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Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.

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Rencontre avec Jean-Pierre Siméon, à Arras [Pas-de-Calais] (reportage)

Rencontre
avec Jean-Pierre Siméon

 

27 novembre à 18 heures, université d’Artois à Arras.

En lien avec l’atelier Mise en voix et le spectacle Stabat mater furiosa.

Renconte coorganisée par Culture commune, scène nationale, et le Service culturel de l’Université.

Jean-Pierre Siméon

Jean-Pierre Siméon est poète, romancier et critique. Agrégé de lettres modernes, il enseigne à l’Institut universitaire de formation des maîtres de Clermont-Ferrand. Son œuvre poétique – une quinzaine de livres – lui a valu plusieurs prix littéraires. Il a également publié cinq romans, de nombreux livres pour la jeunesse et collabore régulièrement comme critique littéraire et dramatique au journal l’Humanité. Il est poète associé à la Comédie de Reims et coorganise Les Langagières, quinzaine autour de la langue et de son usage.

Rencontre

Autour du livre Stabat mater furiosa de Jean-Pierre Siméon, une rencontre est proposée au sein de la Maison de l’étudiant de l’université d’Artois à Arras, en présence d’Anne Conti et d’étudiantes en arts du spectacle. Une douzaine de personnes assistent à la rencontre. Une lecture d’un fragment du poème dramatique Stabat mater furiosa est proposée par deux étudiantes, elles-mêmes très intéressées à porter ce texte à l’avenir.

Culture commune, Nicolas Meurin. — Comment a commencé ce texte Stabat mater furiosa ? De quoi ça parle ?

Jean-Pierre Siméon. — Le texte est né de deux choses apparemment très lointaines qui se sont rejointes pour donner l’impulsion. La première des choses, elle est liée à mon parcours à Reims. Je ne connaissais pas particulièrement la Comédie de Reims. J’étais poète, écrivain. Je n’étais pas a priori auteur de théâtre. J’avais écrit un monologue qui avait été joué, mais enfin, bon. Il se trouve que Christian Schiaretti, directeur du CDN dans les années 1990, voulait un poète pour travailler avec lui à la Comédie de Reims. Le principe fondateur du théâtre pour Christian Schiaretti, actuel directeur du Théâtre national populaire à Villeurbanne, c’est que le théâtre doit être inscrit dans la tradition du théâtre d’art français. Il y en a plusieurs, russe, etc., mais le théâtre d’art français. C’est Paul Fort qui en a inventé le terme dans les années 1890. La première manifestation du théâtre d’art à Paris par Paul Fort était le Bateau ivre, lu par un comédien vers 1992. À partir de cet acte fondateur : le poème sur le plateau par un comédien dans le dénuement. Parce que l’idée de Paul Fort, c’était un théâtre nu avec le poème. Dans la suite de cette grande tradition du théâtre d’art, il y a Copeau, Dullin, Jouvet, Dasté, Vilar, Vitez. Christian Schiaretti est dans cette lignée. À la Comédie de Reims, il avait constitué une équipe permanente de comédiens et recherchait quelqu’un qui écrit, non pas un auteur de théâtre mais un poète. C’est tombé sur moi. L’idée m’a plu, c’est un beau défi, mystérieux. Je n’avais aucune connaissance du théâtre autre que celle du spectateur. Mon père m’emmenait vers 14-15 ans. J’ai pu voir Dasté, Gabriel Monnet sur les scènes de province. Je ne connaissais pas vraiment les données du théâtre. J’ai vécu avec le CDN de Reims, assisté à des répétitions. Ils ont monté la Jeanne d’Arc de Péguy avec une comédienne, Gisèle Torterolo, sur le grand plateau de Reims, jouant toute seule, une heure, droite sans bouger quasiment. Quand Christian m’a dit, j’ai monté Peguy, il faut que tu viennes, j’en avais une idée du lycée très formelle, rapide. J’ai découvert à ce moment-là un texte fabuleux de modernité, de force, joué par une comédienne forte, subjuguante dans sa qualité à respirer le texte. Le pari de Christian était juste. On peut faire du spectacle jouissif, heureux, accessible à tous, vivant, chaleureux seulement avec ça. J’ai été voir trois ou quatre fois ce monologue et j’ai eu cette révélation : c’est la langue qui fait spectacle. À partir du moment où elle propose du mouvement, de l’apparition, de la disparition, de l’énergie, de la surprise, lorsque la langue vit, elle fait spectacle. Pas besoin de nez rouge, d’ailes dans le dos pour faire l’ange. Mon désir est né d’écrire quelque chose comme ça.

