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2 septembre 2014 2 02 /09 /septembre /2014 11:24

Les larmes de Michael Spyres


Par Florent Coudeyrat

Les Trois Coups.com


Soutenu par un orchestre et un chœur splendides, un plateau vocal idéal illumine « la Damnation de Faust » de Berlioz. Et ce, même si la palette des émotions exprimée sur le seul visage du ténor Michael Spyres aurait déjà suffi à nous contenter !

anna-caterina-antonacci-300 delphine-warin-pour-le-festivalLe Festival Berlioz reprend vie dès 1994 à La Côte-Saint-André, ville natale du musicien, située à moins d’une heure de Lyon ou Grenoble. Depuis lors, la manifestation s’est peu à peu imposée comme une référence, travaillant bien sûr à porter haut l’œuvre d’Hector Berlioz (1803-1869) jusqu’aux plus absolues raretés, tout en militant pour faire apprécier d’autres artistes moins renommés. La programmation 2014 met ainsi l’accent sur Berlioz et l’Amérique, offrant par exemple de découvrir un parfait contemporain du compositeur, le méconnu Félicien David et son ode-symphonie Christophe Colomb, ou encore le pianiste américain Edward MacDowell (1860-1908) dans l’un de ses concertos.

Une organisation audacieuse qui permet au spectateur de retrouver l’enfant du pays lors de nombreux concerts, tout en consacrant une opportune visite à sa maison natale – authentique musée complet sur trois étages, tout à la gloire du génial Français. Pour sa dernière soirée, le Festival propose l’une des créations les plus populaires de Berlioz (aux côtés de l’inévitable Symphonie fantastique), la Damnation de Faust. Si cet opus reçoit le nom de « légende dramatique », et non pas d’opéra, cela s’explique par le caractère hybride de la partition, qui donne une place omniprésente à l’orchestre tout comme au chœur, tous deux véritables acteurs du drame. Assez déroutante, l’œuvre se laisse peu à peu apprivoiser, convainquant pleinement par l’entrecroisement virtuose des idées musicales, l’éclat rythmique ou la variété de son orchestration.

Un orchestre-académie pour les jeunes

Très statique en son début, l’œuvre peut dérouter le profane par le peu d’action avant la décisive rencontre entre Faust et Méphistophélès, prélude au fameux pacte signé entre les deux hommes. C’est pour ces raisons que l’on représente très souvent cette « légende » en version de concert – ce qui est précisément le cas à La Côte-Saint-André cette année. On retrouve à la baguette François‑Xavier Roth, fondateur de l’orchestre Les Siècles, à la tête d’une vaste formation réunissant ses musiciens habituels, auxquels s’ajoutent soixante élèves parmi les plus brillants de différents conservatoires européens. Spécialement conçu pour le Festival, cet orchestre-académie opère sur le modèle de celui de Verbier, en Suisse.

Roth s’affirme tout du long par une direction précise, toujours attachée à ne pas escamoter les toutes dernières notes des airs ou ensembles, offrant ainsi aux brumes éthérées du début un écrin délicat et évocateur. Mais il sait aussi faire rugir son groupe sur instruments d’époque, très réactif hormis quelques défaillances techniques aux cuivres, lorsque la partition s’anime. On retiendra donc une magnifique course à l’abîme en fin d’ouvrage, véritable maelstrom sonore dans lequel s’engouffrent tous les musiciens et chanteurs. Préparé par Nicole Corti, le chœur Britten affiche une belle cohésion, assumant pleinement son rôle prépondérant grâce à ses qualités de projection et de diction.

Un Michael Spyres en larmes

Côté chanteurs, Michael Spyres impressionne de bout en bout dans son lourd rôle de Faust. Comme à Saint-Denis en juin dernier, le ténor américain impose son timbre clair et olympien, tout en se délectant de la partition comme jamais, n’hésitant pas à se tourner vers l’orchestre pour ressentir les évocations subtiles de Berlioz. Faisant corps avec son personnage, il lâche même quelques larmes discrètes en première partie. Dommage qu’Anna Caterina Antonacci (Marguerite) n’ait pas souhaité interpréter au-delà de la seule version de concert, imprimant à son rôle une intériorité contenue, mais heureusement bouleversante par les qualités de son chant. Son sens du phrasé, toujours aussi éloquent, compense désormais un timbre un rien métallique et une émission plus étroite. Enfin, Nicolas Courjal offre un jeu convaincant à son Méphistophélès, tour à tour autoritaire et moqueur. Souplesse de l’articulation, richesse du timbre aux couleurs variées, il n’est pas pour rien dans l’ovation finale qui conclut la soirée. 

Florent Coudeyrat


Festival Berlioz

La Damnation de Faust, d’Hector Berlioz

Légende dramatique en quatre parties, d’après Faust de Goethe

Ouvrage chanté en français, sans surtitres

Direction musicale : François-Xavier Roth

Jeune orchestre européen Hector‑Berlioz

Chœurs et solistes de Lyon

Chef de chœur : Bernard Tétu

Chœur Britten

Chef de chœur : Nicole Corti

Avec : Michael Spyres (Faust), Anna Caterina Antonacci (Marguerite), Nicolas Courjal (Méphistophélès), Jean‑Marc Salzmann (Brander)

Photo d’Anna Caterina Antonacci : © Delphine Warin pour le Festival Berlioz

Cour du château Louis‑XI • 43160 La Chaise-Dieu

Dimanche 31 août 2014 à 21 heures

Durée : 3 heures avec un entracte

De 25 € à 45 €

Festival Berlioz • 38, place de la Halle • 38260 La Côte‑Saint‑André

http://www.festivalberlioz.com

Réservations : 04 74 20 20 79

Courriel de réservation : billeterie@aida38.fr

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1 septembre 2014 1 01 /09 /septembre /2014 17:23

Le « Beethoven français » à La Chaise-Dieu


Par Florent Coudeyrat

Les Trois Coups.com


Parmi les plus anciens et les plus prestigieux festivals d’Europe, le Festival de La Chaise‑Dieu rend cette année hommage au méconnu compositeur auvergnat George Onslow. L’impeccable quatuor Diotima donne toute la mesure de son talent dans un programme qui confronte Onslow à son maître spirituel Beethoven.

