Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Des êtres fracassés par la vie
Par Trina Mounier
Les Trois Coups.com
Difficile d’évoquer les deux spectacles qui composent ce diptyque, « C.D.I. Sandrine » et « C.D.D. Chacal » sans parler de la trajectoire toute récente et pourtant très originale et brillante de cette très jeune compagnie, aux contours volontairement flous. Après Paris et Montpellier, au terme d’une « errance théâtrale » à travers l’actualité française et la misère diffuse qui l’imprègne, au cours de laquelle ils ont beaucoup joué et écrit, ils se sont installés dans un hameau d’Ardèche et ont produit ces deux histoires terribles du quotidien.
« Ô mon pays » | © Martin Tronquart
Les deux titres annoncent la couleur : des personnages définis avant tout par leur statut social. Sandrine est trieuse de verre en usine. Elle a une vie stable et répétitive. Elle est très seule, appelle de loin en loin une mère absente, quand atterrit dans le coin un jeune père divorcé qui vend des cuisines. Ce pourrait être le début d’une histoire entre ces deux êtres solitaires. Mais Sandrine a lâché prise avec le réel depuis trop longtemps, elle ne sait plus se décentrer pour aller vers cet autre plein d’enthousiasme. Elle sent physiquement dans son corps les désastres écologiques de notre époque : l’eau des banquises qui fond et qui arrive progressivement jusqu’à elle, et qui monte… Image poétique et effrayante…
Chacal est un de ces ouvriers qui travaillent sur les chantiers d’autoroutes, dorment dans des hôtels minables, coupés du monde. Au contraire de Sandrine, pour Chacal rien n’est fixe, tout bouge dans cette vie à laquelle il ne comprend rien. Il n’a même plus de nom, on l’appelle « Chacal »… Au début, relié à sa femme par le cordon du téléphone, il va peu à peu perdre ce repère jusqu’à sombrer lui aussi dans la folie…
Sandrine évolue entre un rectangle de lino blanc, bidet et table en Formica et le tapis de tri avec le bruit. Mais les copines, quand même. Lui, dans un no man’s land indéfinissable surmonté d’un engin de chantier stylisé. Tous deux sont des êtres fracassés par la vie, au passé qui s’effrite, à l’avenir incertain. Ces invisibles qu’on ne voit pas et dont parle si bien pour les avoir côtoyés Florence Aubenas. On pense aussi à Dancer in the Dark…
Un théâtre des anonymes
Mais nous sommes bel et bien au théâtre et non dans un documentaire. D’abord, parce que les deux comédiens Lise Maussion et Damien Mongin prêtent une présence palpable à leurs personnages, qu’ils interprètent avec un tact et une pudeur formidables. Ensuite, parce que, doucement, ces deux histoires dérapent, glissant d’un quotidien prégnant de banalité à des étrangetés, d’une drôlerie incroyable (car on rit beaucoup dans ces spectacles), pour se fracasser et nous atteindre durablement au bout du compte. Deux spectacles qu’on peut voir séparément, mais qui résonnent mieux à la suite l’un de l’autre, qui nous parlent de l’humanité si différente et si proche… Du grand art… ¶
Trina Mounier
Ô mon pays !, un diptyque de la compagnie Pôle Nord composé de C.D.I. Sandrine et C.D.D. Chacal
Par : Lise Maussion, Damien Mongin, Guillaume Thermet et Yellow Flight, accompagnés par Charlotte Fleury et Delphine Prouteau
Le Pôle Nord est associé à La Bande, communauté de compagnies
Durée de C.D.I. Sandrine : 1 h 30 ; durée de C.D.I. Chacal : 1 heure
Les Célestins de Lyon • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Tél. 04 72 77 40 40
Site : www.celestins-lyon.org
Du 4 au 17 novembre 2011
Tournée :
Théâtre de l’université de Montpellier les 30 novembre et 1er décembre 2011
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