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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 14:30

« La chanson d’une femme qui connaîtrait ton sort » (1)


Par Lise Facchin

Les Trois Coups.com


Dans le hall d’un théâtre. Sous les yeux de la journaliste, la guichetière ordonne ses billets, compte la monnaie de sa caisse, s’affaire à préparer la soirée. Olivier Py, en habit de directeur, arrive par une porte marquée « Administration ».

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« Olivier Py » | © Carole Bellaïche pour le Festival d’Avignon

Olivier Py : Ah ! Bonjour.

La journaliste : Bonjour.

Olivier Py : Alors, de quoi parle-t-on ?

La guichetière, dans sa barbe : Mes souches jaunes… Mes souches jaunes… Ah !

La journaliste, timidement : Je me disais, vos personnages de femmes…

Olivier Py : Ah ! C’est qu’ils sont très allégoriques. Silence. J’ai le sentiment que les femmes sont avant tout des allégories, vous n’êtes pas d’accord ?

La journaliste : Je ne sais pas. Les allégories féminines sont souvent épaisses, elles tiennent plus de l’Amazone que de la femme.

Tous deux regardent la guichetière : profil droit, assez charpentée.

Olivier Py : C’est vrai qu’elles peuvent avoir de bons bras… La France des monuments aux morts est très impressionnante, par exemple.

La journaliste : C’est que la femme doit être en mesure de porter le poids des armes.

Olivier Py : Porter les armes, oui, mais aussi le peuple. Elle doit porter le peuple, qui est un peuple de soldats… En fait, mes personnages féminins sont surtout très amoureux. Ce sont des femmes terriblement éprises. Est-ce pour cela qu’on m’a souvent taxé de misogyne ?

La journaliste : De misogyne ?

Olivier Py : Oh là oui ! Vous n’avez pas idée, c’est le reproche le plus fréquent des nombreux que l’on me fait. Pendant les Enfants de Saturne, par exemple, c’était fou ! D’ailleurs, je ne pensais pas qu’il était possible de faire à ce point l’unanimité de la critique : le spectacle a été démoli par tout le monde et avec une dureté !

La journaliste : Pas tout le monde : nous avions publié un papier terriblement enchanté…

Olivier Py : Oui ? Il faudra que je le lise. En tous les cas, vous étiez seuls contre tous ! Ils ont été terribles. D’autant que ce n’est pas comme pour le Visage d’Orphée où la critique avait été atroce, mais où il s’était passé quelque chose de très beau avec le public. Là, tous les soirs, c’était absolument glacial. Le public était d’une froideur ! Et ces évanouissements à répétition !

La journaliste : Il faut dire que lorsque l’on sortait de la salle, on se sentait tout de même un peu secoué…

Olivier Py : Certes, mais je ne pense pas que cela méritait un tel déchaînement de haine à mon égard. Est-ce qu’ils n’ont pas supporté la scène de sexe entre un père et son fils ? Sûrement. Ils n’ont pas réussi à y voir de sens. Mon drame bourgeois n’est pas passé. Ils préfèrent quand je fais le con dans mes comédies. C’est dommage, le casting était merveilleux et Pierre-André Weitz nous avait fait des décors somptueux…

La journaliste : Oui, et ces gradins qui tournaient pour faire découvrir aux spectateurs un nouvel espace scénique, c’était magique !

Olivier Py : Pour en revenir à la misogynie, il y a tout de même une journaliste qui a déclaré que mon spectacle était misogyne parce qu’il n’y avait qu’un seul rôle de femme ! Bel argument… Dans En attendant Godot, il n’y en a pas du tout. Est-ce que cela viendrait à l’esprit de quelqu’un de traiter Beckett de misogyne ? Pour moi, c’est de l’homophobie inversée. Et parfois, ça va loin. Dans des rencontres avec les spectateurs, il arrive souvent qu’une jeune fille me demande : « Mais tout de même, ce n’est pas un peu sexiste ? ». Cela arrive souvent.

La journaliste : Brassens, qui a été qualifié de sexiste plus souvent qu’à son tour, avait répondu : « Ceux qui me traitent de misogyne n’ont pas écouté mes chansons ».

Olivier Py : Il y a de ça en effet.

La guichetière, toujours à son travail : Monsieur le directeur ? Pardon de vous interrompre, mais je crois que le compte-personne est définitivement hors d’usage.

