Au Théâtre de la Tempête se joue jusqu’au 19 février 2012 « les Femmes savantes » de Molière, dans une mise en scène trop simpliste pour une pièce si riche.
« les Femmes savantes » | © Brigitte Enguérand Des femmes assouvissent leur désir de connaissance, et comprennent que le savoir leur permettra de gagner du pouvoir sur les hommes. Et sont ridiculisées pour cela.
Les Femmes savantes, au sujet hautement polémique pour notre époque, est l’une des pièces les plus ancrées dans le XVIIe siècle de son auteur. Aussi, si Molière ridiculise ces femmes, c’est avant tout parce qu’elles pourraient renverser l’ordre naturel, qui pour lui apporte équilibre et bonheur à une famille. Elles s’inscrivent ainsi dans la lignée de ses grands personnages – Tartuffe, Alceste, Arpagon –, ces fauteurs de trouble qu’il faut anéantir par le rire pour retrouver un ordre bienfaiteur. Ses
Femmes savantes ne dérogent pas à ce programme : Armande sera punie pour avoir voulu sortir de la norme et Trissotin pour son appât du gain, dissimulé sous la galanterie.
Si ce sujet s’explique par la « philosophie » de Molière à l’œuvre dans ses pièces, notre modernité ne peut ignorer ce qu’aujourd’hui l’on appellerait « misogynie ». Certes, l’on peut prétendre que la pièce s’oppose plutôt à la pédanterie. Ou affirmer que la pièce sert à Molière pour se défendre contre l’abbé Cotin – alors hostile au théâtre –, qu’il représente sous les traits de Monsieur Trissotin.
Il n’empêche que notre XXIe siècle a du mal à ne pas bondir quand il entend, prononcé par une femme, la servante Martine : « Et, si je contestais contre lui par caprice, / Si je parlais trop haut, je trouverais fort bon / Qu’avec quelques soufflets il rabaissât mon ton. » (1). Ou encore, par un homme, cette fois, Chrysale : « Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, / Qu’une femme étudie et sache tant de choses : / Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, / Faire aller son ménage, avoir l’œil sur les gens, / Et régler la dépense avec économie, / Doit être son étude et sa philosophie. » (2).
Vide de trouvailles personnelles Mais ne rêvez pas : vous n’aurez rien de toutes ces subtilités dans la mise en scène proposée au Théâtre de la Tempête. Et tout mène à croire que Marc Paquien les a survolées en montant cette pièce au pied de la lettre, sans véritable parti pris, sans moduler suffisamment le texte. Sa mise en scène est vide de trouvailles vraiment personnelles. Ses femmes savantes ne sont ni parfaitement grotesques ni particulièrement éclairées. En outre, quelques livres posés sur le plateau surlignent le propos de la pièce. Et le jeu simpliste de rideau sur une petite musique mignonnette ne fait pas non plus gagner de la profondeur au spectacle. Ah oui, au fait, il y a une idée personnelle : Philaminte sculpte de temps en temps. Franchement, qu’est-ce que ça apporte ?
Bon. Quand la mise en scène est fade, il reste parfois les comédiens. Certains disent d’ailleurs que le seul travail du metteur en scène consiste à bien choisir ses comédiens. Et là, un déséquilibre se fait sentir : les personnages principaux sont mal joués, mais les secondaires très bien. Et ça débute mal : la première scène, jouée par Alix Riemer et Agathe Rouiller, interprétant respectivement Henriette et Armande, est un véritable fiasco. Alix Riemer, de sa petite voix frêle et stupide, surjoue la naïveté. On peut presque distinguer ce qu’elle se dit en elle-même avant de jouer, dans une conception toujours littérale du texte, sans aucun sens de la nuance. Quant à Agathe Rouillier, elle a une fâcheuse tendance à prononcer tous les
e muets de la fin de ses alexandrins : ce qui, en plus de produire une laideur auditive, ajoute une syllabe à l’alexandrin et le déconstruit entièrement, ce qui est tout de même embêtant. Jany Gastaldi, qui interprète Philaminte, propose un jeu très convenu, très emphatique, très « Attention ! Je joue la langue du XVIIe siècle ! ». Leurs faux rires sont également particulièrement pénibles. D’ailleurs, ces jeux boursouflés ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd : les adolescents venus voir le spectacle les singeaient en sortant de la salle.
Anne Caillère, en revanche, propose une Bélise fort drôle et fort intéressante. Elle a pris au mot la réplique de Chrysale la concernant : « Notre sœur est folle, oui. » (3). Elle danse partout, tout le temps, prend une hauteur de voix irréelle, et se fond parfaitement dans la légèreté évoquée par le fond de scène, une peinture de ciel nuageux. François de Brauer est aussi excellent : il compose un Trissotin – jeune coureur de dot, non seulement vaniteux, mais odieux – proche du dandy, plein de finesses. Il n’accentue pas le ridicule de son personnage et le rend ainsi parfaitement grotesque. La scène de dispute avec Valdius est d’ailleurs l’une des seules scènes intéressantes et personnelles de la pièce : la rage des deux êtres, qui jettent des livres de tous côtés, exacerbe leur brutalité masquée par leur préciosité. Quant à Daniel Martin, il compose un succulent Chrysale. Il infléchit le texte, en dévoile son sous-texte et lui donne ainsi profondeur, vie, et comique.
Dommage, donc, pour ces acteurs de talent de côtoyer des acteurs moins bons, dans une mise en scène si pauvre. Alors, honnêtement, si vous voulez découvrir la pièce, allez l’acheter chez votre libraire et lisez-la. Votre imagination sera forcément plus fertile que celle de Marc Paquien, et au moins vous ne vous ennuierez pas.
¶ Lucile Féliers Les Trois Coups www.lestroiscoups.com
1. Acte V, scène
iii, réplique de Martine.
2. Acte II, scène
vii, réplique de Chrysale.
3. Acte II, scène
iv, réplique de Chrysale.
Les Femmes savantes, de Molière Gallimard, coll. « Folio », nº 3230, 1999
L’Intervention, compagnie Marc-Paquien
Site :
http://www.lintervention.com/marc-paquien/ Mise en scène : Marc Paquien
Collaboration artistique : Daisy Amias
Avec : Anne Caillère, François de Brauer, Éric Frey, Jany Gastaldi, Nathalie Kousnetzoff, Matthieu Marie, Daniel Martin, Pierre-Henri Puente, Alix Riemer, Agathe Rouillier
Création costumes : Claire Risterucci
Maquillages et coiffures : Cécile Kretschmar
Scénographie : Gérard Didier
Création lumière : Dominique Bruguière
Son : Anita Praz
Théâtre de la Tempête • la Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre • 75012 Paris
Site du théâtre :
www.la-tempete.fr Réservations : 01 43 28 36 36
Du 24 janvier au 19 février 2012 à 20 h 30, jeudi à 19 h 30, dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 2 heures
18 € | 14 € | 10 € | 9 €