Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Hommage aux « déviants »
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups.com
« Comment ! me dit l’attachée de presse, vous ne connaissez pas la Compagnie Hercub’ ? — J’avoue que non. — Une vraie troupe spécialisée dans les auteurs contemporains, dont Israel Horovitz qui a même écrit “Lebensraum” (Espace vital) spécialement pour eux. » Je sens que j’ai tort. « Qu’est-ce qu’ils font en ce moment ? — “Lonely Planet” (Planète isolée) de l’américain Steven Dietz, mis en scène par Sylvie Rolland à la Manufacture des Abbesses. » J’y vais. Bong ! Une histoire maigrelette d’amitié sur fond de réflexion sur le sida illustrée par une bonne idée. Je dis bien une. Une seule en une heure de spectacle. L’ennui est pavé de bonnes intentions.
Je fais taire mon grincheux de service, qui déjà râlait : « Ils ne peuvent pas prendre des titres français ?! », et je m’installe confortablement dans ce joli théâtre. L’intrigue tient en deux mots mais « date », selon moi (la pièce fut écrite en 1993). Le sida est alors encore un sujet tabou, même chez les gays. Jody, qui ne veut pas voir la réalité en face, s’est réfugié dans son monde : celui des cartes de géographie qu’il ne vend qu’à lui-même. Son copain Carl passe régulièrement lui apporter des nouvelles (mauvaises) de la « terre vraie » sous la forme de chaises ayant appartenu à ceux qui ne sont plus.
C’est la fameuse idée dont je parlais plus haut. Elle est jolie. Pas de quoi remplir une pièce. De théâtre, en tout cas. La boutique de Jody, elle, est vite encombrée de ces traces, toutes différentes, d’existences brutalement interrompues. Joli décor à ce propos, tout en bois, de Jack Percher, qui tourne judicieusement le dos au naturalisme. Comment peut-on écrire « joli » sur un sujet pareil ?! Justement, c’est le problème. La symbolique, les personnages, l’action, tout me semble seulement « joli » dans cette parabole. On reste à la surface des choses. De ces chaises notamment, dont on ne saura jamais qui vraiment s’asseyait dessus !
Le bref instant où Carl évoque leurs vies, entre parenthèses elles aussi de jolis clichés : le flic, le garagiste, la prof (ah ! il n’y a pas que les mecs qui peuvent la choper, cette saleté !), est bâclé à la six-quatre-deux. Apparemment, c’est juste l’enchaînement qui permet à Carl de rendre son hommage aux « déviants ». Pour lui ces chaises-tombes, c’est « sa pénicilline contre la pensée unique ». « Quand je pense, poursuit-il, que pendant ce temps il y a des gens dehors qui prétendent inventer un monde plus sain ! Un monde plus sain, pour eux, ça consiste à interdire des films, des livres, des chansons… »
Ce type qui n’a rien lu parle comme un livre. On aurait préféré qu’il fasse parler ces chaises. Qu’elles aient surtout un rapport quelconque avec nos deux « personnages », eux-mêmes bien falots. L’une aurait pu appartenir à un rival, un amant volage, l’autre à un pervers, un jaloux, que sais-je ! À quoi songe l’auteur ? Bruno Rochette a beau s’échiner, foncer, qu’il entre ou qu’il sorte, tel un zébulon, il a bien du mal à faire vivre ce Carl oiseau de malheur et faux boute-en-train. Du moins s’y efforce-t-il. Contrairement à Michel Burstin qui, lui, croyant avoir trouvé, en fait le moins possible. Son Jody « fait son sucré ». Il a cet air confit des prêtres et des psychanalystes. Lui sait !
Nous pas. Qu’est-ce qu’on fiche là ? Des dialogues qui sonnent faux, une histoire plus que prévisible, pas de personnages, des acteurs inégaux… Je songe à cette « pensée unique » qui, comme le sida, change et se déplace sans cesse pour mieux nuire. Je repense aussi à des copains gays partis avant leur heure, au Cabaret des hommes perdus. Je me dis que Bertrand Delanoë est maire de Paris, Olivier Py directeur de L’Odéon. Dans le métro en venant, j’ai vu une publicité pour une grande marque de matelas. On y voyait un homme blotti contre un autre homme, tous les deux aux anges. Sont-ce encore aujourd’hui des « déviants » ? ¶
Olivier Pansieri
Lonely Planet, de Steven Dietz
Compagnie Hercub’
Mise en scène : Sylvie Rolland
Avec : Michel Burstin, Bruno Rochette
Lumières : Stéphane Graillot
Scénographie : Jack Percher
Production Compagnie Hercub’
Avec le soutien de la D.R.A.C. Île-de-France, le Forum de Boissy-Saint-Léger, la ville de Gonesse, le Théâtre de Villepreux, la Fondation de la Ferthé | conseil général du Val-de-Marne et la ville de Villejuif
Manufacture des Abbesses • 7, rue Véron • 75018 Paris
Métro : Abbesses ou Blanche
Réservations : 01 42 33 42 03
www.manufacturedesabbesses.com
Du 29 octobre au 27 décembre 2008, mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 19 heures
Durée : 1 heure
24 € | 13 €
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