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28 mars 2009 6 28 /03 /mars /2009 12:54

« Ah, look at all the lonely people… »

 

Avec « le Procès-cabaret K. », d’après Kafka, le Théâtre Sorano maintient le parti pris d’une programmation qui fait la part belle au kitsch, au renversement des valeurs et du « bon goût ». La version paillette d’un univers sombre.

 

Joseph K., héros du Procès, est arrêté un matin sans raison. Petit à petit, il se retrouve pris dans un imbroglio juridique qui ne peut se résoudre malgré tous ses efforts. Franz Kafka ne se contente pas de faire du Procès une critique du système juridique et administratif procédurier qui caractérise la société moderne. Il met au jour les ressorts tortueux qui fondent les relations de l’individu aux autres, le sentiment d’isolement existentiel vis à vis du groupe. Sentiment qui ne disparaît le plus souvent que dans la communion exaltée que provoquent le patriotisme, l’adulation d’un dieu, ou dans le cas du Procès, à travers le sacrifice d’un bouc émissaire. Joseph K. est soumis à la force des lois générales et supérieures qui dictent l’intérêt du groupe. Des lois impitoyables et totalitaires.

 

Ce qui fait la force du Procès, c’est que, loin de se contenter de dénoncer la violence que la société inflige aux plus faibles, Franz Kafka met en accusation l’irrationnalité et l’arbitraire total qui anime la violence sociale. Nous avons généralement du mal à concevoir que la violence puisse s’exercer à l’aveugle, à l’encontre de ceux qui ne l’ont pas mérité. Nos racines judéo-chrétiennes nous engagent à toujours expliquer la violence comme une forme de punition à l’égard d’une faute quelconque. Ainsi, nous justifions la plupart du temps la violence, qu’elle soit reçue ou donnée, puisque nous y associons quasi systématiquement la notion de culpabilité des protagonistes. Kafka s’applique a contrario à renvoyer la violence à son irrationnalité, à son arbitraire, et à des origines plus sombres et pulsionnelles.

 

« Le Procès-cabaret K » | © Patrick Moll 

 

Didier Carette et Marie-Christine Colomb n’ont manifestement pas suivi jusqu’au bout le parti de dénoncer cet arbitraire de la violence, puisqu’ils nous montrent un Joseph K. chétif, malhabile, faible et finalement tout prêt à attirer les coups de ses congénères. Joseph K., même s’il est aussi l’avatar à peine dissimulé d’un Franz Kafka rongé par l’angoisse, la solitude et la paranoïa, me semble au contraire être un homme ordinaire dont rien ne doit pouvoir justifier le statut de victime. Il s’agit là, selon moi, d’une restriction importante du sens de l’œuvre de Kafka.

 

En revanche, Didier Carette et Marie-Christine Colomb ont entrepris de transposer de façon intéressante le drame de Joseph K. dans un monde très contemporain. La forme cabaret y donne lieu à des dispositifs visuellement forts et signifiants. La sombre salle d’audience du roman se transforme en un plateau de télévision qui tient à la fois du Delarue et du Patrick Sébastien. Les confessions du malheureux Joseph K. sont entrecoupées de rires et d’applaudissements intempestifs, alors que le présentateur tout sourire y interprète quelques mauvais tubes des années 1980. On en tire la conclusion que dans un monde où le bonheur et la réussite individuelle sont devenus des diktats, ceux qui ne suivent pas ces obligations subissent l’opprobre général… Si l’œuvre de Kafka est donc un peu détournée, on peut toutefois admettre que les deux metteurs en scène ont su y insuffler une vision personnelle et d’actualité. 

 

Diane Launay

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Le Procès-cabaret K., d’après le Procès de Franz Kafka

D’après la traduction de Bernard Lortholary, Flammarion (1983)

Groupe Ex-abrupto • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse

05 34 31 67 16

Mise en scène : Didier Carette et Marie-Christine Colomb

Adaptation : Didier Carette

Avec : Grégory Bourut, Didier Carette, Céline Cohen, Marie-Christine Colomb, Régis Goudot, Jean-Luc Krauss, Céline Pique, Gilduin Tissier, Tischa Vujicic, avec la participation de Jean Castellat et Jean-Stanislas Michalski

Création musicale : Charlotte Castellat, Céline Cohen et Jean-Stanislas Michalski

Scénographie, décors : Jean Castellat, Charlotte Presseq

Costumes : Brigitte Tribouilloy

Création lumière : Alain Le Nouëne

Régie son : David Dillies

Coproduction : Caligari Productions, Groupe Ex-abrupto

Théâtre Sorano • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse

Réservations : 05 34 31 67 16

www.theatresorano.com

Du 17 mars au 3 avril 2009, les mardi, mercredi et jeudi à 20 heures, les vendredi et samedi à 21 heures, les dimanches à 16 heures

Durée : 1 h 20

De 9 € à 19 €

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