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1 mars 2009 7 01 /03 /mars /2009 21:50

Vous avez dit branché ?


Par Fabrice Chêne

Les Trois Coups.com


Connaissez-vous Lukas Bärfuss ? Cet auteur suisse d’expression allemande est encore trop peu joué en France. Plusieurs de ses pièces sont pourtant montées cette saison aux quatre coins de la planète. « Les Névroses sexuelles… », que met en scène Hauke Lanz, datent de 2003. Le Théâtre Paris-Villette et son nouveau programme « x-réseau » proposent par ailleurs, à l’occasion de ce spectacle, une expérience théâtrale inédite. En effet, le spectateur ayant assisté à l’une des représentations est invité à participer, via un site internet, trois jeudis de suite, à un jeu dramaturgique. Si donc vous vous sentez une vocation manquée de metteur en scène, ou tout simplement si vous êtes curieux, branchez-vous sur www.lesnevrosessexuellesdenosparents-etvous.fr et vous saurez tout.

Parlons d’abord de la pièce. Elle est centrée sur le personnage de Dora, interprétée par Laure Wolf. La Dora de Lukas Bärfuss n’a a priori rien en commun avec la célèbre patiente de Freud qui porte son prénom. Sinon qu’elle aussi souffre de troubles du comportement, troubles jusque-là endigués par les médicaments. (« Ce rideau de chimie, toutes ces années de léthargie » répète-t-elle.) La pièce s’ouvre par cette décision d’arrêter son traitement. C’est un retour à la vie, une liberté retrouvée pour cette jeune fille. Mais très vite son comportement apparaît hors normes. Dans un langage assez cru, elle exprime son choix d’une vie sexuelle sans frein, et assouvit ses désirs avec le premier homme qu’elle rencontre.

Autour de l’héroïne, ses proches : ses parents, l’épicier qui l’emploie et la mère de celui-ci, le médecin qui la suit, son amant. Tous ces personnages sont interprétés par trois acteurs qui changent de rôle au cours de la pièce sans jamais quitter le plateau, dans un ballet inquiétant. Choix qui se défend puisque leur discours normé les rend interchangeables aux yeux de la jeune fille. Les acteurs, avec des gestes lents et sans ostentation, changent de costume sur scène – perruques et vêtements accrochés aux piliers de la salle servant à parfaire la métamorphose. Sont-ils les alliés de Dora ou ses ennemis ? C’est dans cette ambiguïté que réside toute la tension dramatique de la pièce. Et, pour l’exprimer, on retiendra en particulier le jeu tout en finesse de Frédéric Leidgens.

Si la dramaturgie imaginée par Hauke Lanz est, on le voit, convaincante, on émettra en revanche quelques réserves sur une scénographie aux effets trop appuyés. L’idée du pantin à taille humaine comme double choséifié trouve certes une raison d’être dans certaines scènes, notamment celle du premier rapport sexuel. Mais les dix caisses-cercueils contenant autant de pantins produisent à la longue une impression un peu répétitive. Saluons plutôt la création sonore, qui ajoute au caractère oppressant de la mise en scène.

Laure Wolf campe un personnage émouvant, diaphane, un personnage qu’on n’oublie pas. Un peu gauche, vêtue d’un simple robe orange, dépourvue de tout artifice de séduction, Dora est d’une candeur désarmante. Elle a pour seuls interdits ceux que tente de lui inculquer son médecin. Derrière ce mélange de franchise et de sensibilité, on ne décèle justement aucune pathologie. Et ce sont les réactions de l’entourage qui, par un curieux effet de perspective, paraissent tout à coup étranges, décalés. Dora fera ainsi des découvertes sur la sexualité de ses parents, mais, malgré le comportement très libre dont ceux-ci font preuve, jamais ils ne parviendront à accepter leur fille telle qu’elle est.

« les Névroses sexuelles de nos parents » | © Fred Kihn

Derrière le titre plutôt énigmatique de cette pièce se cache donc une fable assez poignante sur la limite de ce qui est acceptable dans le domaine du comportement sexuel. Ce personnage paradoxal de femme-enfant assumant mieux ses désirs que les adultes sert à faire apparaître toute l’hypocrisie et la cruauté dont ceux-ci se montrent capables. Le piège se refermera sur Dora, son désir d’enfant ne sera pas reconnu, et, le mensonge répondant à la candeur, ce désir sera finalement réprimé de la plus horrible manière. Au bout du compte, la mise en scène très ludique de Hauke Lanz n’altère pas la gravité du propos. Un beau moment de théâtre.

