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Par Les Trois Coups
Dépositaires d’âmes éphémères…
Par Marie Barral
Les Trois Coups.com
« Train de pluie » allie deux textes sur la Shoah qu’un violoniste relie : « la Pluie » de Daniel Keene, et « En ce temps-là, l’amour » de Gilles Ségal. Un spectacle vivant sur les trains de la mort. Simple et court, émouvant et percutant.
« Train de pluie » | © D.R.
« En ce temps-là, l’amour était de chasser ses enfants […] ». Ainsi commence le texte de Gilles Ségal (dont Irène Jouannet avait tiré un film : En ce temps-là, l’amour, 2004). Durant la Seconde Guerre mondiale, dans un des trains de la mort, un homme surprend un père faisant la leçon à son fils de neuf ans… Tandis qu’autour d’eux des « pantins » fatigués rentrent en eux-mêmes, s’assoiffent, meurent, lui, le père, invente des exercices de mathématiques, des sujets de dissertation, ou, en bon prof de philosophie, théorise sur la liberté. Il est fou, pense l’observateur, qui comprend peu à peu que le père veut, en quelques jours, compresser pour son enfant ce qu’un homme doit savoir en une vie.
Sur la scène, les morceaux de ce superbe texte, interprété brillamment par Tommaso Simioni, sont alternés avec ceux de la Pluie de Daniel Keene. Une femme, Hanna (Catherine Hubeau), raconte comment elle reçoit des gens montant dans de mystérieux trains avec toutes sortes d’affaires à conserver, valises, vêtements, boîtes à bonbons ou à instruments… De ces objets, devenus pour partie poussière, s’échappe au fil des ans l’image de leurs propriétaires, autant de visages qui ont fait de cette habitante du bord des rails leur dépositaire.
Peu de bagages… mais de l’esprit
L’alliance de ces deux textes est judicieuse. Comme le dit le père à son fils dans En ce temps-là, l’amour, la vie est partout en puissance. Insidieuse, elle se cache, prête à éclore, sous les décombres et la merde. Et, de cette merde, finiront par s’échapper au bout de siècles de civilisation Bach, Mozart et Hegel. Dans la Pluie, la vie est nichée sous le legs de poussière que conserve Hanna, puisque la vieille femme en compose une émouvante histoire qui ressuscite des âmes oubliées.
Sur scène, peu de choses, quelques cartons et caisses, deux comédiens mal attifés et un violoniste caché derrière le rideau. Cependant, le génie de Tommaso Simioni, la douceur de Catherine Hubeau, un jeu très précis de lumières, et les belles compositions du violoniste Marc Desjardins donnent vie aux planches. Avec trois fois rien, des textes touchants et du talent, l’atmosphère du wagon est recréée : nous, spectateurs, pourtant au chaud dans nos fauteuils, sommes avec ces deux juifs exécutant une danse de la mort ; nous sommes dans ce champ désolé par lequel des milliers d’hommes et de femmes sont passés laissant leurs maigres effets et une grande nostalgie ; nous sommes cet observateur attendri par un condamné consacrant toute son énergie aux dernières heures de son fils ; nous rions et pleurons avec lui en pensant à La vie est belle de Roberto Benigni. Quand Dieu n’est plus et que la foi en l’homme est morte aussi, ne restent, pour notre liberté, que l’esprit et l’une de ses expressions : l’humour. Modeste, sans affectation, ce théâtre-là est ainsi : libre, doté de peu mais plein d’esprit. ¶
Marie Barral
Train de pluie, d’après la Pluie de Daniel Keene
et En ce temps-là, l’amour, de Gilles Ségal
– la Pluie, de Daniel Keene, traduction de Séverine Magois,
in Pièces courtes, éditions théâtrales
– En ce temps-là, l’amour, de Gilles Ségal, éditions Lansman, 2001
Compagnie Avril enchanté • 5, rue de Viroflay • 75015 Paris
06 60 11 38 79
Site : www.cieavrilenchante.com
Courriel : catherine.hubeau@gmail.com
Mise en scène : Catherine Hubeau et Marie-Laure Speri
Avec : Catherine Hubeau, Tommaso Simioni et Marc Desjardins (violoniste)
Scénographie : Michaël Horchman
Théâtre Côté cour • 12, rue Édouard-Lockroy • 75011 Paris
Courriel de réservation : theatrecotecour@free.fr
Réservations : 01 47 00 43 55
Du 18 octobre 2011 au 12 janvier 2012, les mardi et jeudi à 19 heures
Durée : 1 h 15
15 € | 10 €
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