Théâtre rock
Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups.com
La compagnie NéNéKa, dirigée par François Orsoni, s’empare d’un des tous premiers textes de Brecht pour en faire un spectacle transgenre, entre théâtre et comédie musicale punk. Écrite à vingt ans, la pièce détourne un conte de Grimm pour proposer une parabole émouvante sur la condition humaine.
Le dramaturge allemand est très souvent monté aujourd’hui – en particulier ses premières pièces. Un Brecht d’avant le marxisme et l’élaboration théorique : terrain d’expérimentation idéal pour des metteurs en scène séduits par la vitalité de la prose brechtienne, son rythme, sa poésie, ses fulgurances.
Jean la Chance est une des œuvres les moins connues de l’auteur. Vaste fragment dramatique inachevé inspiré de Grimm, le texte raconte les malheurs de Jean, qui, par naïveté ou grandeur d’âme, se trouve progressivement dépossédé de tout. Comme souvent dans les contes, le texte joue sur la répétition : ici, la répétition des échanges malheureux qui vouent le héros à la pauvreté.
« Jean la Chance » | © Victor Ede
L’idée de ce spectacle hybride et expérimental est intéressante. On était prévenu, c’est du théâtre-rock : sur scène, guitares électriques et synthétiseur. L’esprit brechtien n’est pas trahi, puisque l’auteur intégrait fréquemment la musique à ses créations. Le Kurt Weill d’aujourd’hui s’appelle Tomas Heuer et porte un kilt. C’est un ancien membre des Bérurier noir, et ça s’entend : accords de guitare saturée, boîte à rythmes, et les voix par-dessus, récitant et chœur. Si la musique de T. Heuer, simple et directe, s’accorde bien au projet, par contre, ses qualités de comédien sont plus discutables.
La vertu principale de la mise en scène est qu’elle donne à entendre le texte. Déclamé, on a envie de dire « proclamé », amplifié par des micros, chanté, etc., il est au centre du spectacle, bien servi par les comédiens, en particulier Alban Guyon, qui interprète un Jean très convaincant. Les deux jeunes actrices, Suliane Brahim et Clotilde Hesme, sont impeccables – sans en faire trop, elles apportent à la pièce ce qu’il faut de légèreté et de poésie. Certains moments sont très comiques du fait des déguisements et accoutrements des personnages. Pour le reste, la mise en scène ne convainc pas toujours : accordant une grande place à l’expression corporelle, elle laisse parfois une impression un peu brouillonne.
Jean la Chance est tout de même à redécouvrir. À l’heure où dans notre monde la pauvreté reste omniprésente (près de la moitié de la population mondiale survit avec moins de deux dollars par jour), ce personnage dont la seule chance est finalement d’être en vie prend une dimension emblématique. Le final, aussi lyrique que violent, beau comme un cri de révolte, est un choc. On aurait pu se dispenser du « rappel », qui n’apporte rien. ¶
Fabrice Chêne
Jean la Chance, de Bertolt Brecht
Compagnie NéNéKa
Mise en scène : François Orsoni
Texte français : Marielle Silhouette et Bernard Banoun
Avec : Suliane Brahim, Alban Guyon, Clotilde Hesme, Tomas Heuer, Thomas Landbo
Musique : Tomas Heuer
Lumière : Jean-Luc Chanonat
Son : Rémi Berger
Régisseur compagnie : Mathieu Vigier
Régisseurs Bastille : Pierre Grasset et Pascal Villmen
Administration : Julie Allione
Diffusion : Amélie Philippe
Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris
Réservations : 01 43 57 42 14
Du 5 janvier au 1er février 2009 à 21 heures, dimanche à 17 heures, les samedis 24 et 31 janvier 2009 à 17 heures et 21 heures, relâche le lundi et le jeudi 8 janvier 2009
Durée : 1 h 15
22 € | 14 € | 13 €