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13 octobre 1998 2 13 /10 /octobre /1998 20:41

René-André Lombard à la recherche

des étoiles

 

À l’occasion d’une conférence sur les origines mythiques du théâtre, donnée au Théâtre du Chien-qui-fume le 6 octobre 1998, j’en ai profité pour savoir qui était René-André Lombard. Il faut dire que sa tête de pâtre grec antique, avec le cheveu, les moustaches et la barbe blancs, m’avait déjà intrigué. J’avais remarqué aussi sa parole d’homme cultivé et de sage.

 

L’entrevue commence « mal », car il précise d’emblée : « Je n’aime pas faire tout un plat de mon existence ! » Ah, ces modestes, ils sont embêtants quand même ! Alors que se répandent partout tant d’autres qui n’ont rien à dire… J’insiste néanmoins pour en savoir plus.

 

Il est né le 2 juin 1923 à Tunis, sous le signe des Gémeaux, « le signe de gens qui ont un souci constant du contact, de la sociabilité ». Son père ayant été moralement « détruit » par la guerre de 1914, il sera élevé essentiellement par « une grand-mère sans fortune ». « On n’avait pratiquement rien pour subsister », laconise-t-il. Le « petit blanc » en retirera une lucidité accrue et quelque naïveté en moins. C’est toujours ça de gagné !

 

La Tunisie, elle, d’un certain point de vue, lui fournit le terreau de ses futures recherches. En effet, ce pays est « une terre particulière, point d’équilibre au milieu des terres méditerranéennes, ouverte à toutes les cultures ». Il me rappelle qu’un grand penseur comme saint Augustin est né dans cette région. Et renchérit : « Il y a un humanisme tunisien, ça m’a marqué pour toute ma vie ! » En outre, il fréquente la bibliothèque de Tunis et, dès l’âge de treize ans, il a déjà lu les ouvrages essentiels de la pensée indienne et bouddhiste. Le goût de la mer et de la liberté lui sont greffés, eux, lorsqu’il part en balade, dans une petite barque, avec ses copains de classe : un Grec, un juif, un Arabe, un Français.

 

Le jeune homme passe son bac à Tunis et commence des études de lettres. Sa licence est interrompue par la guerre de 1939-1945. Il est mobilisé à l’arrivée des troupes de Leclerc en Tunisie. Spécialité : détecteur de pièges et de mines ! Il passera par Blida, la Corse, l’Italie… en restant deuxième classe, car « il n’a pas bon esprit » et – heureusement – comme « observateur d’artillerie » et non comme démineur ! Il débarque enfin sur la Côte d’Azur. Par la suite, au cours de la campagne d’Allemagne, il assiste à l’ouverture d’un « camp », près de Ravensbrück. Depuis lors, il attend les négationnistes de pied ferme…

 

Rentré en Tunisie – « ça “remue” déjà en Kabylie », dit-il –, René-André sait ce qu’il veut faire : écrivain de théâtre. Le chemin sera, selon les moments, plus ou moins bordé d’épines.

 

Il reprend sa licence, mais cette fois-ci à Paris, à la Sorbonne, grâce à une bourse du gouvernement tunisien. Il devra néanmoins exercer des « petits boulots », car le pécule gouvernemental est insuffisant. Surtout, il y rencontre Jacqueline Blavier qui deviendra sa femme… et qui l’est toujours, cinquante ans après !

 

Le couple donne bientôt naissance à Jean-Vincent, le premier de leurs trois garçons. Tous trois feront plus tard leur chemin dans les secteurs artistique, littéraire et journalistique.

 

Notre homme commence à écrire romans, pièces de théâtre, nouvelles : tous refusés ! Puis Jacqueline et son mari passent les concours d’enseignement, lui en français-latin-grec, elle en anglais.

 

Après toute une carrière de professeur, René-André Lombard estime que l’enseignement est « une activité tonique, qui force à donner le meilleur de soi-même » et que l’enseignant est plus un modèle de vie qu’un puits de science : « Les gamins nous jugent sur ce que nous sommes et non sur ce que nous leur apprenons. »

 

L’enseignement, l’animation des MJC et le théâtre se sont très vite mêlés. Après un poste dans le Pas-de-Calais, notre pédagogue se fait nommer en Côte-d’Or, près de Dijon. On est alors dans la période de la décentralisation théâtrale des années cinquante et c’est à ce moment précis que se crée le Théâtre de Bourgogne.

