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8 février 2008 5 08 /02 /février /2008 20:17

Le verbe peine à se faire chair

 

Jupe bleue, formulaire bleu, balayette bleue… Dans le monde uniforme et blafard de l’A.N.P.E., tranche le costume rouge vif d’un Ohne « sans » travail, « sans » prénom, « sans » bagage, « sans » langage… Ses manières débraillées et ses mots en désordre contrastent avec la norme, grippent un système rodé.

 

La même histoire se renouvelle en trois volets, répliques d’un même drame. Ohne vient solliciter un travail, avec ses mots à lui, forcément maladroits. Il enchaîne les quiproquos avec un employé tour à tour impatient, condescendant, maniaque, séducteur, débordé… qui s’éreinte à « finir monsieur » et à le faire entrer dans les cases de son questionnaire. Avant que la mère défunte d’Ohne, telle un spectrum ex machina, un fantôme jailli des coulisses, permette au drame de trouver une issue.


Les précédentes représentations de cette pièce de Dominique Wittorski, qui mêle le tragique au burlesque, avaient manifesté combien le langage fragmentaire d’Ohne, son histoire chaotique, l’avaient relégué aux franges d’une société qui tend à faire entrer dans une norme rassurante. Dans cette nouvelle et magistrale adaptation, les trois comédiens jouent tour à tour chaque personnage. Notables sont l’énergie d’Ève Herszfeld, successivement raide, affolée et fébrile, et les postures de Cédric Leproust, qui passe de l’échalas à la créature voluptueuse, façon Ardant.

 

Au-delà des performances de comédien qui ravissent, cette mise en scène d’Anne Évrard brouille à dessein la distribution des rôles. Ce n’est plus dans le seul costume azuréen de l’employé dans lequel chacun peut se glisser, mais dans celui de chacun des personnages : Ohne lui même peut devenir le signifiant de notre propre bafouillage, de notre inadaptation au monde.


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Le propos de la pièce en est renouvelé : plus qu’une dénonciation des excès normalisateurs de notre société ou de la nécessité du langage comme moyen d’intégration, elle interroge au plus intime sur le rapport de la pensée au mot, et du mot au corps qui le porte.


Le verbe d’Ohne peine à se faire chair. Son corps malhabile ne cesse pourtant de crier ses besoins et de se manifester dans toute son épaisseur : long, court, brusque, apathique, vigoureux… comme lieu de mémoire, de stabilité, d’existence face à une logique qui écrase, à une raison qui se rassure à moindre frais.


Ohne, celui qui est « sans ». Sans quoi ? La pièce s’achève sur cette taraudante question… Sans lien, tant social qu’intime ? Cette mère d’outre-tombe, qui renoue le dialogue, surgit pourtant du tréfonds de son inconscient. Sans espérance ? Ce messager de l’au-delà lui fait pourtant entrevoir un temps où il pourra enfin dire je, reconstituer le puzzle de ses phrases, trouver le sens de ses actions. Sans attaches ? Sans identité ? Sans norme ? Sans raison ?… Il reste à l’Ohne qui sommeille en chacun de répondre à son tour. 


Olivier Pradel

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Ohne, de Dominique Wittorski (2002)

Mise en scène : Anne Évrard, assistée de Cédric Leproust

Avec : Cédric Leproust, Ève Herszfeld, Fabrice Riou, les chanteurs Maïlis Dupont, Marine André, Nicolas Audebaud et la pianiste Alice Béhague

Chansons : textes d’Anne Évrard, musique d’Alice Béhague

Décors : Thierry Grand et la compagnie Vita brevis

Lumières : Anne Évrard et Cédric Leproust

Costumes : compagnie Vita brevis

Texte édité par Acte Sud-Papiers.

Durée : 1 h 30

Théâtre de la Jonquière • 88, rue de la Jonquière • 75017 Paris

Les 6, 7, 8 et 9 février 2008 à 20 heures

Réservations : 01 46 07 25 24 ou par S.M.S. au 06 19 58 39 62

13 € | 11 €

Ensuite :

Théâtre Pixel • 18, rue Championnet • 75018 Paris

Du 10 février au 30 mars 2008, les vendredi et dimanche à 19 h 45

Réservations : 01 42 54 00 92 ou par S.M.S. au 06 19 58 39 62

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commentaires

J
Dommage qu'il n'y ait mot sur le troisième acteur et sur les chanteurs à mon avis d'humble amateur ... La mise en scène n'est complète que par leur complicité à tous et le rire se fait de plus en plus présent au fur et à mesure des scènes, des chants.A voir ...
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