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31 janvier 2009 6 31 /01 /janvier /2009 15:54

Le critique en savait trop


Par Olivier Pansieri

Les Trois Coups.com


Tom Stoppard, vous connaissez ? Mais si… Le scénario de « Shakespeare in Love », de « Brazil »… Ah, tout de même ! L’auteur aussi entre parenthèses de « Rosenkrantz et Guildenstern sont morts », pièce mythique mais jouée nulle part. Qu’est-ce qu’on attend ? D’avoir les droits. Ah ! bon. Pour l’heure, Jean-Luc Revol ressuscite « l’Inspecteur Whaff » du même Stoppard au Théâtre Tristan-Bernard. Un spectacle qui tire à vue sur toutes les grosses ficelles des pièces policières et toutes les arrière-pensées des critiques dramatiques, suivez mon regard. Du théâtre dans le théâtre où l’on « rit de se voir si bête en ce miroir ». Une friandise.

Nostalgie et mise en boîte du critique avec un grand C comme… cornichon. La pièce date de 1968, époque où ce pou des planches, souvent de sexe mâle, pouvait encore se bercer de l’illusion flatteuse qu’il faisait et défaisait les succès. En ce temps-là, ce parasite autorisé pouvait encore emballer la jeune première à la sortie, en lui faisant miroiter que, pour sa carrière, ce serait décisif. C’était le bon temps ! Je veux dire : quelle affreuse époque ! Aujourd’hui heureusement, tout cela a bien changé.

L’action commence dans la salle du Tristan-Bernard, à laquelle la scénographe Sophie Jacob a malicieusement ajouté, côté cour, une fausse loge plus vraie que nature. Là, vont prendre place Jacques Fontanel (Lunul) et Éric Théobald (des Boulettes), deux critiques archétypaux : respectivement le raté aigri et l’escroc coureur de jupons (voir plus haut). Bien sûr, chacun est là pour des raisons professionnelles mais aussi inavouables. Lunul rêve en secret du fauteuil de Ferson, chef honni de la rubrique théâtre où lui, Lunul, n’est que suppléant ; des Boulettes des charmes de Felicity Cuningham, ou plus exactement de ceux de sa jeune interprète.

Ces deux olibrius sont, il va de soi, d’un rare sans-gêne, échangeant à voix haute leurs commentaires pendant la pièce jusqu’au moment, qu’on espérait, où ils vont se retrouver mêlés à l’intrigue. On peut faire confiance à notre auteur pour faire alors basculer son histoire dans le « nonsense » le plus débridé, teinté de cet humour noir si british qui a fait son succès. Ce qui se produit ici, avec la diabolique et jouissive complicité d’une troupe qui a bien du mal à cacher son plaisir de pouvoir enfin « dessouder pour rire » le critique, son meilleur ennemi, et aussi d’en finir, une bonne fois, avec les clichés ! Les huit acteurs sont fabuleux.

L’occasion était, il faut le dire, trop belle de régler quelques comptes, moins avec les critiques, qui aujourd’hui ne comptent plus, qu’avec ces âneries sans nom que beaucoup doivent interpréter, devant une caméra ou sur scène, pour « bouffer ». Jean-Luc Revol a donc chorégraphié leurs parodies, souvent géniales, de ces mille et un tics dans le jeu, les attitudes, les mimiques, les déplacements qu’on retrouve si souvent, à peine moins exagérés, dans les productions dites « sérieuses ». C’est évidemment à se tordre.

D’autant qu’il en remet une couche avec les bruitages : orage, pluie torrentielle, vent qui mugit… « coïncidences » et autres faux rebondissements, tous archi-codés, qui font chaque fois redoubler l’hilarité de la salle bientôt à son comble. Bon, c’est vrai que l’autre soir c’était la première et qu’il y avait énormément de comédiens, toujours hilares quand des copains « chargent » à bon escient. N’empêche que cette fine équipe nous venge aussi, nous public, de toutes les inepties que nous gobons à longueur d’antenne.

Décor excellemment kitsch de la susnommée Sophie Jacob. (Non, on ne se connaît pas.) Au mur, massacres de biches et d’un sanglier qui aura son importance… (laquelle ? Allez voir la pièce) ; en dessous, salon bourgeois ; au fond, verrière en véritable faux Tudor, derrière laquelle on voit soudain « les brumes recouvrir la lande solitaire du manoir isolé de Muldoon de leur voile sépulcral », comme le précise absurdement au téléphone la subtile Valérie Moureaux (Mme Dechambre, traduisez : la bonne). Stoppard a dû lire notre méconnu Tardieu (Un mot pour un autre et surtout les Monologues ou Il y avait foule au manoir).

Comme il se doit, les « coups de théâtre » vont se succéder, tous plus improbables les uns que les autres, ponctués des éliminations successives de tous les petits malins qui auront essayé de percer le mystère. Et cela, bien sûr, chaque fois à l’instant fatidique où ils allaient tout révéler ! Je vous laisse pantelants d’envie de savoir le fin mot de l’histoire, en vous disant juste, pour vous aider, que le chef de la rubrique théâtre, « l’infâme Ferson » y joue un rôle muet. Je terminerai en saluant l’immense talent des trois comédiennes : Anne Bouvier (Felicity Cuningham), Viviane Marcenaro (Lady Muldoon) et Valérie Moureaux (Mme Dechambre). Alors que je n’ai même pas laissé mon numéro de téléphone. 

Olivier Pansieri


L’Inspecteur Whaff, de Tom Stoppard

Théâtre Tristan-Bernard

Texte français et mise en scène : Jean-Luc Revol

Avec : Anne Bouvier, Pierre Deladonchamps, Jacques Fontanel, Viviane Marcenaro, Valérie Moureaux, Jean-Luc Revol, Éric Théobald, Elrik Thomas

Assistante à la mise en scène : Valérie Thoumire

Décor : Sophie Jacob

Costumes : Aurore Popino

Lumières : Philippe Lacombe

Coproduction : Théâtre Tristan-Bernard | M.C.N.-maison de la culture de Nevers | T.C.F.-Théâtre du Caramel-Fou

Avec le soutien de la DRAC Bourgogne, la ville de Nevers, le conseil régional de Bourgogne

Théâtre Tristan-Bernard • 64, rue du Rocher • 75008 Paris

Réservations : 01 45 22 08 40

Métro : Villiers, lignes 2 et 3

Mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 21 heures ; samedi 18 heures

Durée : 1 h 35

34 € | 20 € | 10 €

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