Par Léna Martinelli
Les Trois Coups.com
Le festival de Limoges s’est achevé le 6 octobre 2012 avec le concert de Jupiter qui a enflammé la scène du Magic Mirror. Au total, plus de 15 000 spectateurs ont suivi le programme de cette 29e édition, un voyage pour mieux comprendre cet Autre, si loin, si proche. Arrêts sur images de quelques temps forts.
« C gens‑là » | © Patrick Fabre
Cette édition a accueilli 17 spectacles, dont 5 créations et 4 premières en France, 11 concerts, 10 lectures, 6 débats ou rencontres et 2 expositions. Le but : « se rassembler autour d’artistes francophones, jouer avec les mots, les images, les idées, solliciter nos émotions et nos souvenirs […] pour contribuer à garder en vie la part de nous‑mêmes qui refuse de considérer l’autre comme un ennemi ». Un festival d’autant plus indispensable que le racisme devient quasi ordinaire.
Un bon bilan
Si les chiffres sont bons, le bilan doit avant tout être qualitatif. Marie‑Agnès Sevestre, la directrice du festival, se félicite justement de l’accueil de la population, car, pour elle et son équipe, c’est important d’associer les Limougeauds à la fête. Ainsi, Nous sommes là ! a emmené près de 1 200 spectateurs sur le parcours chorégraphique conçu pour la soirée d’ouverture, qui a associé professionnels et amateurs de tous âges et de toutes origines.
Les habitants de Limoges et des villes alentours – car le rayonnement du festival est bien plus que régional (des lycéens du Mans, de Paris et de Nantes sont même venus pour l’occasion !) – ont le goût des belles rencontres. Toutes les manifestations à entrée libre ont affiché complet. Sur le champ de Juillet, au cœur de la ville, les deux chapiteaux nouvellement implantés, dont le superbe Magic Mirror qui date des années 1920, offraient une diversité de propositions dans une ambiance conviviale : restaurant, librairie, signatures, lectures, propositions jeunes publics, concerts…
« Remise du prix S.A.C.D. de la dramaturgie francophone à Larry Tremblay » | © Christophe Péan
Les activités littéraires proposées par la maison des Auteurs (« L’Imparfait du présent », « Les Caribéennes »…) ont aussi rencontré un public encore plus nombreux que les années précédentes, ce qui traduit un réel intérêt du public pour ces formes amenant à découvrir des auteurs et leurs œuvres par le moyen de mises en espace. Révéler des écrivains, voilà le rôle de la maison des Auteurs ; défendre leurs droits et les soutenir, telle est précisément la mission de la S.A.C.D. qui a remis le prix S.A.C.D. de la dramaturgie francophone à Larry Tremblay (Québec) pour Cantate de guerre parue aux éditions Lansman. Une pièce sur la transmission de la violence d’un père mercenaire à son fils, une écriture tout en muscles, nourrie de la chair poétique des mots de la haine, une tragédie contemporaine qui nous rappelle la violence de la guerre. Le texte bénéficiera prochainement d’un enregistrement sur France Culture dans le cadre de ses fictions.
Mais le cœur de la programmation des Francophonies, ce sont bien sûr les spectacles, ces représentations qui augmentent le rythme cardiaque de ceux qui sont sur scène, mais aussi des spectateurs. Cette année, les émotions ont pu être vives, comme celles suscitées par le dérangeant Plan américain d’Évelyne de la Chenelière et Daniel Brière, deux auteurs québécois qui ont plongé leurs personnages au cœur de la turbulence terroriste. Autre spectacle « uppercut », celui du Belge Fabrice Murgia : Life : reset. Une exploration vertigineuse des nouvelles formes de solitude. Parmi les temps forts de cette édition, ce spectacle fait partie de ceux qui ont été particulièrement plébiscités. Et pas uniquement par les jeunes qui en comprennent bien le langage, mais par toutes les générations qui y trouvent matière à leurs angoisses les plus profondes.
« Life : reset » | © Cici Olsson
Ultramoderne solitude
Dans l’appartement d’une grande ville, une jeune femme se cogne au réel, souffre de la solitude. Elle trouve refuge dans une existence virtuelle grâce aux réseaux sociaux. Mais ses « amis » ne la consolent que pour un temps. Entre fantasmes, souvenirs et réalités, le personnage bascule peu à peu dans des mondes parallèles, un entre‑deux proche de la folie. Comme l’indique le titre de la pièce, la vie, telle quelle, devient impossible au point d’être réinitialisée comme un ordinateur défectueux que l’on formate.
Brouillant les frontières entre réel et illusion, Fabrice Murgia nous conte cette fuite dans les paradis virtuels par le prisme des caméras, celle de la webcam placée sur l’ordinateur de la jeune femme, celles de surveillance, nombreuses dans nos villes modernes. Un langage cinématographique au service du propos, terriblement efficace car anxiogène à souhait. Cette réflexion sur la déshumanisation de nos sociétés n’est pas nouvelle, mais elle est très aboutie. Ici, le fond et la forme sont en parfaite adéquation.