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On doit au célèbre pianiste hongrois György Cziffra, spécialiste du répertoire de Franz Liszt, l’initiative de la création du Festival de La Chaise-Dieu, voilà 48 ans. Fasciné par le grand orgue de l’abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu, petite ville de Haute-Loire, Cziffra lance l’idée d’une restauration financée par l’organisation de concerts : le Festival est né. Dès lors, chaque soirée sera traditionnellement précédée d’une courte pièce d’orgue, comme une invitation solennelle à la nécessaire concentration d’avant-concert. Programmé pendant les dix derniers jours du mois d’août, le Festival propose pas moins de quarante représentations payantes, auxquels s’ajoutent de nombreuses manifestations gratuites (concerts, conférences, répétitions publiques, etc.).

Principalement dédiée à la musique vocale, La Chaise-Dieu s’autorise depuis quelques années des incursions vers le répertoire symphonique ou la musique de chambre (à l’auditorium Cziffra, voisin de l’abbatiale), permettant ainsi à cette édition 2014 de rendre un passionnant hommage au méconnu George Onslow * (1784-1853), compositeur surnommé le « Beethoven français ». Natif de Clermont-Ferrand, mais d’origine anglaise par son père, Onslow bénéficie d’une importante renommée de son vivant, justifiant qu’il succède à Cherubini à l’Académie des beaux-arts, devant rien moins que Berlioz ou Auber. À sa mort, son œuvre tombe pourtant rapidement dans l’oubli, et ce malgré une production considérable et respectée dans le domaine de la musique de chambre.

Onslow, compositeur auvergnat contemporain de Beethoven

Si le disque rend peu à peu justice à Onslow, avec une quinzaine d’enregistrements à ce jour, La Chaise-Dieu a choisi cette année de mettre en avant ce compositeur, attaché à ses origines auvergnates, en confrontant sa musique à celle de son contemporain Beethoven. Un miroir passionnant, sur trois jours et plusieurs concerts. Le Festival s’est tout naturellement tourné vers le quatuor Diotima, jeune formation habituée des lieux qui a obtenu un remarquable succès critique avec ses différents travaux gravés depuis dix ans, et particulièrement avec Onslow. C’est d’ailleurs avec le Quatuor nº 28 déjà inscrit chez Naïve que les Diotima entament leur exécution, faisant ressortir l’invention mélodique, le sens du détail et la pulsion rythmique caractéristiques de l’Auvergnat.

Si l’on peut regretter un premier violon un rien trop tranchant dans cette œuvre, sa vision convient mieux aux aspérités du Quatuor nº 15 de Beethoven. Un des tout derniers monuments du natif de Bonn, d’une exigeante modernité, fort éloigné de l’élégance un peu distante d’Onslow. Rien d’étonnant à cela tant Onslow avouait ne pas comprendre cette ultime manière du grand maître allemand. On retient surtout le poignant adagio, parfaitement rendu par l’engagement physique des Diotima. Auparavant, entre les deux œuvres, les quatre hommes avaient donné un extrait en forme de clin d’œil d’une pièce pour quatuor écrite par Pierre Boulez. Un « compositeur local », là aussi, né à Montbrison à quelques kilomètres de La Chaise-Dieu. Les Diotima rappelaient ainsi malicieusement leur vif intérêt pour la musique contemporaine, qu’ils ne cessent de défendre avec bonheur au disque comme en concert. 

Florent Coudeyrat


* Parallèlement à l’hommage rendu à Jean-Philippe Rameau, ancien titulaire du grand orgue de la cathédrale de Clermont-Ferrand – le festival ayant notamment accueilli le concert « la Grâce et la Gloire » présenté à Vézelay le 23 août 2014.


Festival de La Chaise-Dieu

Concert du quatuor Diotima, œuvres de George Onslow, Pierre Boulez et Ludwig van Beethoven

George Onslow : Quatuor nº 28 en mi bémol majeur, opus 54

Pierre Boulez : Livre pour quatuor (extraits)

Ludwig van Beethoven : Quatuor nº 15 en la mineur, opus 132

Avec le quatuor Diotima : Yun-Peng Zhao (violon 1), Guillaume Latour (violon 2), Franck Chevalier (alto), Pierre Morlet (violoncelle)

Auditorium Cziffra • 43160 La Chaise-Dieu

Samedi 30 août 2014 à 17 heures

Durée : 2 h 15 avec un entracte

De 19 € à 37 €

Festival de La Chaise-Dieu

Office de tourisme • 43160 La Chaise-Dieu

http://www.chaise-dieu.com

Réservations : 04 71 00 01 16

Courriel de réservation : otcasadei@wanadoo.fr

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31 août 2014 7 31 /08 /août /2014 21:34

La Chaise-Dieu réhabilite George Onslow


Par Florent Coudeyrat

Les Trois Coups.com


En deux concerts symphoniques, le Festival de La Chaise-Dieu rend hommage au compositeur George Onslow autour d’une passionnante confrontation avec ses contemporains. Jacques Mercier, bien soutenu par un orchestre de qualité, convainc pleinement.

