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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« Mi vida después », de Lola Arias (critique), Théâtre des Abbesses à Paris

Et la mort, et l’humour
et l’amour des pères


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


L’un est grand, l’autre, tout petit. Lui n’aura jamais d’enfant, lui en a plusieurs, elle en veut. Son père était tortionnaire durant la dictature, et le sien a fui au Mexique durant cette période. Ils sont six comédiens sur scène, six Argentins bourrés de talent. Ils ont la trentaine et, ensemble, ils construisent une image fragmentée de l’Argentine sous la dictature militaire en parlant de leurs pères. Un spectacle follement vivant et intelligent où l’humour tend la main à l’émotion.

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« Mi vida después » | © Lorena Fernandez

Au tout début de la chronologie que trace au sol l’un des comédiens, il y a la dictature. 1976 : les militaires s’emparent du pouvoir par un coup d’État. Les libertés civiles disparaissent, les prix flambent. La vie quotidienne devient dure pour tous ceux qui ne sont pas proches du pouvoir. Quant aux opposants, ils sont traqués, torturés, tués. Parfois, les enfants nés dans les geôles sont volés et grandissent dans les familles des bourreaux. Mais, sur cette même ligne du temps, s’égrènent aussi des naissances, et viennent alors se placer sur la chronologie ces nouveaux-nés aujourd’hui trentenaires et comédiens. Trouver sa place sur la ligne, sonder le passé pour trouver son présent, dire la vie qui a continué par-delà les morts, il y a de tout cela dans Mi vida después.

On parlerait sans doute de biodrame si le terme n’avait pas de connotations péjoratives. De fait, Lola Arias et ses collaborateurs évitent tous les écueils du genre : la rétrospection larmoyante, la distanciation glacée, la pièce partielle ou partiale. Le spectacle sonne en fait juste. Comment ? C’est tout d’abord grâce à beau travail d’écriture de plateau. Six comédiens, six histoires. Or aucune ne s’impose au plateau au détriment d’une autre. Aucune n’est là pour asséner une vision unique de la dictature. Pas de tartine, pas de prestation écrasante, alors que chaque prise de parole convainc. Chacun trouve, au contraire, un moyen propre de nous parler de son père, de nous dévoiler un morceau d’enfance. Et lorsqu’il le fait, les autres restent au plateau pour construire l’évocation.

Comme une utopie théâtrale en revers de la dictature

Autre qualité de l’écriture : elle colle, compose chaque instant. On a des raccords comme au cinéma (mots, jeux de scène) et des ruptures. C’est pourquoi, de manière très inattendue mais belle, le spectacle est plein d’humour. Par exemple, des schémas explicatifs inutiles tracés sur des photos (moustaches et postures des policiers exhibées) font sourire, on joue avec le physique des acteurs, on stylise des scènes. Pas de prétention totalitaire, donc. Travail « fragmentaire », travail « collectif », « liberté » sont des termes clés. Comme une utopie théâtrale en revers de la dictature ?

Il y a ainsi une vitalité incroyable dans le spectacle, quelque chose qui entraîne les spectateurs dans le tourbillon du passé et de la vie. Alors qu’on connaisse l’histoire argentine ou pas, on suit, qu’on soit l’adulte ou l’ado que le prof a amené en groupe, on applaudit. C’est une incroyable réussite que de faire comprendre l’histoire et de susciter ainsi l’enthousiasme. Dès le début, la note est donnée : des vêtements sont balancés sur scène. Ce ne sont pas des dépouilles macabres, ce sont des projectiles. De leur amas émerge une comédienne comme dans une naissance. Il y a donc bien place pour les vivants. La comédienne fouille ensuite comme dans une friperie, et plaque un jean à sa taille : celui de sa mère… Elle ne s’abolit pas dans ce vêtement, elle se raconte aussi. Ainsi, nous ne sommes pas prisonniers du passé, et le spectacle nous prend à partie, nous interroge. La chronologie se poursuit d’ailleurs au-delà de 2011 en points d’interrogation, et la jeune garde courant sur le plateau (le fils d’un des comédiens) nous raconte demain.

L’émotion sans béquilles

Dire tout sans écraser, faire rire parce que la vie est un mélange, parce que l’on peut pleurer parfois la mort de son chien sans avoir pris conscience de la mort d’un proche, c’est ce que fait Mi vida después. Et les moments où le chagrin affleure sont d’autant plus forts. Ils n’ont pas besoin de la béquille de l’éloquence : un carré tracé au sol et des corps qui s’affaissent, une jeune femme qui se déchaîne sans prononcer un mot sur une batterie et tout est dit : on a la gorge serrée. C’est beau. 

Laura Plas


Mi vida después, de Lola Arias

Mise en scène: Lola Arias et les acteurs

Avec : Blas Arrese Igor, Liza Casullo, Carla Crespo, Vanina Falco, Pablo Lugones, Mariano Speratti, Moreno Speratti da Cunha

Dramaturgie : Sofia Medici

Musique : Ulises Conti, avec la collaboration de Lisa Casullo et Lola Arias

Scénographie : Ariel Vaccaro

Chorégraphie : Luciana Acuña

Lumières : Gonzalo Córdova

Vidéo : Marcos Medici

Costumes : Jasmín Berakha

Conseiller historique : Gonzalo Aguilar

Théâtre des Abbesses • 31,°rue des Abbesses • 75018 Paris

Site du théâtre : www.theatredelaville-paris.com

Réservations : 01 42 74 22 77

Du 5 au 16 décembre à 20 h 30, relâche le dimanche 11 décembre 2011

Durée : 1 h 30

24 € | 19 € | 14 €

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