Hermétique chevauchée
Par Élise Ternat
Les Trois Coups.com
Mise en scène pour la première fois en 1971, « la Chevauchée sur le lac de Constance » de l’auteur autrichien Peter Handke est de ces pièces où il y a plus à sentir qu’à comprendre. La compagnie Microserfs en donne ici une nouvelle version présentée au théâtre de L’Élysée du 12 au 16 juin 2012.
C’est à l’image d’un rêve, aussi fragile qu’une traversée sur un lac gelé, que Raphaël Defour et Nicole Mersey, entre autres à l’origine de la performance Spécial K, ont choisi de mettre en scène cette pièce de Peter Handke. En effet, la Chevauchée sur le lac de Constance trouve sa raison d’être, dans sa dimension poétique, à travers un travail de déclamation et d’ambiance. Et cela tombe plutôt bien puisque le plateau blanc de L’Élysée s’y prête parfaitement. Dès les premiers moments de la pièce, l’espace empli d’une épaisse fumée embarque le spectateur dans un univers cotonneux et onirique, au détail près du bruit d’un aspirateur…
… Une fois ce dernier éteint, ce sont les voix de deux individus que l’on distingue. Assis à une table, ces derniers conversent à propos de thèmes absurdes et étranges. Les jeux de répétition, d’exagération, les variations de volume des voix, l’aspect improbable des dialogues entre les personnages créent une atmosphère des plus particulières. Ici, tout est volontairement déconstruit et dénué de trame narrative. En effet, la pièce se veut écrite pour les acteurs : elle vise à sonder leur dimension intrinsèque. Aux côtés de Catherine Hargreaves, Philippe Labaune et plusieurs compagnons du N.T.H.8 se prêtent au jeu. De nombreuses séquences font, par leur incongruité, sourire. Et même lorsque le rationnel tente de faire une percée dans cet univers décalé, l’absurdité reprend bien vite le dessus.
La dimension temporelle s’étire et se dilue
Et le spectateur dans tout cela… ? Le rythme donné à la pièce, qui s’apparente rapidement à une succession de discussions, devient linéaire. De séquences en performances (course en rond autour d’une table, reprise d’expressions en chœur puis en canon…), un rapport particulier à la temporalité se crée, au point que celle‑ci s’étire et se dilue. Il devient alors difficile de s’installer dans cette ambiance. Et c’est là toute la faiblesse de cette pièce. À trop enchaîner les moments de loufoquerie, le contenu devient comme stérile, et seule demeure la dimension formelle. Pourtant, les choix scénographiques et les diverses tenues et accessoires – allant de l’armure à la robe de soirée, du manteau de fourrure aux porte‑jarretelles, cravaches et autres accessoires, créent un univers de luxure tout à fait séduisant, mais pas pour autant suffisant.
L’art des sensations est difficile ; rares sont les artistes qui réussissent à faire partager ce langage‑là. Nombreux se risquent à des exercices de style en dépit d’un propos souvent pertinent, mais malheureusement incommunicable. Il en résulte un hermétisme persistant. C’est en cela que la Chevauchée sur le lac de Constance s’apparente à une expérience en devenir qui doit s’étoffer d’un rythme, d’une tension, afin d’offrir une vraie place au spectateur. ¶
Élise Ternat
La Chevauchée sur le lac de Constance, de Peter Handke
Cie Microserfs
Mise en scène : Raphaël Defour, Nicole Mersey
Assistant à la mise en scène : Bastien Mignot
Avec : Marion Aeschlimann, Alizée Bingöllü, Gilles Chabrier, Catherine Hargreaves, Philippe Labaune, Nicole Mersey, Bastien Mignot, Nicolas Zlatoff
Lumière et son : Lucas Lelièvre
Guest stars : Étienne Gaudillère, Mathieu Grenier, Sébastien Hoen, Kamel Hasnat, Julien Rousseau, Laurent Dratler, Quentin Michallet, François Guyon
L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon
Site du théâtre : www.lelysee.com
Réservations : 04 78 58 88 25
Du 12 au 16 juin 2012 à 19 h 30
Durée : 1 h 15
12 € | 10 €