Olivier Py : Aïe ! Nous nous en passerons donc ce soir. Merci, Capucine.

La guichetière : Et puis il y a aussi les cahiers de réservation : on en est à noter sur les couvertures. Quand recevons-nous les nouvelles fournitures ?

Olivier Py : Hélas, je ne sais pas, mais je vous promets de me renseigner.

La guichetière : Merci ! Chantonnant. « Dans la fleur d’oranger, pas de réponse, dans le corps de la femme, pas de réponse, dans l’or des tabernacles, pas de réponse, dans la parole de l’ami, pas de réponse, dans les livres d’enluminure, pas de réponse, ni le violoncelle, ni la chambre des amants, ni la caresse maternelle, pas de réponse, pas de réponse, pas de réponse… » (1) Lalala, hmhmhm…

La journaliste, reprenant : Et dans ce genre de situations, comment réagissez-vous ?

Olivier Py : Cela dépend. Si je suis de bonne humeur et détendu, je vais répondre : « Mais non, mademoiselle, ce n’est pas du tout ça. J’adore les femmes, et d’ailleurs j’espère bientôt écrire une pièce avec uniquement des rôles de femmes ». Et si ce jour-là je suis fatigué de ce genre de choses, ce sera plutôt : « Écoutez, je crois que c’est une question homophobe, alors on va passer à autre chose ». Inévitablement, la jeune fille viendra à la fin, en pleurs, pour me dire que ce n’était pas du tout son intention. Montrant bien à quel point elle ne se rend pas compte de ce dont elle est néanmoins le relais.

La journaliste : C’est comme ce discours très répandu sur la bisexualité qui veut que ce soit une transition vers un choix définitif ; une incertitude et non pas un goût en soi.

Olivier Py : Absolument. D’ailleurs, vous remarquerez que mon grand personnage, celui qui revient inlassablement dans mes pièces, est bisexuel. Même si je laisse toujours mes personnages libres de leur sexualité ; de la définir ou non. Là d’ailleurs, je crois que je viens enfin de réussir mon trio (deux hommes et une femme) où tout le monde couche avec tout le monde, et où d’un point de vue dramatique, ça fonctionne vraiment bien.

La journaliste : Dans la Jeunesse, il y a aussi un joli trio avec Aurélien, Cendres et le Garçon à la cicatrice.

Olivier Py : Oui… En fait, non. Si Aurélien et Cendres couchent ensemble dans le premier acte, ils s’arrêtent très vite. On a quelque chose de très fraternel, d’autant que Cendres ne couche pas avec le Garçon à la cicatrice. C’est un beau duo en revanche, c’est vrai. À l’origine, c’était un atelier pour le Conservatoire, et du coup, la pièce est publiée complètement remaniée. Je ne voulais pas qu’elle paraisse telle quelle parce qu’il y avait des scènes que j’avais écrites à la commande, pour que chacun ait un rôle. Il a donc fallu couper beaucoup. Mais ça n’a jamais vraiment été monté. Il faut dire que j’allais peut-être un peu trop loin.

La journaliste : Peut-être, mais il y a de belles pages. J’aime beaucoup cette vieille religieuse qui ramasse des moutons de poussière : « Elle courbe son dos, elle se relève, elle n’a dans sa main que la poussière, cette poussière est son oratoire minuscule » (2).

Olivier Py : Oui, moi aussi je l’aime. Il faudrait peut-être que j’essaie d’écrire un dialogue des Carmes. Silence. Oui, pourquoi pas après tout !

Une porte s’ouvre à la volée. Entre le régisseur.

Le régisseur : Monsieur le directeur, le plateau est prêt !

Olivier Py, à la journaliste : Je vous demande juste un instant, s’il vous plaît.

La journaliste : Mais je vous en prie !

Olivier Py se lève et sort à la suite du régisseur. La journaliste hésite un instant, jette un coup d’œil à la guichetière toujours chantonnante, puis se lève à son tour et les suit discrètement. ¶

Lise Facchin


Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte I

Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte II

Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte III


(1) « Dans un théâtre noir », Miss Knife chante Olivier Py, Actes Sud, C.D.‑Livre, Paris, 2012.

(2) Les Enfants de Saturne d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, Paris, 2007, scène x, p. 51.

(3) Jeunesse d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, Paris, 2003, scène v, p. 41.


Le Visage d’Orphée d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, Paris, 1997, 109 pages.

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