Le journal quotidien du spectacle vivant en France. Critiques, annonces, portraits, entretiens, Off et Festival d’Avignon depuis 1991 ! Siège à Avignon, Vaucluse, P.A.C.A.
Par Les Trois Coups
Agota ? Moi ? Oui, toi…
Par Claire Stavaux
Les Trois Coups.com
Il est samedi soir, et il pleut. Une pluie fine et triste. Pas envie de sortir… Vous prenez le métro, un peu las, et descendez à Crimée. Crimée, Agota Kristof. Quel hasard ! Vous venez juste de commencer « le Troisième Mensonge » de l’auteure hongroise. Mais la pièce que vous allez voir, vous ne l’avez pas lue – ni même d’ailleurs le dossier de presse du spectacle. Vous avez plutôt envie de vous laissez surprendre par le jeu, vous faire happer par les mots. Pas de lire ceux des autres.
John et Joe sont deux amis, ou plutôt deux compagnons d’infortune. L’intrigue est celle d’un quotidien brisé par un billet de loterie gagnant. Mais à qui appartient-il vraiment ? Ni à l’un ni à l’autre. Un peu aux deux, finalement. Le texte d’Agota Kristof est d’une étonnante sécheresse, d’une dure simplicité. Des phrases brèves, incisives comme des dents et empreintes de la douloureuse mélancolie du vécu. Les dialogues se répètent comme l’existence de John et Joe. On entend presque Jules et Jim, mais on est bien loin ici de ces existences vides et fuyantes de jeunes gens. Les corps et les êtres sont bien présents chez Agota Kristof, et même douloureusement présents.
La simplicité est en effet le maître-mot de la mise en scène de Didier Moine, une simplicité portée par la concentration des signes (concentration des décors sur le plateau, jeu concentrique des comédiens, utilisation d’une musique aux accents lancinants, légères variations dans la répétition des gestes et des mots). Une mise en forme bien ajustée au texte, simple et juste. Mais en réduisant au simple, il ne vise pas l’efficacité dans le dépouillement. Ce n’est pas un théâtre qui repose sur des effets. Il recherche plutôt l’authenticité du vécu, est en quête d’humanité, d’émotions refoulées à travers un langage qui paradoxalement « se méfie des mensonges des sentiments ».
Quant aux comédiens, ils font indéniablement la paire, tout à la fois singuliers et interchangeables. Et, quand ils s’interpellent, c’est comme si, en se nommant, ils cherchaient à se faire exister, à se rassurer avant même de vouloir communiquer. Appeler l’autre, c’est avant tout dire : « Je suis là moi aussi ». Et, quand l’autre ne se reconnaît pas, c’est agaçant, c’est angoissant.
J’ai été particulièrement frappée par la douce sincérité de Patrick Dray. Touchée par la belle leçon d’humanité qu’il donne à John, sans être donneur de leçon pour autant. Plutôt à la manière d’une évidence. Ce texte, tous deux ne le disent pas. Ils le vivent. Comme si c’était leur vie à eux. À John et à Joe. Enfin, à Yvan et à Patrick. Quant au jeu du garçon de café (interprété par le comédien Julien Leonelli), il est tout à fait intrigant et saisissant. Ses entrées et sorties sont habilement réussies et nous laissent songeurs. Derrière son petit sourire narquois et ses cheveux noirs laqués de garçon parisien, on lui trouverait pourtant presque des airs de dictateur. À sa manière de surgir sur le plateau, je n’ai pu m’empêcher de penser à l’ascension d’un autre dictateur, dans une autre brasserie…
Enfin, John et Joe n’est pas une pièce sur l’amitié, sur la trahison, sur la nature de celui que je considère comme mon ami. C’est une pièce sans ailleurs ni autrui. Une pièce où l’on est seul face à soi-même, alors ? « Et vous d’ailleurs, si vous étiez John, qu’auriez-vous fait à sa place ? — Moi ? — Oui, toi. » ¶
Claire Stavaux
John et Joe, d’Agota Kristof
Compagnie Les Mistons • 100, rue Juliette-Savar • 94000 Créteil
01 48 98 39 38
Mise en scène : Didier Moine
Avec : Yvan Chevalier, Patrick Dray et Julien Leonelli
Décors et costumes : Patricia Rabourdin
Lumières : Jérôme Pratx
Musique : Patrick Dray
Théâtre des Deux-Rêves • 5, passage de Thionville • 75019 Paris
Réservations : 01 48 03 49 92
Métro : Laumière (ligne 5) ou Crimée (ligne 9)
Du 14 novembre au 28 décembre 2008, les vendredi et samedi à 19 h 30, les dimanches à 17 h 30
Durée : 1 h 15
16 € | 10 €
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