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Par Les Trois Coups
Shakespeare en Cinérama
Que dire de « Coriolan », tragédie politique sombre par la nature de son héros inflexible, et épique par ses guerres et ses querelles de pouvoir ? On sait qu’on désirait voir la production du Théâtre national populaire depuis deux ans à Paris, tant la troupe démesurée et inhabituelle sur un plateau de théâtre (trente-quatre acteurs) de Christian Schiaretti faisait rêver. On s’attendait à une fresque tragique, évoquant la grandeur de la jeune république romaine et la faiblesse parfois vile des hommes.
Pas de rideau qui cacherait le décor : on entre dans l’arène et on attend que le jeu commence. Une belle lumière bleutée projette sur le sol un rond qui nous fait penser au célèbre Théâtre du Globe de Shakespeare. Cela promet d’être beau, tant ce simple halo de lumière appelle au sublime. Le bleu est bientôt souillé par des hommes, en rouge et brun. Contraste de couleurs fort. Voix lapidaires qui évoquent une émeute. Des hommes en colère réclament du blé. Un s’oppose à leurs doléances : Caius Martius. Puis on annonce que les Volsques s’approchent. La guerre commence. Ballet de drapeaux rouges, or des cuirasses romaines qui brillent, une foule de personnages sur scène évoquant le siège de Corioles – lequel fera gagner à Caius son surnom de Coriolan.
On a pu voir Coriolan deux fois à Paris au cours des dix années précédentes : celui – assez mauvais – de Jean Boillot au T.G.P. en 2004, et celui, magnifique, de Joël Jouanneau à L’Athénée en 1998. C’est grâce à ce dernier que l’on comprend ce qui se passe sur le vaste plateau du Théâtre des Amandiers. On se souvient de la noblesse de Jean-Quentin Châtelain (Coriolan) et de l’extraordinaire Christine Fersen qui y jouait son ambitieuse mère (Volumnia). Ce sont eux qui nous font aller voir les nouvelles productions de cette pièce qu’ils ont sublimée, dans l’espoir de retrouver cette force et cette grandeur que Jouanneau en avait tirées (dans une belle traduction de Normand Chaurette).
« Coriolan » | © Christian Ganet
Car, ici, malgré la limpidité fade du texte de Déprats, on ne comprend pas les acteurs : on ne les entend pas. Tout nous paraît opaque : on ne réalise même pas que Caius Martius est Caius Martius – c’est-à-dire le futur Coriolan – tant la grandeur du héros fait défaut à Wladimir Yordanoff. Hélène Vincent, qui remplace Nada Strancar en Volumnia, est parfois grotesque (les supplications auprès de son fils), parfois ridicule (son retour à Rome, fière d’avoir conclu la paix). Mais est-ce seulement leur faute ? Il en est de même pour tous les personnages : personne ne nous captive, personne ne nous émeut, sauf peut-être Aufidius (Dimitri Rataud) malgré son inaudible ultime réplique qui clôt la pièce.
Alors, évidemment, le spectacle peut plaire : on offre du grandiloquent au public. Des beaux costumes (qu’on a du mal à comprendre tant ils paraissent à cheval sur trois siècles : de Marignan à la Révolution) qui épatent par leur nombre, mais qui ne servent pas le texte. Un jeu de lumières qui semble restreint à des découpes au sol (comme on regrette la belle vision bleue du début, qui laissait pourtant prévoir de grandes choses). Une direction d’acteurs flasque qui dilue les trois heures et demie de jeu dans un vaste ennui. Des incohérences racoleuses : le sénat tenant conseil (en costumes d’époque) sur ces horribles chaises en plastique grises année 1980, que l’on trouve seulement dans les salles des fêtes municipales qui n’auraient jamais eu de budget alloué à leur remplacement.
On a le sentiment que Schiaretti veut faire du moderne avec du vieux, du neuf avec de l’ancien. Mais cela ne nous empêche pas d’assister à un spectacle poussiéreux qui nous évoque ces tristes affiches du métro : Carmen ou Ben Hur au Stade de France ou au Palais des congrès. Le plus triste, c’est qu’on réalise qu’il a tout l’argent qu’il veut pour faire cela. Car, à mettre autant de gens sur scène, déployer une garde-robe phénoménale à faire pâlir la Comédie-Française, ordonner des scènes de bataille à l’américaine qui lassent plus qu’elles n’en imposent, on nous plonge dans les coulisses du tournage d’un vaste péplum de Ludovico Brabaglia où l’on aurait gentiment convié le public.
Néanmoins, en Cinérama et en Technicolor, ce Coriolan semble s’exécuter lui-même pour trahison avant même que les Volsques ne le décident. Sans compassion. ¶
Stanislas Dhenn
Les Trois Coups
Coriolan, de William Shakespeare
Mise en scène : Christian Schiaretti
Texte français : Jean-Michel Déprats
Avec : Stéphane Bernard, Roland Bertin, Laurence Besson, Pascal Blivet, Olivier Borle, Mohamed Brikat, Jeanne Brouaye, Armand Chagot, Jérémie Chaplain, Philippe Dusigne, Gilles Fisseau, Julien Gauthier, Jacques Giraud, Nicolas Gonzales, Damien Gouy, Sylvain Guichard, Benjamin Kerautret, Claude Kœner, Aymeric Lecerf, David Mambouch, Clément Morinière, Daniel Pouthier, Loïc Puissant, Jérôme Quintard, Dimitri Rataud, Alain Rimoux, Juliette Rizoud, Julien Tiphaine, Jacques Vadot, Clémentine Verdier, Hélène Vincent, Wladimir Yordanoff
Lumières : Julia Grand
Son : Michel Maurer
Costumes : Thibaut Welchlin
Scénographie : Loïc Thiénot
Coiffures et maquillage : Nathalie Charbaut
Directeur des combats : Didier Laval
Assistantes : Laure Charvin-Gautherot, Naïd Azimi
Assistant aux costumes : Jean-Philippe Blanc
Assistants au son : Laurent Dureux, Éric Georges, Olivier Renet, Pierre Sauze
Conseiller dramaturgique : Gérald Garutti
Production T.N.P.-Villeurbanne | Coréalisation Théâtre Nanterre-Amandiers, Festival d’automne à Paris
Théâtre Nanterre-Amandiers • 7, avenue Pablo-Picasso • 92000 Nanterre
R.E.R. A - Nanterre-Préfecture + navette
Réservations : 01 46 14 70 00
Du 21 novembre au 19 décembre 2008, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 h 30
Durée : 3 h 45 (avec entracte)
25 € | 12 €
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