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Festival de La Chaise-Dieu | © Guilhem Vicard

Pour décrypter les différences d’interprétation entre deux chefs d’orchestre, rien de plus aisé avec les concerts donnés successivement par Jos Van Immerseel et Jacques Mercier pendant le Festival de La Chaise-Dieu. On ne peut en effet imaginer styles artistiques plus opposés, renforcés de surcroît par l’utilisation pour Immerseel d’une formation réduite sur instruments d’époque. Dans le cadre de l’hommage rendu au compositeur George Onslow, Français d’origine auvergnate et anglaise, des programmes symphoniques quasi identiques sont proposés lors de cette première journée, en forme de mise en perspective passionnante autour de ses deux contemporains Beethoven et Schubert.

Dans l’écrin majestueux de l’abbatiale Saint-Robert, l’acoustique séduit d’emblée par sa résonance maîtrisée, qui s’explique sans doute par la faible largeur du lieu, tandis que les boiseries des stalles apportent chaleur et précision. Même au-delà du jubé, où la visibilité devient réduite pour le public (heureusement compensée par un écran géant), les semblables qualités sonores captivent immédiatement. On comprend mieux pourquoi un tel lieu a été choisi, contribuant à la renommée de la manifestation. Le concert d’Immerseel débute avec la méconnue ouverture Die Zauberharfe de Schubert, composée en 1820, et plus tard intégrée à la musique de scène de Rosamunde, princesse de Chypre.

Un Onslow entre Schumann et Mendelssohn

L’entrée solennelle jouée lentement par le maestro belge gomme volontairement tout romantisme, alliant martèlement des cuivres et percussions en contraste avec le ton étonnamment doucereux des cordes. Très vigilant sur le respect des nuances (pianissimos de rêve), les variations d’atmosphère ainsi créées apportent un raffinement très plaisant. La quatrième et dernière symphonie d’Onslow, datée de 1846, se veut plus dramatique, plus mystérieuse aussi. Si le début fastueux peut faire penser à Schumann, la légèreté sautillante des courts motifs entremêlés rapproche ensuite Onslow de Mendelssohn.

L’attention portée par Immerseel à chaque détail donne cependant une forme trop décousue à l’ensemble, de surcroît dévalorisé par des cordes un peu aigres – d’abord les premiers violons, puis les violoncelles dans l’andantino. Les quelques baisses de tension constatées se retrouvent dans la cinquième symphonie de Beethoven, même si la formation semble plus assurée, connaissant évidemment bien mieux la partition (superbe intégrale). On renoue avec la conception habituelle du chef, ne s’intéressant guère aux sous-entendus narratifs de « la Pastorale » pour privilégier une vision cursive et sans vibrato. À force de rechercher le détail en allégeant les graves, son orage sonne trop pâle. Une lecture objective qui le rapproche d’un George Szell, mais avec un orchestre malheureusement plus faible.

Mercier, direct et conquérant

Avec Jacques Mercier et l’Orchestre national de Lorraine, on retrouve un ensemble aux effectifs doublés par rapport au concert précédent. Composée en 1830, la première symphonie d’Onslow affiche un lyrisme et un ton juvénile revigorant, la rapprochant de Beethoven par sa fougue et son élan. Les thèmes homogènes confiés aux cordes, très sollicitées, donnent un classicisme éloquent à cette œuvre charmante. Avec son style direct et conquérant, Mercier sait aussi apporter une jolie douceur à la fin apaisée du deuxième mouvement. Une vision très fidèle à la partition. Avec Beethoven, le chef français, toujours attentif aux contrastes, insiste sur l’équilibre entre les pupitres, d’une belle cohésion. Seuls les cuivres, un rien trop premier degré, déçoivent quelque peu dans ce concert globalement beaucoup plus réussi que le précédent. 

Florent Coudeyrat


Festival de La Chaise-Dieu

Concert de l’orchestre Anima eterna, œuvres de Franz Schubert, George Onslow et Ludwig van Beethoven

Franz Schubert : Ouverture Die Zauberharfe (la Harpe enchantée), D. 644

George Onslow : Symphonie nº 4 en sol majeur, opus 71

Ludwig van Beethoven : Symphonie nº 6 en fa majeur, dite « Pastorale », opus 68

Direction : Jos Van Immerseel

Orchestre Anima eterna Brugge

Vendredi 29 août 2014 à 14 h 30

Abbatiale Saint-Robert • 43160 La Chaise-Dieu

Durée : 2 h 30 avec un entracte

De 8 € à 80 €

Concert de l’Orchestre national de Lorraine, œuvres de George Onslow et Ludwig van Beethoven

Ludwig van Beethoven : Ouverture les Créatures de Prométhée, opus 43

George Onslow : Symphonie nº 1 en la majeur, opus 41

Ludwig van Beethoven : Symphonie nº 5 en ut mineur, opus 67

Direction : Jacques Mercier

Orchestre national de Lorraine

Vendredi 29 août 2014 à 21 heures

Abbatiale Saint-Robert • 43160 La Chaise-Dieu

Durée : 2 h 30 avec un entracte

De 8 € à 80 €

Festival de La Chaise-Dieu

Office de tourisme • 43160 La Chaise-Dieu

http://www.chaise-dieu.com

Réservations : 04 71 00 01 16

Courriel de réservation : otcasadei@wanadoo.fr

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28 août 2014 4 28 /08 /août /2014 19:10

Le baroque français en hommage à Pierre Cao


Par Florent Coudeyrat

Les Trois Coups.com


Le baroque français est à l’honneur des Rencontres musicales de Vézelay, dont la quinzième édition marque le départ de son fondateur et directeur artistique, Pierre Cao, fêté lors d’un vibrant concert d’adieu.