 

René va collaborer toute une partie de sa vie avec le monde théâtral : Théâtre de Bourgogne, Cie Patrick-Renaudot, Trac-Théâtre, Cie René-Raybaud, Rencontres de Chenove, Théâtre de la Chilière… C’est ainsi qu’il rencontre Gérard Vantaggioli lorsque celui-ci crée le Jeu de la mémoire (1984), « un très beau spectacle, où il mêlait les images cinéma et les images théâtre ». Notre chercheur y renifle « une personnalité qui cherche l’au-delà des choses, autrement dit un poète du théâtre ». Depuis lors, ils ne se quittent plus, et Gérard Vantaggioli considère le mythologue comme son « père spirituel ».

 

C’est de cette amitié qu’est né le logo du Chien-qui-fume, « ce chien de l’automne, qui crache l’orage » : c’est notre lascar qui l’a dessiné. Pour votre gouverne, le chien est la constellation qui annonçait le théâtre dans les temps anciens, chez les Grecs, à Athènes.

 

Notre esprit curieux a continué à écrire des textes théâtraux – dont l’un a fait l’objet d’une dramatique télévisée, Droit d’asile, dans les débuts de la deuxième chaîne – et s’est beaucoup intéressé à la danse libre, développée par Malkovsky à Paris. Danse, précise-t-il, « qui recherche l’harmonie corps-esprit-émotion, et très parente des arts martiaux asiatiques ». Cette harmonie est « un contrepoison à la vie mécanisée ».

 

Parallèlement, le mythologue a fait des recherches très fines sur les vocables sacrés, les images mythiques et leur rapport au théâtre… Il travaille en outre sur les images issues des anciens calendriers lunaires, et c’est ce domaine précis qui, selon lui, le différencie des autres chercheurs. À ce sujet, doit prochainement paraître le Singe et les Étoiles dans la mémoire collective (ou Simius in excelsis).

 

Tous ces travaux l’ont amené à penser que « les racines de la pensée humaine sont identiques quelle que soit la couleur, l’origine… ». Il enfonce le clou : « Si tu creuses, tu t’aperçois qu’il y a une seule race humaine ! »

 

À l’heure où des sommes colossales changent de main tous les jours, dans toutes les places financières du monde, l’« anachronique » René-André Lombard espère « apporter un peu de moralité dans le monde du fric et de la spéculation ». 

 

Vincent Cambier

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Bibliographie de René-André Lombard

Études de mythologie comparée

Essais sur les origines du théâtre et de la danse :

– l’Enfant de la nuit d’orage : l’acte théâtral, le mythe de Dionysos, l’Arlequin-Fauve et les intuitions d’Artaud, éd. Poliphile, Château de Ferrières • 81260 Brassac

– Mon ami Pierrot, d’où viens-tu ? : des rituels lunaires des chasseurs aux origines sacrées du théâtre et de la danse, éd. Poliphile, Château de Ferrières • 81260 Brassac

– la Danse de Salomé : message de la pensée ancienne : le passage d’un idéogramme « tantrique » dans l’inspiration artistique, picturale et musicale, éd. Poliphile, Château de Ferrières • 81260 Brassac

– les Nuits de l’an de la préhistoire : du grand saint Nicolas aux Trois Boules d’or, aux calendriers lunaires et aux constellations-repères. Rites, mythes et archétypes, à paraître chez Poliphile

– Horos-Khoros : l’homme, la danse et le temps, document Fedali

– Khoreia Khaira : la danse grecque antique, Isadora et Malkovsky, document Fedali

– Lumières dans la nuit : les Argonautes : imagerie mythique et saison du « passage des âmes », « Figures », Cahier du centre de recherche sur l’image, le symbole, le mythe, université de Bourgogne.

Ces ouvrages sont consultables dans les bibliothèques Ceccano à Avignon et Saint-Charles à Marseille.

Contacts :

– Éditions Poliphile, Château de Ferrières • 81260 Brassac

05 63 74 03 53

– Cercle d’études théâtrales du Théâtre du Chien-qui-fume 74, rue des Teinturiers • Avignon

04 90 85 25 87

– Air-Danse et Fedali

(Fédération européenne de la danse libre)

Notre-Dame-de-la-Garde • 13600 La Ciotat

04 42 71 71 64

Théâtre

– Animafil, Anima corrida

– l’Insomnie

– l’Île, Margoulocadrogramme, la Nef

– Petaloploumch, Locomotif, Schrapout ou l’Interrogation

– le Jeu des épouvantails : commedia avec musique ancienne

– la Séparation

– Fanfare

Télévision

– Droit d’asile, réalisé par René Lucot, avec Annie Sinigaglia et Robert Etcheverry. Prix d’Enghien

Poésie

– Au passant qui sifflote en marchant : contes, chansons, poèmes

– Jonas : cantate pour chœur et orchestre. Musique d’Yvan Markovitch

Danse

– Galaktéadora : danse libre méthode Malkovsky, enseignement transmis par ses élèves regroupés pour la plupart dans la Fedali (Fédération européenne de la danse libre).

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