Deux jours après, même endroit, même heure. Cette fois c’est à une expérience inédite qu’on est venu assister : un jeu dramaturgique imaginé par le metteur en scène Hauke Lanz, qui en est aussi ce soir le maître de cérémonie. Un dispositif imposant est installé sur le plateau. Côté cour une batterie d’ordinateurs, en front de scène des micros et deux écrans témoins tournés vers le public. Au milieu des acteurs, un cameraman qui filmera ce que verront les internautes. Ceux-ci interviendront en direct pour proposer des directives adressées à distance à l’un des personnages de la pièce (à l’exception de Dora). L’internaute se trouve donc placé en position de metteur en scène virtuel, et les acteurs improvisent ensuite à partir de sa proposition. Dans la salle, une poignée de curieux (dont votre serviteur) assistent à l’opération : ils n’interviendront pas.

Le maître du jeu portant micro et baskets fluo nous informe qu’une vingtaine d’internautes sont connectés : la « séance » peut commencer. Le début est plutôt timide. Première déception : le fil de la pièce est complètement abandonné, et l’on comprend que l’on n’assistera qu’à une succession discontinue de saynètes improvisées, la plupart très courtes. Les premières sont un peu poussives et tournent autour du désir d’enfant et du regard des autres. On esquisse timidement quelques pas de danse… Déjà, dans le public se font entendre des soupirs. La magie du spectacle n’est plus là. Elle ne reviendra pas, même si, après une première demi-heure hésitante, le talent des comédiens trouvera à plusieurs reprises le moyen de s’exprimer.

Deuxième problème : ces metteurs en scène novices ne sont pas très inspirés, et leurs propositions sont souvent sans grand intérêt. On est même un peu mal à l’aise de voir des comédiens de cette qualité se voir proposer des thèmes d’improvisation de niveau débutant (un tel a très froid, un tel est ivre, etc.). À cet égard, comme souvent, les trouvailles les plus intéressantes surgiront lorsque les acteurs sauront prendre le contre-pied de ce qu’on leur impose. Ou lorsqu’on aura la bonne idée d’intégrer Dora aux incessants échanges de rôle. Au bout d’une heure et quart, le jeu s’interrompt. Fera-t-on mieux la prochaine fois ?

Comment l’internaute aura-t-il vécu l’expérience ? À lui de le dire. Le spectateur pour sa part a eu plusieurs fois l’impression d’assister à une entreprise un peu vaine. Il reste même assez dubitatif en voyant des acteurs transformés en cobayes soumis aux quatre volontés de l’internaute roi, nouveau détenteur du pouvoir suprême. Pour évoluer, le théâtre doit-il obligatoirement s’ouvrir aux nouvelles technologies et au virtuel ? Ou bien, au contraire, dernier bastion d’un art de la présence, doit-il préserver à tout prix sa spécificité ? Le débat est ouvert, mais la performance proposée jeudi 26 février 2009, si elle a le mérite de l’originalité, montre aussi les limites de ce type d’expérience. 

Fabrice Chêne


Les Névroses sexuelles de nos parents, de Lukas Bärfuss

Mise en scène : Hauke Lanz

Traduction : Pascal Paul-Harang, version pour la scène établie par Hauke Lanz et Marc Moreigne

Collaboration artistique : Blandine Delcroix

Assistante à la mise en scène : Maya Boquet

Avec : Frédéric Leidgens, Pierre Maillet, Murielle Martinelli, Laure Wolf

Scénographie : Sarah de Battice, assistée de Marine Roussel

Costumes : Isabelle Deffin

Perruques : Nathalie Régior

Création sonore : Benjamin Hertz

Création lumière : Jérémie Papin

www.lesnevrosessexuellesdenosparents-etvous.fr

Une création de x-réseau/Paris-Villette

Maître du jeu : Hauke Lanz assisté de Maya Boquet

Vidéaste : Bruno Geslin

Montage : Nicolas Sburlati

Théâtre Paris-Villette • parc de la Villette • 75019 Paris

Réservations : 01 40 03 72 23

resa@theatre-paris-villette.com

Métro : Porte-de-Pantin

Du 23 février au 14 mars 2009, lundi, mercredi, samedi à 19 h 30 ; mardi, vendredi à 21 heures ; soirées spéciales pour les internautes les jeudis 26 février, 5 et 12 mars 2009 à 21 heures

Durée : 1 h 40

21 € | 15 € | 10 €

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commentaires

G
Pour répondre à la question que vous posez au début du dernier paragraphe, l'expérience de jeudi vue coté internaute laissait tout autant sur sa faim. Avec la distance supplémentaire qu'introduisent les conditions de transmission: images saccadées. Effectivement, on est bien en deça de la pièce, qui est excellente (J'ai moi même écrit 2/3 mots à ce propos).Comme vous l'écrivez ce sont avant tout les internautes qui ont des progrés à faire dans leurs suggestions (et encore je suppose que dans la salle vous avez échappé aux déluges de propositions scabreuses qu'on voyait s'afficher sur écran...).Ce serait dommage d'en rester là ...Je vais réflechir à des propositions plus intéressantes pour jeudi prochain, j'espère que vous en ferez de même!
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T
Décidément, les critiques de Fabrice chène sont très orientées...lol..
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