Des marionnettes en ocre
Pour sa 14e édition, au rythme d’une triennale, le Festival mondial des théâtres de marionnettes a su parer Charleville-Mézières de dix jours d’art, d’ardeur, d’ambiance festive, familiale et conviviale.
Ce festival est un ensemble, du reste très bien construit. D’abord, les arts de la rue, dont la dimension sociale élargit la visibilité des arts de la marionnette à tous. C’est ainsi une agréable sensation de flânerie, de liberté, d’accrocher ou non à un spectacle, de glisser une pièce dans le chapeau du bateleur, de croiser sur la place Ducale les déambulations de créatures extraordinaires. Les charmes de la ville alliés aux arts de la rue font que d’emblée le festivalier se sent tout à fait in.
Puis, on oublie la thématique annoncée et mise en exergue « Autour de la Méditerranée » pour garder l’éclectisme, la diversité, la pluralité, dont la programmation a tiré sa grande richesse. D’expositions en spectacles, il y a toujours à découvrir, à s’émerveiller. Aussi, on s’étonne constamment devant les techniques de manipulations variées : à fils, gaines, d’ombres, tringles, sur table, mains, d’objets… Une autre magie réside dans le matériau, non pas dans sa forme originelle, mais plus dans l’intervention humaine, imaginaire et sensible, technique et précise, du marionnettiste.
Dans le spectacle intitulé Kratochvil de la compagnie suisse Vagabu, le matériau choisi est le fil de fer. Sous les projecteurs, le fil de fer change de matérialité. L’opacité d’un fil de fer, grillagé, devient transparente. On ne fait plus attention au plein de ce matériau, mais au vide, aux zones non remplies. Tout comme le personnage Kratochvil est vide, creux, transparent.
Autre magie des arts associés, le spectacle Angel, de la compagnie des Pays-Bas Duda Paiva, a témoigné d’une subtile alliance des arts de la danse et de la marionnette. L’un sans diminuer l’autre. Le marionnettiste a joué la carte de l’illusion, s’est totalement effacé au profit de sa marionnette. Fait de mousse avec ses rondeurs et son profil d’enfant, cet ange a ému plus d’un spectateur. Animisme garanti ! Malgré sa version anglaise, l’émotion a trouvé ses véhicules : par le corps du danseur (clochard) dans des élans d’ivrogne, des torsions éthyliques, une lutte angélique pour un baiser de la mort et par une musique qui cravate la gorge avec un gros nœud de tristesse. Néanmoins, une traduction écrite de la narration proposée à la sortie du spectacle aurait réconcilié plus d’un Français avec l’anglais.
Bien d’autres choses encore : les arts numériques multipliant les espaces virtuels, les angles de vue des spectateurs ; les marionnettes traditionnelles étrangères porteuses d’une culture ethnologique et théâtrale éloignées de nos propres schémas. De la narration à son absence ; de la continuité à la fragmentation ; du récit au dialogue ; du pathos à la bouffonnerie ; de la baraque foraine au théâtre municipal…
Ce fut un festival où tout s’est joué, qui a su montrer son ouverture au monde et sa perméabilité aux esthétismes divers. Des images fortes sont dans les esprits jusqu’au prochain rendez-vous… Dans trois ans ? Deux ans ? Le pari de la biennale sera-t-il gagné ? ¶
Christine Trolet
Les Trois Coups
XIVe Festival mondial des théâtres de marionnettes
Charleville-Mézières
Du 15 au 24 septembre 2006