Il manquait quelque chose…
Par Aurore Krol
Les Trois Coups.com
Louise Lecavalier est une artiste hors pair qui marque la danse contemporaine depuis une vingtaine d’années. Longue chevelure blonde, visage expressif, souplesse hors du commun et attitudes théâtrales font d’elle une interprète marquante et polyvalente. En travaillant avec trois chorégraphes différents pour sa nouvelle création, elle souhaitait explorer une « fascination pour l’impulsion du mouvement précédant toute forme de communication humaine, celle qui permet de lire l’âme ».
Le spectacle se découpe en trois parties, mais il n’est en rien un triptyque. Chaque chorégraphie a ses enjeux distincts, et possède son titre propre. La première partie, Lone Epic, courte, enjouée, dynamique, est en lien direct avec la musique du film Citizen Kane. La danseuse y est d’abord la chef d’orchestre d’une sorte de concerto invisible. Des mots, matériellement présents ou évoqués par de simples traces lumineuses, interrogent l’émotion et suggèrent des pensées secrètes. Une question finira par se dessiner sur scène, n’obtiendra pas de réponse, maintiendra le spectateur dans le mystère.
Tous ces mots apparaissent, reviennent comme des flashs subliminaux, comme un oubli difficile. Polyphonique, cette première danse est emplie de théâtralité et se prête à merveille aux clins d’œil cinématographiques. Elle nous emporte dans les sentiments intimes d’une femme, dans quelques épisodes de sa vie, jusqu’à ce qui semble un adieu sur le quai d’une gare. Une image qui se ressent comme un générique de fin hollywoodienne…
Le deuxième épisode, Lula and the Sailor, est un duo assez étrange et détaché de toute narration. Un revêtement de sol de forme carrée a été déroulé au centre de la scène comme pour géométriser et structurer l’ensemble. Un homme et une femme se croisent, appréhendent un espace commun sans forcément s’y rencontrer. Les corps alternent entre postures miroirs et gestes dissymétriques, mais n’agissent jamais en couple. Le rapport à l’autre est quasi inexistant, dépourvu de contacts physiques ou de complicités visuelles.
Enfin, une troisième partie, « I » Is Memory, se veut une performance autour de l’articulation. Guidée par un son électronique et grésillant, par une musique s’apparentant à la transe, la danseuse y semble sous hypnose auditive. Ses gestes, d’abord hésitants, finissent par être des réponses à ces stimuli sonores. Plusieurs images viennent à l’esprit : la maladie, le handicap, la métamorphose, l’animalité… Mais, si cette chorégraphie est la plus évocatrice, c’est également celle qui a fini par m’ennuyer. Observer pendant quarante-cinq minutes des contorsions maladives au ralenti est une épreuve qui provoque finalement comme un sentiment de rejet. La lenteur de cette dernière partie a un effet crispant et douloureux sur le spectateur. On ressent comme une gêne physique face à ce corps contorsionné, trituré, aux articulations malmenées. Cela intéresse bien sûr, mais cela ne touche pas, et on finit par se détacher de cette danse très (trop ?) conceptuelle.
De la plus concrète à la plus abstraite, ces trois histoires sont entrecoupées par des changements de décor qui font partie intégrante du spectacle. L’aspect technique ainsi mis au jour rend le spectateur complice des rouages et coulisses de la scène, donne une touche intimiste à l’ensemble. Les techniciens sont quasiment à voir eux aussi comme des performeurs, sont comme des microspectacles entre les trois chorégraphies. Ils ont d’ailleurs été spontanément applaudis lors de leurs différentes interventions.
Au final, on ressort de la salle avec l’impression qu’il manquait quelque chose. Était-ce le manque de cohérence entre les trois parties ? La faiblesse des éléments narratifs de la deuxième danse ? La longueur de la dernière ? Certes on a assisté à de grandes prouesses artistiques, mais on aurait aimé plus, on aurait aimé être marqué, recevoir l’empreinte de ces chorégraphies et en rester imprégné. Cela aurait contribué à donner une puissance vive à ce qui n’est qu’un bel exercice de style. Reste le talent, l’originalité et la personnalité charismatique de Louise Lecavalier. ¶
Aurore Krol
Lone Epic | Lula and the Sailor | « I » Is Memory, de Crystal Pite, Tedd Robinson et Benoît Lachambre
Lone Epic
Chorégraphie : Crystal Pite
Interprète : Louise Lecavalier
Musique : extraits de Citizen Kane (avec l’autorisation
de Varèse Sarabande Records), Bernard Herrmann
Lumières : Lucie Bazzo
Costume : Anne-Marie Veevaete
Mixage sonore : Owen Belton, Diane Labrosse
Répétitrice : France Bruyère
Durée : 16 min
Lula and the Sailor
Chorégraphie : Tedd Robinson
Interprètes : Louise Lecavalier, Éric Beauchesne
Musique originale : Yannick Rieu
Lumières : Jean-Philippe Trépanier
Costumes : Yso, Dubuc
Répétitrice : France Bruyère
Production Fou glorieux, Ten Gates Dancing
Coproduction : Théâtre de la Ville, Paris ; la Biennale de Venise ; l’Agora de la danse, Montréal ; et le Centre national des arts, Ottawa
Durée : 12 min
« I » Is Memory
Chorégraphie : Benoît Lachambre
Interprète : Louise Lecavalier
Musique originale : Laurent Maslé
Lumières : Jean Philippe Trépanier
Accessoires : Louis-Philippe Saint-Arnault
Répétitrice : France Bruyère
Durée : 45 min
Production : Production « I » Is Memory et Lone Epic : Fou glorieux, en coproduction avec STEPS # 10, Suisse ; Théâtre de la Ville, Paris ; Tanz im August-Internationales Tranzfest, Berlin ; Aarhus Festuge, Aarhus ; Centre national des arts, Ottawa ; L’Usine C, Montréal ; en partenariat avec les diffuseurs du Canada
Fou glorieux : administration, Suzanne Benoit ; coordination de tournée et communications, Anne Viau ; direction technique et régie de scène, Lucie Bazzo ; agent, Uriel Luft, Atmo Productions
Théâtre national de Bretagne, salle Serreau • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31 ou www.t-n-b.fr
Du 18 au 20 mars 2009 à 20 heures, sauf le 20 mars à 21 heures
Durée : 1 h 20
23 € | 17 € | 12 € | 8 €