La deuxième raison, comme tout écrivain, je porte en moi des obsessions, des hantises. En moi, j’ai une révolte fondatrice qui ne me quitte jamais, la violence. Toutes les formes de violence, particulièrement la violence guerrière. C’est de la stupidité, de la puérilité, l’homme est un tout petit enfant, on est dans l’âge le plus puéril de l’humanité, parce que résoudre des problèmes en se tuant, il n’y a pas plus con dans la vie. C’est un cri primal, un refus, je ne supporte aucune violence. Comme tout le monde, je vis bien en France, protégé. Il y a eu accumulation dans les informations depuis 1990 : Tchétchénie, Rwanda, Balkans, Irak. D’un coup, ça s’est cristallisé. Ensuite, je suis allé à Beyrouth en voyage. Je traverse les faubourgs à l’état de ruines de guerre récente. Je vois pour la première fois, autrement qu’à la télévision, des immeubles éventrés, des chambres d’enfants, des salles de bain, dont un pan de mur est tombé. Et on voit là la vie telle qu’elle devait être. Cette vie qui est la nôtre dans la chaleur, l’intimité et du bien-être, tout d’un coup dévastée, éventrée. Ça m’a pris à la gorge, noué, une colère, une amertume. Et le texte est venu, je l’ai écrit en trois semaines, un petit peu tous les jours. Sans repentir, il est venu comme ça. Bien sûr, il y a un travail d’écriture, de pensée du théâtre derrière. L’idée était aussi de manifester qu’on pouvait faire théâtre d’un poème, d’un poème de plateau, d’une langue dense, intense. Pour moi, c’est écrit pour le théâtre. J’en suis à la soixantième autorisation de mise en scène via la SACD, sans compter celles à l’étranger, au Portugal, en Uruguay… Il a un destin étonnant ce texte. La thématique est universelle. J’ai touché, c’est ce qu’espère tout auteur quand il écrit quoi que ce soit, à une fibre commune. Quand on écrit un poème d’amour, de mort, de misère, d’espoir, ça fonctionne si on touche. On ne sait pas comment, on arrive à ce quelque chose de commun à tous. Malgré moi, ça se fait, et les mises en scène sont très diverses. Elles ont des portes communes parce qu’il y a des données assez strictes. Une comédienne, encore que, comme l’ont fait certains, la parole a été légitimement répartie, prise par trois comédiennes. Elle a été mise en scène aussi avec un décor très lourd, naturaliste, une comédienne et un comédien jouant un soldat muet, armé, gardien de camp, qui la surveille dans une ruine. Une autre montée avec guitare électrique et projection vidéo. Il y a des variations formelles possibles, mais la base, c’est quand même la voix, l’espace. Et il y a la solution d’Anne Conti, avec la présence très forte de la musique, son dialogue avec le texte qui est très abouti de mon point de vue.

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Qu’est-ce que j’ai voulu dire dans ce texte ? Comme répondait Rimbaud : « Ça veut dire ce que ça veut dire littéralement et dans tous les sens. » Rimbaud le disait pour la poésie. Je peux me permettre de le dire, tout grand texte de théâtre est un texte poétique, c’est-à-dire qu’il est polysémique. Quand un texte n’est pas polysémique, il est apoétique, et donc pas un grand texte littéraire. Il doit vouloir dire au-delà de ce que l’auteur a voulu mettre. Ce texte est né d’une impulsion, c’est un cri primal, un cri détaillé. Quand on écrit du théâtre, de la poésie, du roman, on détaille le cri. Un cri humain, de bête, de douleur, d’horreur, d’émerveillement, de jouissance. Littéralement, la guerre : merde ! On me dit : c’est facile de crier ça, mais à quoi ça sert de crier merde quand on reçoit une pierre sur le pied ? Est-ce qu’on peut vous en empêcher ? Qui peut me dire quand il reçoit une pierre de 4 kg sur le pied, qu’il peut pas s’empêcher de dire merde ou de gueuler aïe ? On gueule ! Ça sert à rien, mais on le fait. Alors moi je dis, je n’ai pas d’autre justification après tout. Après je suis un intello, on peut me questionner… Ce texte dépasse largement le seul fait de la guerre, ce que j’y ai mis c’est un refus physique, intellectuel et moral de toute violence. Pour finir, ce texte, même s’il est écrit d’une seule coulée, est plein de nuances, de facettes, de contradictions internes. Devant la guerre qui est si complexe, une histoire si universelle, on ne peut pas avoir une seule posture. Elle est même paradoxale puisque cette femme peut être cruelle à certains moments dans son propre discours. Elle parle de tendresse, de la vie et, en même temps, elle dit des choses effroyables. Ne serait-ce qu’enfanter, c’est continuer la généalogie du meurtre. J’ai vu une comédienne enceinte dire cette parole-là. Ce n’est pas aussi simple, ce n’est pas pour dire : la guerre, c’est pas beau.

Culture Commune, Nicolas Meurin. — Qu’est-ce qui s’est passé quand tu es tombé sur ce texte ? Qu’est-ce que tu as entendu ? Qu’est-ce que ça t’a fait ?

