Une mascarade pour les snobs
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups.com
Le Théâtre de la Bastille monte le son, fait péter les décibels et hurler les woofers. Gisèle Vienne mène le bal : elle a invité ses amis les Perchten, a convoqué le pape de la psychanalyse, deux trois arguments intellectuallo-philosophiques un brin fumeux et un métalleux inspiré pour une mascarade bruyante. La bacchanale fait brr, dzim-boum-boum et… bling-bling, sinon toc.
Représenter l’effroyable et la mort. Brr… voilà qui va faire du bruit. Il nous faudra un cercueil d’abord, histoire de bien comprendre de quoi l’on parle, puis un paysage blanc de neige baigné de brume sous une lumière blafarde, un peu de violence et du sang aussi – oh, que c’est inquiétant ! On y mettra des Perchten pour l’exotisme, des grosses bêtes poilues avec des fouets et des grelots qui font gling-gling – ciel, que c’est étrange ! Il nous faudra du sexe aussi, ça c’est pour le fantasme. De la musique forte, très forte – on vous distribue des petites choses bigarrées à l’entrée, ce sont des boules Quiès, pas des berlingots : il serait téméraire de les refuser – et quelques répliques nébuleuses (en anglais non surtitré), aussi. Pour faire profond. Inquiétude plus étrangeté plus fantasme égale « inquiétante étrangeté » sauce freudienne ?
Pas si simple. De fait, si les premiers moments du spectacle évoquent un univers à la croisée de la tradition gothique germanique (les Perchten) et de l’univers fantasmatique de Lynch, si l’on se met à espérer entendre vibrer nos cordes sensibles, on perçoit pourtant vite les grosses ficelles de la mystification aux artifices faciles. Là où la tradition joue sur un inconscient collectif et familier dans lequel on se reconnaît, là où la catharsis est rendue possible par une identification symbolique, là où, par exemple, Lynch au cinéma et Castellucci au théâtre, métaphorisent et introduisent la « différance » d’un récit qui prend la réalité et la reconstruit, la re-présente en somme, Gisèle Vienne, elle, présente simplement. Et avec quelques complaisances, si bien que sa danse macabre tourne à la mascarade, qui ravira les snobs.
Rien de désagréable, cependant, juste un propos un peu vide enveloppé dans une charmante et belle chorégraphie, par ailleurs interprétée par des comédiens convaincus et orchestrée par un guitariste excellent. On peut donc aimer, être séduit, mais ému, commotionné, travaillé, malheureusement non. Bref, c’est assez divertissant, plutôt complaisant et finalement sans conséquence. ¶
Cédric Enjalbert
Kindertotenlieder
Conception de Gisèle Vienne
Texte et dramaturgie de Dennis Cooper
Musique de K.T.L. (Stephen O’Malley et Peter Rehberg)
Avec : Jonathan Capdevielle, Margrét Sara Gudjónsdóttir, Élie Hay, Guillaume Marie, Anja Röttgerkamp ou Anne Mousselet
Scénographie : Philippe Marioge
Conception robots : Alexandre Vienne
Création poupées : Raphaël Rubbens, Dorothéa Vienne-Pollak, Gisèle Vienne, assistés de Manuel Majastre
Création masque en bois : Max Kössler
Maquillage : Rebecca Flores
Coiffure des poupées : Yury Smirnov
Théâtre de la Bastille • 75, rue de la Roquette • 75011 Paris
Réservations : 01 43 57 42 14
Du 24 au 29 avril 2008 à 21 heures
Durée : 1 h 10
20 € | 13 €