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Par Les Trois Coups
Le bal des paumés
Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups.com
Adrien Popineau met en scène une pièce de Joe Penhall peu connue en France. Un sujet difficile : la schizophrénie, et une vision décalée et percutante d’une société où les individus ne savent plus vivre ensemble.
« Voix secrètes » | © Laure Granjon
Joe Penhall n’est pas l’un des auteurs anglais contemporains les plus joués en France. Pourtant, au même titre que Sarah Kane ou Mark Ravenhill, il a contribué dans les années 1990 à l’émergence de ce mouvement connu sous le nom de in-yer-face. Ces dramaturges se caractérisaient par un langage théâtral cru, direct, souvent violent, qui donnait à voir la société et ses travers d’une façon hyperréaliste. Voix secrètes, qui date de 1994, est l’une des premières pièces de Penhall. Elle n’a été montée qu’une fois en France, au début des années 2000, par Hélène Vincent. Un choix original, donc, pour Adrien Popineau, dont le premier projet s’était distingué lors du prix du Jeune Metteur en scène du Théâtre 13 en 2012.
Tom est un être asocial. Aux yeux des autres : un raté plus ou moins irrécupérable. Il sort tout juste de l’hôpital psychiatrique, et son frère Steve, qui tient un restaurant, a accepté de le prendre sous son aile. Tom est différent. Il est schizophrène, il entend des voix (le titre anglais est Some Voices). Le vrai sujet de la pièce, c’est la façon dont sa maladie affecte ses relations avec ceux qui l’entourent. Avec sa famille, mais aussi avec Ives, un compagnon d’infortune, et surtout avec Laura, dont il est amoureux, et qui attend un enfant de Dave. Celui-ci, brutal, alcoolique, casse la figure de Tom une première fois, menace de recommencer. Tom peut-il s’en sortir ? Va-t-il entraîner son frère et la jeune femme qu’il aime dans sa chute ?
Pauvre Tom
Si Tom est la figure centrale de l’œuvre de Joe Penhall, c’est encore plus vrai dans la version qu’en propose Adrien Popineau, puisque le metteur en scène a choisi de faire graviter tous les autres personnages autour de lui. La pièce ne se réduit pas pour autant à l’étude d’un cas clinique. Car ce théâtre-là est très ancré dans la réalité sociale de l’époque, celle du post-thatcherisme et des laissés-pour-compte du néolibéralisme. En ce sens, la descente aux enfers des protagonistes est bien représentée : mutisme et vulnérabilité de Laura face à la brutalité de son ancien amant ; ravages de l’alcoolisme (la bière coule à flots) ; violence verbale et physique. Les choix de mise en scène d’Adrien Popineau font la part belle au réalisme, ce qui est inévitable. Mais les passages les plus crus sont comme mis à distance par une scénographie qui joue plutôt la carte de l’abstraction : le plateau est un espace clos qui évoque une chambre d’hôpital, comme si Tom n’était jamais sorti de la sienne et ne faisait que rêver les épisodes qui s’y déroulent.
La distribution, dans l’ensemble, tient la route. Le toujours impeccable René Hernandez se distingue dans le rôle d’Ives, l’ami d’un certain âge. Il donne magnifiquement à voir la solitude du personnage et son inadaptation chronique au monde. Quant au pauvre Tom, dont la maladie agit comme un révélateur du malaise social ambiant, il est incarné de façon assez convaincante par James Champel. Quoi de plus difficile que de représenter la schizophrénie, d’incarner un être se débattant avec lui-même, poursuivi par un passé qui lui revient par bribes ? Grâce à une mise en scène cohérente et efficace, on suit avec un intérêt qui ne se dément pas ce drame qui frôle souvent la tragédie, en regrettant parfois que la lutte avec les « voix intérieures » n’apparaisse pas plus clairement. ¶
Fabrice Chêne
Voix secrètes, de Joe Penhall
Traduction : Dominique Hollier et Blandine Pélissier
Mise en scène : Adrien Popineau
Avec : James Champel, Valentine Galey, René Hernandez, Éric Pucheu et Hugo Seksig
Scénographie : Fanny Laplane
Costumes : Anne-Laure Bonet
Lumières : Marylin Étienne-Bon
Musique : Éric Pucheu et James Champel
Théâtre de Belleville • 94, rue du Faubourg-du-Temple • 75011 Paris
Métro : Goncourt ou Belleville
Réservations : 01 48 06 72 34
Du 17 au 28 septembre, du mercredi au samedi à 21 h 15, le dimanche à 17 heures
Durée : 1 h 30
20 € | 15 € | 10 €
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