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Pierre Cao | © François Zuidberg

On doit au chef d’orchestre luxembourgeois Pierre Cao l’initiative de la création en 1999 des Rencontres musicales de Vézelay, festival consacré au répertoire vocal pendant une courte durée de trois à quatre jours. Un véritable concentré qui fait appel aux meilleures formations (1), idéalement accueillies dans le cadre majestueux de Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay. Point de départ de l’un des pèlerinages pour Saint-Jacques-de-Compostelle, ce site, doublement classé au patrimoine mondial de l’U.N.E.S.C.O. pour sa basilique romane et sa colline, offre aussi de beaux moments mélodieux sur la chaleureuse « place des Rencontres » au milieu de la ville. C’est là que se tiennent de nombreux concerts gratuits dédiés à un répertoire plus léger, tandis que d’autres initiatives (petit déjeuner et visite en musique, etc.) animent la cité tout au long de la journée.

Qualité et convivialité : voilà comment résumer en deux mots ces quelques jours passés au cœur du Morvan. Les villes alentour participent également aux Rencontres, organisant quelques concerts, tel celui donné en la collégiale Saint-Lazare d’Avallon, entièrement consacré au compositeur Marc‑Antoine Charpentier (1643-1704). Longtemps éclipsée par son grand rival Lully, son œuvre d’une admirable inventivité bénéficie maintenant du précieux ouvrage réalisé par le Centre de musique baroque de Versailles pour publier l’ensemble de ses travaux. Une initiative qui explique la création d’un motet totalement inédit au disque comme en spectacle, la Peste de Milan. Charpentier sait y varier les climats au moyen d’une orchestration colorée, admirablement mise en valeur par les différentes interventions solistes.

Un Charpentier doux-amer

Tout en jouant à l’orgue, Sébastien Daucé dirige avec mesure, privilégiant une vision sobre portée par un legato omniprésent. Même si l’on aimerait davantage de nerfs dans les passages virtuoses, cette optique permet d’exprimer à merveille la douce amertume en vigueur dans les œuvres ici présentées, tout en apportant un soin particulier à la diction, d’une jolie éloquence. On retiendra surtout, outre de superlatifs pupitres de soprano, la basse de Renaud Brès, au timbre idéal de projection. Des chanteurs qui parviennent à créer des climats subtils, tel l’apaisement conclusif de la Messe pour les trépassés, d’une simplicité incomparable – presque une caresse. Vivement applaudi, ce très beau concert avait lieu en prélude à celui donné en soirée dans les hauteurs de Vézelay, à quelques kilomètres de là.

Un concert lui aussi dédié à un compositeur unique, en la personne de Jean‑Philippe Rameau (1683-1764), autour d’un programme original de motets rares. L’acoustique flatteuse d’Avallon tranche quelque peu avec celle de la basilique de Vézelay dont l’immensité procure parfois une sensation d’éloignement, particulièrement pour les interventions de l’orchestre seul. Vézelay nécessite ainsi des voix puissantes, parfaitement incarnées par l’agile Lisandro Abadie ou l’impériale Claire Lefilliâtre, très à l’aise pendant toute la soirée. Le ténor Jean‑François Lombard peine davantage en matière de projection, mais parvient heureusement à imposer peu à peu son timbre cristallin. En présence de l’impeccable chœur Arsys Bourgogne, très attentif à l’intelligibilité du texte chanté, la direction bondissante de Jean Tubéry fait rugir ses cordes graves avec un rare bonheur dans le Deus noster refugium, puis offre davantage de tendresse dans les contrastes raffinés d’In convertendo.

Un hommage vibrant à Pierre Cao

Si Vézelay se devait de fêter Rameau (2), natif de la capitale bourguignonne, la soirée a aussi été l’occasion d’un vibrant hommage décerné à Pierre Cao à l’issue du concert. Comme toujours, le maestro a laissé parler son élégance pudique en un court discours empreint d’une modestie non feinte et d’un amour sincère pour l’art qu’il défend ardemment depuis si longtemps. Le fondateur du festival quitte la direction artistique après quinze ans à Vézelay, fier du travail accompli, satisfait surtout de ces nombreuses rencontres qu’il aura su faire partager dans les hauteurs du Morvan. Qu’il en soit remercié ! 

Florent Coudeyrat


(1) Ceci grâce à Pierre Cao, chef capable de convaincre le Concerto Köln, la Camerata Salzburg, en passant par l’Akademie für Alte Musik Berlin ou la Rheinische Kantorei. Sans oublier les formations françaises tels que l’ensemble Pygmalion ou le chœur Accentus.

(2) Particulièrement honoré cette année en France pour les 250 ans de sa mort. Voir notamment l’irrésistible Platée donnée à Strasbourg en juin dernier.


La Victoire de Milan

Œuvres de Marc‑Antoine Charpentier

Motet pour les trépassés H.311

Première leçon de ténèbres du Mercredy saint H.120

Messe pour les trépassés H.2

La Peste de Milan H.398

Te Deum H.145

Orgue et direction : Sébastien Daucé

Ensemble Correspondances

Samedi 23 août 2014 à 16 heures

Collégiale Saint-Lazare • 89200 Avallon

Durée : 1 heure sans entracte

De 19 € à 23 €

La Grâce et la Gloire

Œuvres de Jean‑Philippe Rameau

Pièce en concert La Rameau *

Deus noster refugium

Symphonie du second concert *

In convertendo

Pièce en chaconne La Marais *

Quam dilecta

* Extrait du manuscrit posthume Concerts de M. Rameau, mis en sextuors par M. Decroix (1768). Œuvres publiées par le Centre de musique baroque de Versailles

Direction : Jean Tubéry

Ensemble La Fenice

Arsys Bourgogne

Avec : Claire Lefilliâtre, Jean-François Lombard, Lisandro Abadie

Samedi 23 août 2014 à 21 heures

Basilique Sainte-Marie-Madeleine • 89450 Vézelay

Durée : 2 heures avec un entracte

De 10 € à 38 €

Rencontres musicales de Vézelay

Cité de la Voix • 4, rue de l’Hôpital • 89450 Vézelay

http://www.rencontresmusicalesdevezelay.com

Réservations : 03 86 94 84 40

Courriel de réservation : billetterie@rencontresmusicalesdevezelay.com

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27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 17:21

Au commencement
n’était pas le verbe


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


Plus proche de la danse contemporaine ou du théâtre que du cirque stricto sensu, « l’Homme de boue » offre le spectacle poignant de l’humaine condition. Éprouvant mais poétique.