Dans cette société de l’hypercommunication, la vie file et se fige par écrans interposés. Sans paroles, cette pièce mise plutôt sur le mélange ingénieux de vidéo, techniques 3D et théâtre. Le dispositif scénographique, adapté, nous montre la jeune femme sous tous les angles. Ce jeu complexe de miroirs est soutenu par un paysage sonore et visuel très travaillé. Un trip hypnotique, une création originale sur le rôle de l’image et des nouvelles technologies au théâtre, qui touche à l’endroit juste en parlant directement à nos sens. Quelle force de frappe ! Life : reset n’est pas qu’un choc rétinien, c’est une œuvre puissante qui confirme, après le Chagrin des ogres (prix Odéon-Télérama et prix du Public décernés au festival Impatience 2010), la maturité stylistique de cet artiste d’à peine trente ans. Associé au Théâtre national de Bruxelles, il a créé quatre autres spectacles à découvrir avec autant de passion.
Des pièces d’une actualité brûlante
Chambre d’écho du monde, les spectacles programmés aux « Francos » évoquent souvent les conflits du moment. Ainsi, dans My name is…, Dieudonné Niangouna (souvent invité aux Francophonies et artiste associé du Festival d'Avignon 2013) choisit des mots imagés et tranchants pour dire la violence de son pays, la République démocratique du Congo. Aristide Tarnagda (Burkina-Faso) parle, lui, de mémoire et d’identité, dans Terre rouge qui traite du thème – universel – de l’exil et de la séparation.
Guerres, droits de l’homme bafoués, migrations, colonisations, les clins d’œil à l’histoire ne manquent pas non plus. Par exemple, Invisibles questionne l’héritage silencieux des Chibanis, les travailleurs immigrés algériens, ces laissés pour compte de la société industrielle française. Une pièce émouvante qui ausculte les plaies anciennes entre l’Algérie et la France. Dans la même veine sociale, Afropéennes mis en scène par Eva Doumbia (Cameroun / France), d’après des textes de Léonora Miano, évoque la vie de ces femmes d’origine africaine nées en France, confrontées à la fois au racisme ordinaire et aux pesanteurs de leur culture d’origine.
L’incroyable richesse de la scène actuelle
Autant de formes qui ne revendiquent aucune unité, mais au contraire une pluralité des genres, le festival révèle l’incroyable richesse de la scène actuelle. Rien de commun entre le moderne Ivanov Re / mix du Belge Armel Roussel, une variante de la pièce de Tchekhov qui mixe allègrement version comique et tragique, et la Paix, des compagnies Vincent‑Colin (France) et Landy‑Volta‑Fotsy (Madagascar), comédie sociale et musicale librement inspirée d’Aristophane, qui détourne les contes traditionnels. Rien de commun, non plus, entre l’écriture douloureuse et acérée du Montréalais Philippe Ducros qui livre l’Affiche, après avoir séjourné trois fois de suite dans la zone israélo-palestinienne, et l’humour de Gustave Akakpo (Togo / France) qui choisit, quant à lui, de se moquer des rois, empereurs et autres figures dictatoriales africaines. Rien de commun, enfin, si ce n’est le besoin d’appréhender la scène comme lieu de liberté.
Et cette génération en prise avec les réalités contemporaines ne manque pas de talent, ni pour dénoncer l’absurdité de systèmes, ni pour partager leurs utopies. Ces artistes venus d’horizons si lointains nous font si bien entendre les rumeurs de la langue française. Témoigner, résister, vaille que vaille, voilà leur credo. Comme les Francophonies, finalement ! « Après cinq ans qui ont vu la destruction programmée du soutien aux artistes étrangers et le désengagement envers la francophonie, nous sommes là ! », ironise Marie‑Agnès Sevestre. D’où le titre de la soirée d’ouverture…
En effet, malgré les difficultés financières aggravées (la directrice doit composer avec un budget artistique diminué d’un quart depuis son arrivée en 2006), les Francophonies continuent. Avec l’envie que le festival soit là encore longtemps ! D’ailleurs, la 30e édition qui aura lieu du 25 septembre au 5 octobre 2013 se prépare déjà : collectifs d’auteurs, prochaine carte blanche confiée à Heddy Maalem, projet de création avec Philippe Delaigue et quatre auteurs africains… Un nouveau cap, d’autres aventures créatrives, pour une solidarité et une ouverture accrues. ¶
Léna Martinelli
Les Francophonies en Limousin
En association avec le Théâtre de l’Union-C.D.N. du Limousin, l’Opéra Théâtre Limoges, les centres culturels municipaux de Limoges, Scène conventionnée pour la danse, le Théâtre Expression 7, l’espace Noriac, la B.F.M. de Limoges, l’espace du Crouzy à Boisseuil
Du 27 septembre au 6 octobre 2012
www.lesfrancophonies.com/index.html
Accueil • 11, avenue du Général-de-Gaulle • 87000 Limoges
Réservations : 05 44 20 22 17
accueil@lesfrancophonies.com
Tarif unique : 10 € par spectacle
Entrées gratuites (dans la limite des places disponibles) : spectacle d'ouverture Nous sommes là !, expositions, concerts et spectacles et goûters-concerts au Magic Mirror (champ de Juillet), lectures, rencontres et débats