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Par Les Trois Coups
Miroir, ô beau miroir du conte, dis-moi les ravages du pouvoir…
Par Laura Plas
Les Trois Coups.com
Ici, on assiste à des lectures de la correspondance de Nicolaï Erdman. Là, « le Suicidé » part en tournée : un air de fantaisie russe souffle sur la saison ! Le voici qui ébouriffe les spectateurs du Théâtre Jean-Arp de Clamart, où Laure Favret met, en effet, en scène « Un miracle ordinaire » d’Evgueni Schwartz : un joli travail de troupe aux trouvailles charmantes, que l’écrin d’une belle scénographie met en valeur. De quoi découvrir avec plaisir une critique du pouvoir aux allures de conte.
« Un miracle ordinaire » | © D.R.
Si Evgueni Schwartz a écrit des œuvres pour les petits comme pour les grands, des scénarios de films, mais aussi du théâtre pour marionnettes, ou des nouvelles, le conte est présent dans toute son œuvre. En effet, ce genre, jugé mineur, a le pouvoir merveilleux de chuchoter des mots interdits en toute impunité. L’amour y fait ainsi des pieds de nez aux puissants et l’humour y pirouette avec une insolente liberté. Par ailleurs, le conte ouvre les portes du royaume de fantaisie, car rois et magiciens, bêtes aux sentiments humains, hommes aux comportements de bêtes y trouvent logis.
Un miracle ordinaire présente ainsi plusieurs niveaux de lecture. En apparence, la pièce nous raconte une jolie histoire d’amour un peu convenue dont le titre pourrait être la Belle et la Bête – encore une fois. D’un côté, une pauvre princesse, fille à son papa de roi, de l’autre un ours malheureux d’avoir été métamorphosé en homme et qui ne pourra retrouver sa peau avant d’avoir été aimé… On imagine la suite sans difficulté. Reste que même à ce niveau, Schwartz a su créer des personnages originaux. La Princesse est une frondeuse qui fugue et entraîne dans les neiges du royaume toute la cour. Le Roi et son ministre ne sont pas que de pâles figurants. Excessifs, cabotins, ils ont des dialogues savoureux et volent presque la vedette aux gentils.
Plus succulents que nature
Or, la mise en scène de Laure Favret, tout comme d’ailleurs le choix des costumes et de la distribution soulignent ces écarts ludiques avec la tradition. La Princesse aux cheveux courts ne tarde pas à porter la culotte, et sa belle voix grave lui donne un air insolite et intéressant. Le Roi et le Bouffon, quant à eux, sont vêtus de hideux cols roulés en Nylon de couleur sombre et forment un duo extraordinaire. Le Ministre, Laurel perfide au nez immense, rivalise, en effet, avec son roi, Hardy corpulent et caractériel : on en frémit autant qu’on rit, car Nicolas Struve et Thierry Bareges s’en donnent ici à cœur joie. De manière générale, on sent que les comédiens sont habitués à travailler en équipe et à l’écoute.
Par ailleurs, le conte se complexifie, car la pièce est chorale et que les personnages que l’on croirait secondaires ont aussi leur histoire. Il n’y a en fait pas une seule histoire d’amour mais trois, pas une seule figure du pouvoir non plus. Un miracle ordinaire pourrait donc être comparé à un bijou aux multiples facettes. Le miracle raconte aussi l’ordinaire, le conte trouve un écho dans nos vies. Or, une des réussites du spectacle est justement de concilier la magie et le quotidien. D’un côté, les objets surgissent de trappes, la vidéo transfigure les lieux pour faire surgir la forêt dans un palais, et la musique autant que l’estrade qui est élevée au milieu de la scène nous rappellent que nous sommes au théâtre. De l’autre, les lignes du décor font songer au constructivisme russe, et le jeu des protagonistes donne une impression d’authenticité.
Le Roi est le Bouffon
Mais au-delà du conte, il y a bien un second niveau dans la pièce de Schwartz. Laure Favret fait le choix de le suggérer par la mise en scène et ainsi de respecter les secrets malicieux de l’œuvre. En ce sens, Un miracle ordinaire reste de bout en bout un spectacle populaire et tout public. À aucun moment, la démonstration ne s’impose. Il faut rester attentif aux signes. Que peut-on alors deviner ? Un miracle ordinaire évoque les dérives d’un pouvoir malade, ce pouvoir qui prétend dominer la vie de tous. Le Roi, mais aussi son ministre et même le sympathique magicien ont cru qu’ils pouvaient jouer avec les vies. La scène ressemble à un immense échiquier, d’ailleurs, et les comédiens en jeu évoluent sans cesse sous le regard de leurs partenaires à l’arrêt. À cause de ce second niveau, Schwartz a connu déboires et interdictions pour ses œuvres, mais la pièce prend pour nous une autre dimension. Un joli jeu dangereux pour le pouvoir, un plaisir pour le public. ¶
Laura Plas
Un miracle ordinaire, d’Evgueni Schwartz
Traduction et adaptation : Youlia Zimina, Julien Bergen, Anne Seiller
Compagnie Dard’art • 16, rue de Patay • 75013 Paris
01 49 88 72 48
Site de la compagnie : www.dardart.org
Mise en scène et scénographie : Laure Favret
Avec : Thierry Bareges, Thibaut Corrion, Alain Granier, Hélène Lausseur, Marie Nicolle, Nicolas Struve, Roland Timsit, Youlia Zimina
Musique originale et interprétation : Vadim Sher, Jean-Yves Bernhard
Vidéo et images : Cyprien Quayrat
Costume : Ève Le Trevedic
Lumières : Anne Coudret
Fabrication des décors : Cyril Monteil
Théâtre Jean-Arp • 22, rue Paul-Vaillant-Couturier • 92140 Clamart
Réservations : 01 40 90 17 02
Site du théâtre : www.theatrearp.com
Du mardi 17 janvier au samedi 28 janvier 2012 à 20 h 30, dimanche à 16 heures, jeudi à 19 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 30
25 € | 21 € | 15 €
Tout public à partir de 8 ans
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