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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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« L’Araignée de l’éternel », de Claude Nougaro (critique d’Hervé Charton), Théâtre des Abbesses à Paris

Nougashow

 

« Goûter à la substantifique moelle de l’écriture ». Tel est le projet rabelaisien que Christophe Rauck, en voulant dresser sur scène le portrait du célèbre chanteur et poète, s’est donné. Faire sortir les mots de leur cortège de sons, que la voix chaude et chaloupée de Nougaro avait ancré dans nos mémoires. Briser la musique et faire entendre les mots, les histoires ; entendre leur corps, leur sueur et leur peau. Beau, beau, beau…

 

D’abord, il n’y a que la musique et le guitariste, faiblement éclairé. Accents de jazz. Et bientôt dans l’obscurité, dans le noir absolu s’élèvent deux voix, homme et femme. Deux voix aux reflets graves, à la syncope aisée : du jazz encore. Les mots s’échappent, fusent, fusionnent, se répondent, répercutent et dansent, eux seuls, occupant l’espace puisqu’ils n’ont pas de corps encore. Les chansons sont caressées, parlées, chantées, et la guitare, passant d’un air à l’autre, annonce une couleur entre noir, rouge et blues.


Toujours un drôle d’exercice que celui de rendre hommage à un frais disparu. Claude Nougaro, mort en 2004, aura laissé une empreinte. Elle est encore vive dans bien des mémoires. Son image et sa voix sont là, portées par les radios et la télévision. Et le premier talent de Christophe Rauck a été de n’en pas s’en cacher. Il nous prend là où nous sommes, dans le souvenir malgré nous, pour nous amener discrètement dans l’instant. Cette ouverture prend son temps, à la manière d’un orchestre qui s’accorde, les lumières montent lentement, permettent de se souvenir puis d’oublier, de se laisser aller aux deux voix sur scène, puis à leurs corps et à leur danse, au-delà de la référence.



Comme pour bien montrer qu’on ne cherche pas à être Nougaro, ni à l’imiter ni même à le mettre en scène, mais à jouer avec ses mots, à donner à voir le sens de ses paroles au-delà de la forme, Nougaro lui-même est convoqué sur scène, par des images d’archives. La matière de parole, ce sont les chansons bien sûr, mais aussi des récits. Des perles, comme Une petite fille, ou la Plume d’ange. Sur le plateau, ce sont bien les acteurs avant tout qui se donnent à voir, en prise avec ces textes. Un pari bien osé, tant ce « toro » de Nougaro est un monstre sacré, à l’énergie dévastatrice. Bien des acteurs s’y seraient brûlés. Mais pas eux.


Cécile Garcia-Fogel est, comme toujours, impeccable de justesse et de décalage. Loin de se laisser engloutir par le magnétisme de l’artiste, par sa personnalité hors norme, elle impose au texte un style bien à elle, ses propres ruptures, son goût du swing, jusque dans les mélodies, qu’elle interprète avec respect et désinvolture. Philippe Bérodot, plus proche du modèle à mon sens dans sa parole et sa musique, apporte une énergie nouvelle, non sanguine mais diffuse, qui met d’autant mieux en relief l’humour, l’espièglerie et la poésie de tous ces jeux de langue. Leur duo, homme et femme, à la veste ouverte et au ventre nu, fait toucher des yeux la sensualité des rythmes, la chair et le sang d’un jazz du Sud. « Il y a beaucoup de femmes dans vos chansons », a-t-on fait remarqué à Nougaro. « Il y a beaucoup de femmes dans la rue », a-t-il répondu.


Christophe Rauck et ses comédiens ont bien compris que la meilleure façon de rendre présent un disparu est de mettre en évidence la distance qui nous sépare de lui. Sa proximité s’en trouve alors soulignée. L’aller-retour entre chant et poésie parlée, le décor nu, à vif, l’omniprésence des caméras avec lesquelles les acteurs se mettent en scène et jouent, les perspectives et la géométrie swinguées qui en découlent, tout est distance et décalage, au service de la plus grande justesse, à fleur de texte.


Ce spectacle pourtant souffre d’un petit défaut, qu’ont presque tous les hommages : une trop grande fascination, un trop grand respect. Un peu plus d’irrévérence n’aurait pas fait de mal. Au fur et à mesure, Nougaro reprend le dessus. C’est sans doute voulu, et finalement assez peu gênant : Nougaro est fascinant, électrique et lumineux, alors pourquoi ne pas lui laisser le champ libre ? 


Hervé Charton

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


L’Araignée de l’éternel, de Claude Nougaro

Mise en scène : Cristophe Rauck

Dramaturgie : Leslie Six

Avec : Cécile Garcia-Fogel, Philippe Bérodot et Anthony Winzenrieth (guitare)

Décor et costumes : Aurélie Thomas

Lumières : Julien Boizard

Vidéo : Thomas Rathier

Chorégraphie : Caroline Marcadé

Répétitrice : Chloé Cailleton

Théâtre des Abbesses • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris

Réservations : 01 42 74 22 77

Du 4 au 14 juin 2008 à 20 h 30, dimanche 8 juin à 15 heures, relâche le lundi

Durée : 1 h 30 environ

23 € | 16,50 € | 12 €

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S
j'ai beaucoup aimé ce spectacle, agréable pour les oreilles comme pour les yeux, et bien que très fatiguée ce soir là j'en garde un excelant souvenir.
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