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« l’Homme de boue » | © Milan Szypura

À Nexon, cette année, il y avait des solos et des créations collectives, des formes courtes ou longues, en plein air ou sous chapiteau, faciles d’accès ou très osées. L’Homme de boue appartient sans conteste à la dernière catégorie. La proposition a en effet de quoi déconcerter ceux qui auraient une vision étroite du cirque. Nathan Israël ne recourt à aucune des disciplines circassiennes homologuées. On pourrait certes évoquer le jonglage, mais celui-ci n’est pas spectaculaire et il est pratiqué presque en passant. Car il ne s’agit pas pour Israël de faire de numéro, son numéro. Qu’on se le dise pour n’être pas déçu, on se sent plutôt du côté du ballet ou du théâtre.

De fait, c’est par l’expression corporelle avant tout que l’artiste dévoile les efforts pathétiques d’une créature encore dépourvue de langage pour s’extirper du limon. Or, son talent dans ce domaine est indéniable. Tantôt il bondit avec la souplesse du primate, tantôt il adopte le port altier de l’homo sapiens. Il se contorsionne de désespoir, se traîne pour retrouver le confort de la fange, comme le Robinson de Michel Tournier (1). Son interprétation nuancée, engagée (il faut de la conviction pour jouer par 9 °C à peine dans la boue) ne peut que toucher. Certains riront pour se défendre, mais d’autres auront le ventre noué. Car le personnage nous interroge : ne nous repaissons-nous pas de la vision de ses efforts vains, ne faisons-nous pas de lui une bête de foire ? Et puis ne nous renvoie-t-il pas notre reflet sous une forme mythique épurée ?

À chacun son interprétation

Car, tel Sisyphe (2) qui sans cesse remet son ouvrage, cet homme est aussi le premier homme. Il est encore le Golem, c’est-à-dire, selon le Talmud, Adam avant que Dieu ne lui ait insufflé son âme. Chacun puisera en définitive dans sa mythologie personnelle. Ce qui est sûr, c’est que la force de l’Homme de boue est d’être une œuvre ouverte. Elle l’est d’autant plus qu’aucune phrase ne vient pendant longtemps nous guider et que la mise en scène de Luna Rousseau explore les ressources de la sensibilité.

Par exemple, le travail sur la lumière, difficile en plein air, est pourtant ici délicat. Il nous plonge dans un clair-obscur ou éclaire les traits et les gestes du danseur. Surtout, la création sonore de Théo Girard s’apparente à un poème. Elle associe les mots (psalmodiés, murmurés, enfin proférés) et les musiques d’une manière très belle. Nous sommes ainsi environnés de paroles qui flottent autour de nous, comme la langue de la Genèse. À la fin, comme l’homme de boue parvient à s’élever vers le ciel dans un moment libérateur, on entend alors le verbe de l’écrivain : Claude Louis‑Combet. Ils sont magnifiques !

Au bout du chemin, il y a donc un instant d’une fulgurante poésie. Le personnage y touche les étoiles, et nous respirons d’autant plus largement que nous avons vécu ses affres dans notre chair. C’est loin d’être évident, mais qui a dit que la beauté se laissait apprivoiser aisément ? 

Laura Plas


(1) Dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique, réécriture de Robinson Crusoé, Robinson va se réfugier nu dans la boue pour retrouver les sensations du ventre maternel.

(2) Dans la mythologie grecque, Sisyphe est condamné aux Enfers à rouler indéfiniment un rocher jusqu’à un sommet d’où ce dernier retombera à nouveau vers le vallon, contraignant le damné à recommencer son ouvrage.


L’Homme de boue, de Nathan Israël et Luna Rousseau

Cie La Scabreuse • 28, rue Benjamin-Delessert • 93500 Pantin

06 63 12 37 83

Courriel de la compagnie : lascabreuse@gmail.com

Site : www.lhommedeboue.com et http://la-scabreuse.blogspot.fr/

Site du festival : www.cirquenexon.com

Courriel du festival : info@cirquenexon.com

Conception et interprétation : Nathan Israël

Mise en scène : Luna Rousseau

Texte : Claude Louis-Combet

Création musicale et arrangements : Théo Girard

Création lumières : Vincent Maire

Construction : Napo

Esplanade du jardin des Sens • parc du Château • 87800 Nexon

Réservations : 05 55 00 73 53

Le samedi 16, le vendredi 22 et le samedi 23 août 2014 à 21 h 30, le dimanche 17 et le lundi 18 août à 21 heures

Durée : 1 heure

20 € | 14 € | 8 €

À partir de 10 ans

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26 août 2014 2 26 /08 /août /2014 20:36

Poli fait mouche


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


La compagnie La Pendue revisite les célèbres aventures de Polichinelle dans « Poli dégaine », un spectacle décapant dont l’humour noir et l’inventivité font rire aux éclats. Un petit bijou de théâtre forain pour les petits et les grands.

poli-deegaine-300 denis-et-christelle-gregoireFoutu un temps à la porte de nos théâtres de marionnettes au profit du plus politiquement correct Guignol, Polichinelle a pourtant la peau dure. En cavale depuis plus de quatre cents ans, le revoilà fringant, grossier, méchant et paresseux. Bien malin qui pourra lui faire désormais déserter la petite scène de velours cramoisi. Poli dégaine en effet plus vite que les multiples adversaires qui lui sont opposés, il leur mène la vie dure et leur pète à la figure.

