des Marronniers • 69002 Lyon
Site du théâtre : www.theatre-des-marronniers.com
Réservations : 04 78 37 98 17
Du 24 novembre au 4 décembre 2011 à 20 h 30, dimanche 27 novembre 2011et 4 décembre 2011 à 17 heures, lundi 28 novembre 2011 à 19 heures (rencontre avec l’auteur après la représentation), relâche le mardi 29 novembre 2011
Durée : 1 heure
15 € | 11 € | 8 €
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