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30 novembre 2014 7 30 /11 /novembre /2014 15:58

Pipé d’emblée


Par Trina Mounier

Les Trois Coups.com


On ne fait pas du bon théâtre (ni de la danse) avec de bons sentiments, ni pour défendre une cause aussi légitime soit-elle.

huntington-615 r-etienne-item Certes Bons baisers de Huntingtonland prenait place, non dans un festival de théâtre, mais dans un de ces grands week-ends dont Les Subsistances se sont fait une spécialité, articulée autour d’un thème et généralement dédiée au débat d’idées. Cette fois-ci, il s’appelait « Mode d’emploi ». Ajoutons pour être loyal que le titre était explicite (la maladie de Huntington, rare, est tout ce qu’il y a de plus officielle, référencée et considérée par le corps médical comme héréditaire, dégénérative – évolutive diront les membres du collectif Dingdingdong – et inguérissable). Reconnaissons aussi qu’à y regarder de plus près, le collectif responsable de cette pièce s’était formé pour « constituer un savoir sur cette maladie, savoir coproduit par les personnes concernées ». Pourtant, Bons baisers de Huntingtonland était annoncé comme un spectacle théâtre/danse à part entière.

Personnellement, je déteste le procédé qui prend le public en otage aux bons sentiments et dans les rets de la culpabilité du bien-portant pressé de poursuivre son chemin. L’expérience artistique est pipée d’emblée.

Essayons néanmoins de porter un jugement sur la prestation de Dingdingdong. Quelques bons points : la beauté du décor, tout en blanc, avec à jardin une longue table recouverte d’ordinateurs (la science est en accusation, mais on en maîtrise les découvertes…) et quatre personnes qui disent le propos du collectif. Devant la table, posé à terre, un ordinateur portable ouvert. Au lointain, un grand écran accueillera une projection vidéo, un portrait en mouvements d’un homme frappé de cette affection. C’est précisément le mouvement qui est atteint dans la maladie de Huntington, c’est du moins ce que l’on peut le mieux observer… et reproduire, ce que fera la danseuse et chorégraphe Anne Collod. Devant cet écran blanc, une montagne de petites billes de polystyrène sera assez ingénieusement utilisée pour évoquer diverses expériences sensibles. Soulignons aussi un travail des lumières assez réussi.

Spectacle ou foire aux idées ?

Force est de dire que, si la comédienne Aurore Déon tire assez sobrement son épingle du jeu – quoique son rôle de personne atteinte ait pu l’amener vers un pathos qu’elle évite soigneusement –, Anne Collod, elle, si elle imite de manière irréprochable les gestes du malade, propose d’autres passages chorégraphiés peu maîtrisés techniquement. Quant au performeur Olivier Marbeuf, on ne le voit que sur le tout petit écran incarner le médecin interpellé et déstabilisé, puis lire une lettre qui dure trois fois trop longtemps, censée apporter un éclairage philosophique sur l’affaire.

Outre que cette séquence est fort peu théâtrale, les idées philosophiques véhiculées tiennent du lieu commun (« nul ne peut savoir ce qu’un malade va faire de sa maladie, le pouvoir médical ne doit pas confisquer le savoir sur le devenir des individus », etc.) avec lequel nous sommes tous d’accord, quand elles ne sont pas tout bonnement discutables. En effet, on ne peut qu’être en accord avec l’assertion selon laquelle personne n’a le droit de prédire l’avenir de quelqu’un. Mais affirmer a contrario que tous les malades atteints de ce mal, une fois passé le désert de la colère et de l’incompréhension, accèdent à une sorte de sérénité proche du bonheur est une généralisation hâtive et rassurante à bon compte qui clôt le bec à qui voudrait se plaindre de son sort.

Finalement, effectivement, tout cela fait réfléchir, mais ne provoque aucune des émotions que théâtre et danse doivent susciter, juste l’agacement d’une parodie de débat (qui se déroulera après le spectacle en bord de scène…). Pour terminer dans la légèreté, disons que Les Subsistances tenaient ce soir-là lieu de laboratoire ! 

Trina Mounier


Bons baisers de Huntingtonland

Conception : collectif Dingdingdong, institut de coproduction de savoir sur la maladie de Huntington

Avec : Anne Collod, Aurore Déon, Olivier Marbeuf, Valérie Pihet et Émilie Hermant

Texte : Émilie Hermant

Danse : Anne Collod

Vidéo : Fabrizio Terranova

Dramaturgie : Valérie Pihet

Scénographie : Alexis Bertrand, assisté de Manon Flament

Lumières : Sébastien Merlin

Son : Élisa Monteil

Photo : © Romain Étienne / Item

Collaboration artistique : Marie Piemontese

Accompagnement à la production : Ligne directe / Judith Martin

Résidence, création et coproduction : Les Subsistances à Lyon, La Briqueterie (C.D.C. à Vitry-sur-Seine)

Remerciements : Alice Wexler et les soleils qui ont inspiré ce spectacle : D. Paula, Suzanne et Anouck

Pour cette création, le collectif Dingdingdong a été en résidence aux Subsistances en juillet et novembre 2014

Les Subsistances • 8 bis, quai Saint-Vincent • 69001 Lyon

Réservations : 04 78 39 10 02

www.les-subs.com

Dans le cadre du festival Mode d’emploi

Du 27 au 29 novembre 2014, à 19 heures, le 30 novembre à 15 heures

Durée : 1 heure

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