De foutre et de sang
Évoquer la violence de la guerre, jusqu’à la nausée. Se risquer sur le terrain de l’abus sexuel. Tel est le double propos de « Pénétrator ». Une œuvre intense, et puissamment interprétée.
La pièce commence dans le foutre et finit dans le sang. Autant dire qu’elle ne manquera pas d’humeurs. Alan et Max sont colocataires d’un appartement de mecs, qui ne respire ni l’ordre ni les bonnes odeurs. Le premier est gay, un peu bonne pâte ; le second, avec juste ce qu’il faut de machisme, vient de se faire plaquer par sa copine. Les deux vont de soirées sous ecstasy en glandouille sur canapé.
C’est alors que déboule Dick. Engagé dans l’armée, envoyé à Bagdad, il vient d’être réformé et se dit poursuivi par de mystérieux « pénétrators ». Sont-ils ces bombes américaines, capables de transpercer tout blindage, ou d’invisibles tortionnaires ? Ce huis clos aux odeurs de shit devient alors vite irrespirable. Que s’est-il passé en Iraq ? Quelles horreurs Dick a-t-il vues ? Quels sévices a-t-il subis ? Il en revient profondément dérangé. Ses hôtes improvisés hésitent entre reconnaître en lui un dangereux mythomane ou un enfant meurtri au point de n’avoir pu grandir.
L’univers que Dick évoque devant eux est-il celui du mitard ou des douches d’une caserne ? L’arrière-salle d’un cruising bar ? Son drame, puisant ses racines dans une enfance aux expériences ambiguës, naît de la violence militaire. Mais il pourrait tout autant être le tiraillement intérieur d’un jeune homme qui nie son désir et perçoit celui de l’autre comme une intrusion. Au « propre » comme au figuré. Dick est interprété par un Olivier Gilot terrifiant et touchant tout à la fois, à la voix caverneuse, au regard glaçant, sur un minois de gamin. Le spectateur oscille (comme Max d’ailleurs) entre le fuir et le serrer dans les bras.
Les deux autres acteurs sont tout aussi justes et convaincants. En particulier Fabien Ducommun (Alan). Après son rôle dans l’onirique Soldat rose de Chédid et Burgaud, il interprète l’œuvre plus cauchemardesque de Neilson avec tout autant de brio. Dans la scène finale, il exprime admirablement la rage et la peur qu’il mêle de rires.
Fabienne Maître offre à Pénétrator une mise en scène soutenue. Elle ménage des intermèdes dans l’obscurité, durant lesquels nous parviennent les « dialogues » d’un porno, sur fond d’orage. Certains trouveront leur crudité inutilement trash et gratuite, d’autres seront frustrés de ne pouvoir qu’entendre. Ces ruptures participent pourtant, tout comme la masturbation initiale de Max, à camper une ambiance poisseuse.
Chose rare, Pénétrator a été salué tant par le public, le jury… que la critique. Au détriment d’autres pièces de qualité, il a raflé la plupart des prix de cette troisième édition du Festival de théâtre gay et lesbien : prix du Public d’abord, mais aussi de la Mise en scène et d’Interprétation masculine (ex æquo) pour les trois comédiens. À déconseiller donc aux mineurs, mais à recommander à tous les autres. ¶
Olivier Pradel
Les Trois Coups
Pénétrator, d’Anthony Neilson
Dans le cadre du troisième Festival parisien du théâtre gay et lesbien
Traduction : Fabienne Maître
Mise en scène : Fabienne Maître
Avec : Fabien Ducommun (Alan), Olivier Gilot (Dick), Antoine Segard (Max)
Scénographie : Muriel Delamotte
Lumières : Charly Thicot
Musique : Christophe Violland
Visuels : Delphine Favre
Théâtre Côté cour • 12, rue Édouard-Lockroy • 75011 Paris
Réservations : 01 47 00 43 55
Le 17 avril 2009 à 22 heures, le 20 avril 2009 à 18 heures, les 21 et 24 avril 2009 à 20 heures
Durée : 1 h 15
15 € | 12 € au profit de S.O.S.-homophobie