Rien que de très attendu, dira-t-on. À coup sûr ! Mais La Pendue, justement, se délecte (et nous avec) de son inscription dans une tradition. D’abord, les couleurs passées de son petit castelet révèlent les années traversées à jouer les canevas venus de Naples. Le message inscrit en lettres d’or au fronton de celui-ci nous rappelle même que le spectacle puise ses racines encore plus loin : dans l’atellane romaine *. Ensuite, un prologue tout en verve fait l’éloge du « théâtre à l’ancienne ». Enfin, les épisodes (affrontement avec la mort, naissance des enfants) et personnages (le Chien, l’Épouse…) sont repris de la commedia dell’arte. On s’engage ainsi dans une légende dorée, on apprécie les saveurs du temps passé.

Mais la compagnie nous offre aussi le plaisir des décalages. Car, comme son rôle-titre, elle sait être irrévérencieuse, inventive et libre. Elle commence par une explication fantaisiste de l’origine des trois coups, et continue par un dialogue avec le public (et les mômes qui y appartiennent, en particulier), ou des combats dignes de films d’arts martiaux, castagne et ralentis compris. Nous en omettons évidemment, pour vous laisser la surprise. Les comédiens donnent aussi au spectacle un rythme trépidant en grossissant le trait, en multipliant les gags. Résultat garanti : petits et grands sont pliés de rire.

L’enfance retrouvée

C’est que, justement, Polichinelle nous plonge dans un bain de jouvence. Transgressif, il garde en effet un morceau d’innocence. Il refuse par ailleurs les responsabilités inhérentes au monde ennuyeux des adultes (la paternité, le travail). Il change d’état d’un instant à l’autre, nous faisant passer de la peur au soulagement. Tantôt il nous choque, tantôt il nous met de son côté, comme un gamin. Or, Estelle Charlier et Romuald Collinet, en plus d’être des manipulateurs de talent, ont conservé cette part d’enfance qui brille dans leurs yeux et apparaît dans leurs facéties. Grâce à eux, parce que nous sommes au royaume du jeu, du « même pas mal ! », tout est possible. Le spectacle présente ainsi des scènes d’anthologie où la Faucheuse se fait rouler dans la farine, où Poli fait la peau à la mort, passe sa progéniture à la casserole, assomme son prochain, vole, ronfle, jouit. Nul n’est épargné : les frontières s’abolissent : on est en pleine catharsis et ça procure de la joie !  Plaisir garanti ! 

Laura Plas


* Du latin (fabulae) attellanae, nom d’un type de comédie bouffonne de la Rome antique.


Poli dégaine, de La Pendue

Cie La Pendue • chemin de la Vie, la Côte • 38320 Herbeys

06 19 60 93 63

Courriel de la compagnie : contact@lapendue.fr

Site : www.lapendue.fr

Site du festival : www.cirquenexon.com

Courriel du festival : info@cirquenexon.com

Mise en scène et interprétation : Estelle Charlier et Romuald Collinet

Conception et scénographie : Romuald Collinet

Marionnettes : Estelle Charlier

Conseiller : Romaric Sangars

Photo : © Denis et Christelle Grégoire

Chapiteau Bang Bang • parc du Château • 87800 Nexon

Réservations : 05 55 00 73 53

Le vendredi 22, et samedi 23 août 2014 à 19 heures

Durée : 1 heure

20 € | 14 € | 8 €

À partir de 7 ans

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25 août 2014 1 25 /08 /août /2014 16:57

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23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 21:37

Prenez l’air à Rennes
en musique


Par Jean-François Picaut

Les Trois Coups.com


S’il est un rendez-vous incontournable à la fin de l’été, pour les Rennais mélomanes, c’est bien Grand air. Ce festival symphonique et populaire propose, cette année, du 28 au 31 août, quatre soirées mêlant musiques actuelles, symphoniques, lyriques et une formule pour le jeune public. Tout cela se passe à la Halle du Triangle et dans la cour de la Banque populaire de l’Ouest.

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Camille Thomas | © Alexandre Moulard

Depuis des lustres désormais, Grand air marque la fin de la période d’été à Rennes. Ses concerts gratuits sont une vraie fête musicale, tant pour la ville que pour le quartier du Blosne où se trouve la halle du Triangle, cœur de ce festival.

Manifestation de plein air, populaire, éclectique, conviviale et festive, Grand air regroupe quatre soirées pour terminer l’été en beauté, sur une note mélodieuse. Cette année encore, la programmation mêlera musiques classique et actuelle, grands airs d’opéra, et mettra aussi un accent tout particulier sur la jeunesse. On pense à la carte blanche aux lauréats de la Fondation Banque populaire, mais également à l’invitation faite à l’Orchestre des Jeunes de Haute-Bretagne.

Une fois n’est pas coutume, la semaine festive commencera avec le traditionnel concert pique-nique de Grand air (jeudi 28 août, jardins du Triangle). Celui-ci sera dédié aux années 1960 et 1970, avec deux groupes locaux : Please, spécialiste du rhythm and blues des années soixante, au répertoire puisant de Wilson Pickett à Tina Turner, et de Nino Ferrer à Albert King ; et Strawberry Fields, un collectif d’hommage aux Beatles.

Pour la première soirée philharmonique (vendredi 29 août), carte blanche sera donnée aux instrumentistes de l’Orchestre des Jeunes de Haute-Bretagne, avec un programme imaginatif digne de l’Orchestre symphonique de Bretagne, entre musiques de film (Bernard Herrmann, Frédérick Loewe), psychédélisme et accents sud-américains (Arturo Marquez). Ensuite, l’Orchestre symphonique de Bretagne lui-même, sous la direction de Darrell Ang, prendra le relais pour proposer sa « Pastorale d’été », pleine d’esprit et de légèreté. Ce sera l’occasion de découvrir le talent des lauréats de la Fondation Banque populaire, Fédor Roudine (violon) et Camille Thomas (violoncelle), dans deux concertos d’anthologie de Schumann et Mendelssohn. Cette soirée s’achèvera en beauté avec la Symphonie nº 6 de Beethoven, la Pastorale.

