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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 20:54

Pina Bausch, rentrez
dans l’enfance


Par Cédric Enjalbert

Les Trois Coups.com


« 1980‑Une pièce de Pina Bausch ». Trente‑deux ans ont passé depuis la création. La distribution a changé, mais rien n’est perdu de la fantaisie, de la noirceur et de la profondeur de cette ravissante chorégraphie fleuve de « danse‑théâtre », reprise au Théâtre de la Ville.

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« 1980‑Une pièce de Pina Bausch » | © Ulli Weiss

La danse comme alternative à la reproductibilité de l’art, dernier bastion de l’éphémère, du contemporain, souffle encore le chaud du dévergondage. « Soupape de l’âme » dit bellement Hervé Guibert. Sur ces terres de liberté conquise, Pina Bausch, décédée subitement en 2009, est passée maître. Conceptrice d’un théâtre‑dansé, elle invite sur scène des comédiens-danseurs avec leurs histoires, leurs intonations, leurs improvisations et leurs aspérités.

Dans 1980, elle les propulse sur un immense gazon anglais encore parcouru de moucherons, odorant et terreux. Un chevreuil empaillé dans un coin au loin, une caméra à l’opposé, qui épie. Qui épie quoi ? La mascarade d’une ribambelle de danseurs vêtus aux couleurs de la bonne société, des conventions, aux couleurs des endimanchés et des eaux‑tièdes, des gênés-aux‑entournures et autres mal‑engoncés, enfants trop vite vieillis. Nous tous. En musique, ils entrent en esquissant une marche. Ils serpentent sur le green, tels les cygnes du célèbre lac, tout sourire, glissant dans la salle, entre les rangs. Garder la face s’affiche en grosses lettres sur leur visage.

Jouant à colin‑maillard

Peu après, les voici s’adonnant à des rituels singuliers, une mosaïque grotesque de comportements si personnels, déportés hors de la sphère des conventions, jouant à colin‑maillard, à dada, à la ronde dans leur pré carré. Une réminiscence du passé, de l’enfance, rattrape ces « vieux‑jeunes » fugitivement libérés des contraintes, travaillés par le regret d’un je‑ne‑sais‑quoi.

Esseulés en groupe, tantôt grands enfants ou jeunes adultes, pris dans un grand écart entre les conventions et l’impossibilité de s’y tenir, tenant d’un bout leur corps, gardant de l’autre la face, les comédiens-danseurs de Pina Bausch manient la beauté des contradictions. Miroirs tendus à chacun, ils se grandissent à la hauteur de « types ». On s’y reconnaît et on s’y abîme, le temps passant.

Les ans ont passés, eux aussi, depuis la création à Avignon en 1980, mais la formidable Mechthild Großmann, femme forte qui « a la frite », surenjouée par tout ce qui la traverse, éructant ce rire suspect trop fort pour être franc, apanage des gens heureux, trop heureux, hoquetant sa force d’y croire, est encore de la troupe. Elle reprend son rôle. Des leurs aussi, Lutz Förster. Touchant gentleman à la jambe vacillante, grand échalas élégant, il planque son inconfort sous une incroyable prestance. Nazareth Panadero emporte tout sur son passage, tanguant elle aussi, embarquée par sa propre fougue.

Toute la couleur de l’humain

Le désespoir et la nostalgie qui se dégagent de ces agitations dans le pré du passé, dans ce terrain vague de la mémoire et de l’enfance, est un désespoir du manque, imprimé en creux, jamais saillant. La vingtaine de comédiens-danseurs déploie toute la couleur de l’humain, pathétique quand il s’ébat pour rester digne. « Pina Bausch donne à des enveloppes ordinaires des statures de héros, de symbole » poursuit si justement l’esthète Hervé Guibert. Ils charment.

Le spectacle joue avec le temps, ce qui ne lui interdit pas des longueurs. La seconde partie, constituée de longues improvisations, se perd en répétitions et lasse. Mais une image magnifique achève cette longue chorégraphie. En quelques brefs tableaux, l’ensemble du chemin parcouru repasse comme l’on reprend un rêve au réveil, par bribes, ne retenant que les clés de ce voyage aux tréfonds, ravivant des images à peine évanouies.

1980 n’a pas vieilli. Le spectacle court jusqu’au 4 mai 2012. Il reste donc encore quelques jours pour rentrer dans l’enfance. 

Cédric Enjalbert


1980‑Une pièce de Pina Bausch

Mise en scène et chorégraphie : Pina Bausch

Avec : Regina Advento, Ruth Amarante, Mechthild Großmann, Lutz Förster, Barbara Kaufmann, Ditta Miranda Jasjfi / Cristiana Morganti, Daphnis Kokkinos, Eddie Martinez, Nazareth Panadero, Helena Pikon, Jean‑Laurent Sasportes, Franko Schmidt, Azusa Seyama, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Aida Vainieri, Yu Tsai‑chin

Magicien : Reiner Roth

Violon : Yves Melon

Harmonium : Christian Theven

Gymnaste : Peter Sandhoff

Décor : Peter Pabst

Costumes : Marion Cito

Dramaturge : Raimund Hoghe

Collaboration : Hans Pop

Théâtre de la Ville • 2, place du Châtelet • 75004 Paris

Réservations : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

Du 20 avril au 4 mai 2012 à 19 h 30

Durée : 3 h 35

34 € | 28 € | 25 €

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