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8 mai 2008 4 08 /05 /mai /2008 11:03

Candide politique

 

« Pantagleize », tragédie vaudevillesque de Ghelderode, est transposée par Philippe Awat dans l’univers d’un polar des années 1950. Il sort de ce détonnant mélange une irrésistible alchimie, mêlant le rire à nos désillusions du politique.

 

Les Anciens conseillaient de confier aux philosophes les destinées du monde. Pouvait-il en être de même en 1930, dans une Europe qui sortait d’un conflit mondial avant de se précipiter dans un autre, quand le dramaturge belge Michel de Ghelderode écrivait Pantagleize ? Dans cette fable philosophique aux allures de vaudeville, Pantagleize, un philosophe à la petite semaine, raté comme il en convient lui-même, constate le jour de ces 40 ans que le destin auquel il aspire ne s’est pas encore réalisé. À son corps défendant, cette journée va devenir son « grand soir », et malheureusement son dernier : son destin tant attendu va se déployer en une seule journée, le transformant en déclencheur involontaire d’une révolution qui très vite le dépassera.


Tout se passe donc en un jour, à une époque indéfinie puisque Philippe Awat a choisi de faire jouer aujourd’hui cette pièce dans l’univers des films policiers des années 1950. Ce concentré de temps, là où l’unité de lieu n’est pas maintenue, signifie combien le cours d’une vie, l’histoire d’un peuple, peut basculer quand son kairos, son « moment favorable », advient. Mais le personnage de Pantagleize ne s’en saisit pas, tout au plus se laisse-t-il ballotter par lui.


La deuxième idée forte de Ghelderode – et il annonce en cela le propos de Giraudoux dans La guerre de Troie n’aura pas lieu… – est que le cours des évènements échappe en grande part à leurs acteurs et qu’il est conduit par un destin inexorable. Ce flot d’une vie humaine dont l’homme n’est guère responsable est évoqué avec ingéniosité par l’installation et les déplacements du décor, d’une très grande fluidité et dont les modules sont mus par les comédiens eux-mêmes, que le spectateur devine plus qu’il ne les voit. Le décor du monde semble se mettre en place par lui-même, avec parfois et non sans humour l’apparition ex nihilo d’une plante verte, d’un portemanteau ou autre radio…


Pantagleize offre un regard désabusé sur une action politique dont les acteurs sont précédés par les évènements qu’ils veulent provoquer, dont les théoriciens sont naïfs voire bêtes, dont les opposants se révèlent in fine les seuls vainqueurs… et montre l’inanité du politique.



Bruno Paviot incarne un clownesque Pantagleize : ce héros d’une révolution illusoire – inconscient de la portée de ses actes, du poids historique d’une phrase anodine qu’il prononce et qui se révèlera le signe déclencheur de cette révolution – traverse le monde en candide sans en être atteint, au moins jusqu’à son heure ultime qui déchirera le voile de sa naïveté. Il rencontre un comité révolutionnaire rocambolesque : Inocenti, ombrageux barman, que Florent Guyot revêt du style d’un mafieux italien ; Bam-Boulah, majordome magouilleur de Pantagleize, auquel Gora Diakhaté donne des accents de vieille pub Banania ; le poète Lekidam, pour lequel Jean-Charles Delaume déploie son verbe avec panache et préciosité ; la pasionaria Bergole, enfin, incarnée avec nervosité par Sandrine Bounhoure.


Du côté de la révolution toujours, Pantagleize rencontre une sublime poupée, aux formes généreuses, galbées de noir, une pin-up de magazines : la ténébreuse Rachel. Tout comme la mythique Rachel biblique, cette jeune femme juive sera pour Pantagleize la révélatrice d’un amour acquis au prix d’une longue conquête, jamais pleinement possédé. Elle sera aussi son initiatrice politique, le poussant à des actes héroïques, lui révélant une mystique de la révolution, comme nouvelle Création et nouvelle libération de l’Exode, nourrie d’emprunts bibliques et puisée dans un christianisme qui n’a cessé de fasciner Ghelderode. Elle fait de lui un sauveur, un libérateur, un messie providentiel… rôle qu’il consentira à endosser pour mieux lui plaire.


Face aux révolutionnaires, se faufile tout au long de la pièce Posaume, un bien mystérieux agent du gouvernement. Toujours du côté de la réaction, un bureau militaire loufoque nous offre un moment d’anthologie, hilarant, porté par Jean-Marc Charrier en général Mc Boum, idiot apeuré par sa propre ombre, et par l’excellente Magali Pouget en chef de bureau boulotte tentant vainement de circonscrire les bêtises de son supérieur. Nous la retrouverons un peu plus tard, cette fois-ci en avocate petite-bourgeoise, avec des postures et expressions qui ne sont pas sans rappeler la meilleure Balasko.


Que ce soit dans l’esthétique très sombre, les décors et les costumes, jusqu’à ces courses poursuites et ces meurtres suggérés par des projections syncopées qui rappellent les films d’action ou les comics de l’après-guerre, Awat nous emporte dans un univers soigné, investi par une troupe au jeu d’égale qualité. Avec ce Pantagleize, l’œuvre de Michel de Ghelderode est servie avec un bien grand talent. 


Olivier Pradel

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Pantagleize, de Michel de Ghelderode

Mise en scène : Philippe Awat

Assistant à la mise en scène : Jean-Charles Maricot

Avec : Sandrine Bounhoure (Bergole), Anne Buffet (Rachel), Jean-Marc Charrier (général Mc Boum), Jean-Charles Delaume (Lekidam, le sous-chef de bureau), Gora Diakhaté (Bam-Boulah), Florent Guyot (Inocenti), Bruno Paviot (Pantagleize), Magali Pouget (le chef de bureau, l’avocate distinguée), Lionel Robert (Posaume)

Scénographie et accessoires : Grégoire Faucheux

Lumière : Nicolas Faucheux

Création sonore : Victor Belin, Antoine Éole

Vidéastes : Michaël Dusautoy, Frédéric Pierre

Régie générale et vidéo : Frédéric Pierre

Costumes : Dominique Rocher, assistée d’Elsa Capus

Perruques : Catherine Saint-Sever

Maquillages: Nathalie Casaert

Théâtre des Quartiers-d’Ivry - Antoine-Vitez • 1, rue Simon-Dereure • 94200 Ivry

Métro : Mairie-d’Ivry

Réservations : 01 43 90 11 11

www.theatre-quartiers-ivry.com

Du 5 mai au 1er juin 2008, à 20 heures les mardi, mercredi, vendredi et samedi ; à 19 heures le jeudi ; à 16 heures le dimanche, relâche le mercredi 7 mai et tous les lundis

Durée : 1 h 50

19 € | 12 € | 9 €

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