La journée du 30 août sera celle des enfants et de la musique de chambre. Créé en février 2014 par les interprètes de l’O.S.B. et Richard Dubelski, comédien, Oscar et le Gosier de la baleine est un conte musical, inspiré d’un texte de Rudyard Kipling, porté par le quintette de Jean Cras, dans lequel Oscar, petit poisson malicieux, est confronté au cétacé mythique. Rendez-vous est donné aux plus jeunes à 18 heures, dans la cour de la Banque populaire de l’Ouest à Rennes. Pour la soirée, les jeunes solistes de la Fondation Banque populaire, avec la complicité du quatuor Girard, auront carte blanche pour faire (re)découvrir aux festivaliers deux fabuleuses œuvres romantiques, la Sonate pour violon et piano de César Franck, et le Quintette en ut majeur de Franz Schubert.

Pour le dimanche 31 août – peut-on parler d’un rituel de fin d’été ? –, Grand air proposera, pour la troisième année consécutive, une séance symphonique et lyrique. L’O.S.B., sous la direction de Darrell Ang, permettra d’identifier deux talents débutants, de la dernière promotion du Jette Parker Young Artists Programme du Royal Opera House, Covent Garden à Londres (Susana Gaspar, soprano et Pablo Bemsch, ténor). La soirée sera mozartienne en diable avec des ouvertures, divertimentos et arias de Wolfgang Amadeus Mozart.

Depuis 1989, la Banque populaire de l’Ouest, l’Orchestre symphonique de Bretagne et la ville de Rennes sont associés pour proposer ces soirées « Grand air ». Ce festival urbain et symphonique, unique en France, est un moment rare où se mélangent toutes les musiques et se côtoient tous les publics. L’édition 2014 marque une étape puisque Grand air « prend le large » en jouant non seulement à Rennes (notamment au centre pénitentiaire des femmes), mais aussi dans plusieurs autres villes du Grand Ouest, dont Quimper et Douarnenez. 

Jean-François Picaut


Grand air, festival symphonique et populaire à Rennes

Du 28 au 31 août 2014

Orchestre symphonique de Bretagne • 42 A, rue Saint-Melaine • B.P. 30823 • 35108 Rennes cedex 3

Tél. 02 99 275 276

Site : http://www.o-s-b.fr

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22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 18:26

Féminin pluriel


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


Dans un spectacle où souffle un vent de liberté, Jeanne Mordoj poursuit son exploration des facettes du féminin. Un moment rare où la grâce côtoie la monstruosité.

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« la Poème, pièce courte » | © Bertrand Gaudillière / Item

Les œuvres de Jeanne Mordoj explorent la thématique du féminin. Après Trois petits sous, Chez moi et Éloge du poil, elle propose au festival La Route du Sirque le dernier de ses solos : la Poème. Impossible de résumer cette création qui ne dure pourtant qu’une trop courte demi-heure. L’artiste y mêle les pratiques (chant, contorsion, jonglage) comme les ambiances. De fait, si le spectacle nous prend d’abord à la gorge avec une mélopée, il nous fait rire ensuite pour mieux produire enfin le mystère. On passe donc par une série d’émotions : chapeau !

En conséquence, cette profusion n’est pas une faiblesse. Au contraire, elle démontre la grande liberté d’une artiste qui ne manque pas de cordes à son arc. Par ailleurs, elle permet de présenter de multiples facettes du féminin. La comédienne semble ainsi nous suggérer que toute définition est vaine, car les contraires coexistent et une part d’ombre subsiste *. L’opacité d’ailleurs est reine dans la Poème. Elle est sculptée comme une matière. Grâce au travail très délicat sur les lumières de Claire Villard, on a l’impression en effet que la réalité, prosaïque, s’est abolie. Ne reste plus alors que la fine piste où l’artiste évolue, cette presqu’île qui nous ouvre les portes d’un monde à part. Là, les métamorphoses les plus improbables sont possibles.

Femme-poule

Ainsi, Jeanne Mordoj se présente-t-elle d’abord comme une femme poule. La contorsionniste a l’art de suggérer, non seulement dans sa démarche, mais aussi dans ses mimiques, un gallinacé. On se souviendra d’ailleurs sûrement avec tendresse du chant qu’elle entonne avec liesse pour célébrer une étrange ponte. Ensuite, grâce à un vrai talent de jongleuse, elle fait surgir de son corps des œufs. Elle les ingurgite encore, les régurgite et les fait danser sur sa peau. Et son corps lui-même se métamorphose, comme dans une œuvre d’Arcimboldo, en œuf. Seins, ventre, fesses : tout ce qui fait aux yeux de M. Tout-le Monde la féminité prend cette forme. Il y a donc là une intéressante problématisation de la figure de la femme comme mère, comme mère poule, comme ventre.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car cette comique créature se transforme encore en un être mystérieux. À ce moment du spectacle, l’œuf est  employé davantage comme matière. Il fournit une sorte de peinture dont se badigeonne l’artiste dans un rite étrange. Le monde domestiqué de la basse-cour (et de la maternité) étant évacué, on touche à quelque chose d’archaïque ! Certains en sont même effrayés ou offusqués dans le public. L’animal devient alors la bête, voire le monstre. C’est saisissant. En tout cas, le chant, que pratique pour la première fois Jeanne Mordoj avec talent, et la qualité esthétique du spectacle nous accrochent. En outre, comme il n’y a pas de texte pour fermer le sens, nous pouvons pleinement profiter des impressions confuses qui nous assaillent et formuler en toute liberté des interprétations multiples. La Poème est donc une création insolite dont on ne sort pas indifférent. 

