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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 22:54

Des corps et des âmes mis à nu


Par Nicole Bourbon

Les Trois Coups.com


Dave Saint-Pierre, on adore ou on abhorre, mais il ne laisse pas indifférent. Ses pièces chorégraphiques sont marquées par du kitsch revendiqué, du trash et de la dérision pour tenter de percer les secrets de notre rapport à l’amour et à la tendresse.

La Pornographie des âmes, premier volet de sa trilogie des relations amoureuses, l’avait fait découvrir au public dans un parfum de scandale tant l’œuvre était provocante et dérangeante. J’avais donc très envie de découvrir ce nouvel opus.

Eh bien, il est de la même veine, on y retrouve son langage chorégraphique cru, décomplexé et audacieux. C’est un spectacle fort, un show coup de poing d’une puissance inouïe, d’une brutalité extrême et en même temps d’une grande tendresse, qui choque ou qui ravit, mais qui confirme en tout cas le talent de ce jeune chorégraphe.

Pas facile d’aimer en 2008, nous dit-il en plusieurs tableaux mi-théâtre, mi-danse contemporaine. Ceux-ci traduisent notre irrépressible besoin d’amour et d’attention de la part de l’autre, traitent du rapport entre les hommes et les femmes, les hommes et les hommes, et les femmes et les femmes.

Dave Saint-Pierre met en scène ces moments où le manque d’affection est criant entre ces écorchés vifs au cœur abîmé qui cherchent en vain l’âme sœur. Après s’être trop retenu, le corps doit expulser une énergie, un trop-plein. Le mouvement est poussé à l’extrême jusqu’à l’épuisement. Un mouvement brut et instinctif, des soubresauts, des spasmes dans des ballets énergiques où la musique est créée par le bruit des pieds qui frappent le sol en cadence, des corps qui tombent et qui roulent.

Qu’en ai-je retenu ? Comment raconter ce spectacle où tant de scènes s’impriment dans la mémoire ? Le dit et le non-dit ? Comment dire cette vingtaine d’hommes et de femmes qui se mettent à nu, au propre comme au figuré ? Comment raconter tous ces sentiments, hontes, déchirements, joies, jalousies, désirs, luttes de pouvoir, autopsiés, mélangés, exposés sur la scène ?

« Un peu de tendresse, bordel de merde » | © Dave Saint-Pierre

Je ressens le désespoir de cette femme qui quémande, qui déraille et disjoncte par désir d’amour et par intense besoin de chaleur humaine parce que « la grande solitude », on y a tous goûté. Je revois ces hommes nus, affublés de perruques peroxydées, le sexe à l’air, qui se baladent dans l’assistance, parmi les spectateurs. Plus de frontière entre la scène et la salle, un seul espace où les émotions se propagent, se confondent. J’ai encore dans la tête ce moment de grande douceur où une femme malgré ses dix amants cherche encore pathétiquement l’amour.

Dans ce récit débridé, agressif, parodique et finalement tendre, il y a un maître de cérémonie, la sombre Sabrina. Elle seule manie le langage, les autres ne s’expriment que par cris ou par gestes. Narratrice-traductrice, (dans des traductions littérales qui déchaînent les rires), elle nous entraîne dans son monde où les femmes sont excessives, les hommes efféminés. Serait-ce donc la faute des femmes si la tendresse se fait rare ? semble nous dire ce spectacle dans l’ensemble assez misogyne.

Parallèlement, Sabrina développe une relation avec le public, le malmène, l’encourage à réagir, l’oblige à se révolter. On déroge alors à cette convention du spectateur qui en général se tient tranquille, ne parle pas et se sait en sécurité assis sagement dans son fauteuil. Cette fois, il est impliqué, félicité, bousculé. Il n’est pas à l’abri d’accueillir un homme nu sur ses genoux, d’être pris à partie.

Il y a ces hommes qui se masturbent dans leur perruque, embrassant ensuite cette dernière et se retournant vers nous, le « sperme » leur coulant des lèvres. Il y a Sabrina qui, allègrement, se touche sur un gâteau pendant cinq bonnes minutes. Et ça continue, sexe et vulgarité, toujours joués de façon un peu grotesque : suite d’obscénités pour nous dire que l’humain cherche par tous les moyens à colmater son vide intérieur.

Peut-être est-ce trop ? C’est vrai, l’intelligence, la pertinence et l’importance du propos, ainsi que l’efficacité de certains tableaux se perdent un peu à travers l’incorrigible amour qu’éprouve Dave Saint-Pierre pour la caricature, la gratuité du geste et la provocation facile. « J’adore quand vous vous indignez » nous dit-il d’ailleurs par l’intermédiaire de Sabrina.

Mais quand, après tant d’excitation, de désordre, de colère et de peine, complètement mis à nus, dans un final d’une fulgurante beauté, après avoir nagé sur la scène tels des bambins, magnifique image de corps qui glissent sur le plancher mouillé, des couples se blottissent enfin, deux à deux en cuillère, les femmes à l’arrière, en position fœtale, fin d’un monde ou re-naissance, oui, on peut se dire que la tendresse, bordel, peut quand même l’emporter dans un monde de brutes. 

Nicole Bourbon


Un peu de tendresse, bordel de merde, de Dave Saint-Pierre

Chorégraphie : Dave Saint-Pierre, en collaboration
avec ses interprètes

Concepteur sonore : Emmanuel Schwartz

Texte : Enrica Boucher

Musique : Pierre Lapointe, Emmanuel Schwartz, Dave Saint-Pierre, Cat Power, Arvö Part

Costumes : Eugénie Beaudry, Dave Saint-Pierre

Direction technique et conception lumière : Alexandre Pilon-Guay

Seize interprètes

Maison de la danse • 8, avenue Jean-Mermoz • 69008 Lyon

www.maisondeladanse.com

Réservations : 04 72 78 18 00

Du 4 au 6 décembre à 20 h 30

Durée : 1 h 40

24 € | 15 €

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