Anne Conti. — Je suis une non-violente, j’ai été terriblement marquée par un reportage sur une femme en Afrique du Sud, violée, vitriolée. Je voulais faire une espèce de montage de paroles de femmes partout dans le monde. Parallèlement, je voulais travailler sur une forme particulière, avec la musique, sur les mots, sur cette chair-là, que j’adore. On m’a dit : tu devrais lire du Siméon, ça va te plaire. Mais ne touche pas à Stabat mater furiosa, on le monte. Je l’ai lu et je ne l’ai pas lâché. J’ai plongé dedans parce que c’est le mariage du politique-poétique qui me semblait juste. C’était une évidence. J’ai tout de suite été dans ce rythme que Jean-Pierre met, dans ces étirements, ces saccades, ces vagues, ces mots groupés, ces détails qui reviennent, ces flous, ces cris. J’ai pu m’emparer de ce cri de révolte, mais avant tout, pour moi, c’est un hymne à l’amour, à la vie. C’est du feu à donner, à donner sur scène. Il fallait que je dénonce. Cette femme est debout, allez vous tous debout !, je vous donne de l’énergie, on y va, il y a encore des choses à faire, les chaleurs, les douceurs. Puisque, quand on parle de guerre, on parle de paix, d’amour. C’est ce que je voulais donner, mais ce n’est pas toujours entendu comme ça. J’ai déjà eu des discussions avec le public et certains étaient assis, ça dépend où l’on en est dans notre vie. À Avignon, beaucoup m’ont dit merci. Merci parce que c’est peut-être des gens qui sont dans des luttes et fatigués. C’est un texte qui donne à se relever, d’aller dans des combats qui nous semblent justes. Ça parle à tout le monde.

Jean-Pierre Siméon. — En tout cas, ça ne laisse pas indifférent. J’ai vu des gens, souvent des mecs, sortir en malaise. L’homme est en cause, le mâle, fort, guerrier. J’assume ce discours. Agressif, silencieux, dans une énergie négative, pas envie de parler, pleurer, les états des gens sont différents. Il y en a d’autres qui partent avec le sourire. Je préfère ça, mais on ne  commande pas le destin d’une pièce, d’un texte. Il est où les gens peuvent le prendre.

Colline, étudiante en arts du spectacle. — J’ai trouvé ce livre par hasard, à la librairie Dialogues-Théâtre à Lille. J’ai demandé un texte contemporain, elle m’a filé J.-P. Siméon, Stabat mater. Je l’ai lu d’une traite. Ensuite, j’ai lu les Soliloques, j’ai acheté les autres bouquins. Ça a trotté une année, je trouvais des choses différentes à chaque fois. Je suis allée voir le spectacle d’Anne Conti l’année dernière. Je me suis dit : j’ai envie de le jouer, de m’imprégner de ça, de créer, de le faire découvrir aux gens, qu’ils l’entendent, qu’il y ait le plus de monde possible qui entende ce texte. Faut pas laisser ça sur papier, c’est quelque chose qui doit être vu, entendu par le plus de mises en scène possible, pour qu’il y ait le plus de monde face à ça.

Jean-Pierre Siméon. — Ce qui est une constante dans ce texte et ses mises en scène, c’est presque toujours parti d’une comédienne. La volonté de monter la pièce, de trouver un metteur en scène, une production vient la plupart du temps d’une comédienne. Ce sont des femmes qui imposent ça. Pour moi, c’est une satisfaction.

Colline. — J’ai été vachement touchée par cette femme, même si moi je suis occidentale, la guerre ça ne me touche pas directement. Je ne pense pas que ça parle que des femmes de l’Orient touchées directement par la guerre, mais aussi des femmes qui sont dans la violence aujourd’hui, ici, qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas, qu’on refuse de voir.

Anne Conti. — J’ai eu des discussions avec des rencontres de lycéens, c’est bien d’ouvrir à ça. On connaît les guerres d’État, au-delà il est important d’ouvrir à la guerre entre garçons et filles, entre générations, au coin de notre rue, sociale, froide, conjugale et nos propres guerres, nos parts d’ombre et de lumière.

Jean-Pierre Siméon. — Ce que tu dis, c’est toujours une guerre dont il est question. Des guerres invisibles, sournoises, à l’œuvre en nous. Là, j’ai écrit un poème, tu vois, qui dit « cette guerre en nous toujours inachevée ». Je pense qu’on a aussi des guerres intérieures, dont on est à la fois le bourreau et la victime.

Propos recueillis par

Christine Trolet


Voir la critique de Stabat mater furiosa par Christine Trolet pour les Trois Coups.

Voir l’atelier Mise en voix par Anne Conti.


Derniers livres parus de Jean-Pierre Siméon :

Témoins à charge ou la comparution d’Éros et Thanatos
devant les hommes
, poème dramatique.

Quel théâtre pour aujourd’hui ? Petite contribution au débat
sur les travers du théâtre contemporain
- Essai. Éditions Les Solitaires intempestifs.

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