Laura Plas


* Et l’on dira sans doute la même chose du masculin.


La Poème, pièce courte, de Jeanne Mordoj

Compagnie BAL

06 15 16 67 32

Courriel de la compagnie : diffusion@jeannemordoj.com

Site : www.jeannemordoj.com

Site du festival : www.cirquenexon.com

Courriel du festival : info@cirquenexon.com

Création et interprétation : Jeanne Mordoj

Création sonore : Isabelle Surel

Création lumières et régie générale : Claire Villard

Regard extérieur : Julie Denisse

Chapiteau Bang Bang • Orangerie du château de Nexon, 6, place de l’Église • 87800 Nexon

Réservations : 05 55 00 73 53

Mercredi 20 août et jeudi 21 août 2014 à 19 h 30

Durée : 30 minutes

10 € | 5 €

À partir de 14 ans

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21 août 2014 4 21 /08 /août /2014 20:24

Dans les bois…
on peut se perdre !


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


« Dans les bois » apparaît comme un chantier plutôt qu’un spectacle abouti. Dans ce bois touffu, on trouve plein d’idées, mais pas de vraie piste. On adore, on se perd ou l’on reste à l’orée.

la-route-du-sirque-2014-300 Cette année, la route du Cirque est devenue route du Sirque (du nom du pôle régional de formation : le Sirque). Par le « s », le nouveau directeur du festival, Martin Palisse, a aussi tenu à souligner la diversité des pratiques circassiennes représentées. Ainsi, il permet au Lonely Circus d’exposer ses talents au cours d’un concert et de deux spectacles. Dans les bois est l’une de ces deux créations. Cette forme courte, née d’une commande pour les Sujets à vif, met en piste trois artistes très différents : un fildefériste, Sébastien Le Guen, un musicien, Jérôme Hoffmann et un contrebassiste-slameur : Dgiz.

Ces interprètes nous invitent à une étrange balade dans les bois. Tout commence comme une œuvre de Perrault : un personnage se risque dans une forêt qu’abrite un grand méchant loup… Cependant, le Petit Chaperon rouge a laissé place à un gaillard balèze en jogging écarlate que déséquilibre sans cesse un loup facétieux et rageur. L’idée d’actualiser le conte avec des musiques urbaines est amusante. D’ de Kabal avait su en faire d’ailleurs un délicieux spectacle, le Petit Chaperon en sweat rouge, où le théâtre dialoguait heureusement avec le slam et le human beat box. Ici aussi, le loup a un micro, et aboie sa colère, tout en jouant parfois le rôle de narrateur.

L’art du frisson

Mais l’intérêt de cette réécriture libre et déjantée est surtout, selon nous, de proposer une réflexion sur la peur et le plaisir qu’elle génère. En effet, comme l’enfant qui est suspendu aux lèvres du conteur et attend l’épisode de la dévoration avec impatience, le spectateur frémit d’anxiété et de joie lorsqu’il suit les déplacements improbables de Sébastien Le Guen sur des tasseaux. De surcroît, un ingénieux système de sonorisation nous permet de temps à autre d’entendre le rythme cardiaque de l’acrobate, d’assister donc à ses émois. Ces battements résonnent alors dans notre propre cage thoracique. On pressent une réflexion sur la fragilité, l’accident… Dommage que tout cela soit simplement esquissé, comme si on était face à une étape de travail.

Dans les bois conserve en effet quelque chose de foutraque. En particulier, Dgiz saute du coq à l’âne, du département du 93 à la politique écologiste, pour évoquer l’amour en passant. Sa liberté verbale peut faire sourire, mais elle nous étourdit et nous perd un peu. On accroche… ou pas. À la sortie du chapiteau, deux petites filles bondissaient en disant qu’elles avaient trouvé le spectacle super et rigolo. D’autres personnes ont apprécié ces turbulences en y décelant un principe dramaturgique. Mais on peut aussi penser que les jeux sur la langue sont un peu faciles (répétitions sur les sons, les préfixes) comme les références à l’actualité. On peut regretter de même l’éclatement du propos. Enfin, si on rêvait d’odeurs et d’ambiances de bois, de merveilles obscures, on sera alors déçu… Chacun fera en tout cas son chemin dans ce bric-à-brac.

En définitive, selon nous, le spectacle présente un intéressant dialogue entre le slam et la composition musicale riche de Mathieu Hoffmann. Quant à Sébastien Le Guen, il a quelque chose de touchant en héros dérisoire, confronté à l’échec ou à la perte. Mais on conseillera vraiment de voir plutôt Fall, Fell, Fallen, moins verbeux, moins explicite, plus mystérieux. 

Laura Plas


Dans les bois, du Lonely Circus

Lonely Circus • pôle associatif • boîte nº 2, allée des Trimarans • 34540 Balaruc-les-Bains

06 83 35 71 28

Courriel de la compagnie : lonelycircus@hotmail.fr

Site : http://lonelycircusweb.free.fr/lonelycircus/DlB.html

Site du festival : www.cirquenexon.com

Courriel du festival : info@cirquenexon.com

Conception et performance : Jérôme Hoffmann (déséquilibres sonores) et Sébastien Le Guen (équilibres sur objets), Dgiz (slam et contrebasse)

Lumières : Marie Robert

Régie : Vivien Sabot

Chapiteau Bang Bang • parc du château de Nexon • 6, place de l’Église • 87800 Nexon

Réservations : 05 55 00 73 53

Mercredi 20 août 2014 à 18 h 30 et vendredi 22 août à 11 h 30

Durée : 30 minutes

10 € | 5 €

À partir de 10 ans

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