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21 juin 2012 4 21 /06 /juin /2012 13:42

Hermétique chevauchée


Par Élise Ternat

Les Trois Coups.com


Mise en scène pour la première fois en 1971, « la Chevauchée sur le lac de Constance » de l’auteur autrichien Peter Handke est de ces pièces où il y a plus à sentir qu’à comprendre. La compagnie Microserfs en donne ici une nouvelle version présentée au théâtre de L’Élysée du 12 au 16 juin 2012.

chevauchee-300 C’est à l’image d’un rêve, aussi fragile qu’une traversée sur un lac gelé, que Raphaël Defour et Nicole Mersey, entre autres à l’origine de la performance Spécial K, ont choisi de mettre en scène cette pièce de Peter Handke. En effet, la Chevauchée sur le lac de Constance trouve sa raison d’être, dans sa dimension poétique, à travers un travail de déclamation et d’ambiance. Et cela tombe plutôt bien puisque le plateau blanc de L’Élysée s’y prête parfaitement. Dès les premiers moments de la pièce, l’espace empli d’une épaisse fumée embarque le spectateur dans un univers cotonneux et onirique, au détail près du bruit d’un aspirateur…

… Une fois ce dernier éteint, ce sont les voix de deux individus que l’on distingue. Assis à une table, ces derniers conversent à propos de thèmes absurdes et étranges. Les jeux de répétition, d’exagération, les variations de volume des voix, l’aspect improbable des dialogues entre les personnages créent une atmosphère des plus particulières. Ici, tout est volontairement déconstruit et dénué de trame narrative. En effet, la pièce se veut écrite pour les acteurs : elle vise à sonder leur dimension intrinsèque. Aux côtés de Catherine Hargreaves, Philippe Labaune et plusieurs compagnons du N.T.H.8 se prêtent au jeu. De nombreuses séquences font, par leur incongruité, sourire. Et même lorsque le rationnel tente de faire une percée dans cet univers décalé, l’absurdité reprend bien vite le dessus.

La dimension temporelle s’étire et se dilue

Et le spectateur dans tout cela… ? Le rythme donné à la pièce, qui s’apparente rapidement à une succession de discussions, devient linéaire. De séquences en performances (course en rond autour d’une table, reprise d’expressions en chœur puis en canon…), un rapport particulier à la temporalité se crée, au point que celle‑ci s’étire et se dilue. Il devient alors difficile de s’installer dans cette ambiance. Et c’est là toute la faiblesse de cette pièce. À trop enchaîner les moments de loufoquerie, le contenu devient comme stérile, et seule demeure la dimension formelle. Pourtant, les choix scénographiques et les diverses tenues et accessoires – allant de l’armure à la robe de soirée, du manteau de fourrure aux porte‑jarretelles, cravaches et autres accessoires, créent un univers de luxure tout à fait séduisant, mais pas pour autant suffisant.

L’art des sensations est difficile ; rares sont les artistes qui réussissent à faire partager ce langage‑là. Nombreux se risquent à des exercices de style en dépit d’un propos souvent pertinent, mais malheureusement incommunicable. Il en résulte un hermétisme persistant. C’est en cela que la Chevauchée sur le lac de Constance s’apparente à une expérience en devenir qui doit s’étoffer d’un rythme, d’une tension, afin d’offrir une vraie place au spectateur. 

Élise Ternat


La Chevauchée sur le lac de Constance, de Peter Handke

Cie Microserfs

Mise en scène : Raphaël Defour, Nicole Mersey

Assistant à la mise en scène : Bastien Mignot

Avec : Marion Aeschlimann, Alizée Bingöllü, Gilles Chabrier, Catherine Hargreaves, Philippe Labaune, Nicole Mersey, Bastien Mignot, Nicolas Zlatoff

Lumière et son : Lucas Lelièvre

Guest stars : Étienne Gaudillère, Mathieu Grenier, Sébastien Hoen, Kamel Hasnat, Julien Rousseau, Laurent Dratler, Quentin Michallet, François Guyon

L’Élysée • 14, rue Basse-Combalot • 69007 Lyon

Site du théâtre : www.lelysee.com

Réservations : 04 78 58 88 25

Du 12 au 16 juin 2012 à 19 h 30

Durée : 1 h 15

12 € | 10 €

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commentaires

C
Chevauchée sur un plan de consistance<br /> <br /> Le premier mérite de ce spectacle, non des moindres, est le choix de cette pièce extraordinaire. Très vite à sa lecture on perçoit que Peter Handke s'est livré à une opération sur la littérature<br /> théâtrale comparable au strappo, lorsque pour déposer une fresque on décolle du support (ici la trame narrative et le fondement psychologique) la mince couche de pigments (ici dialogues et<br /> situations). Reste ensuite aux personnages à évoluer avec péril sur cette mince pellicule, à l'image du cavalier sur le lac gelé. J'admire dans ce texte le processus qui engendre une poésie et un<br /> comique très originaux.<br /> <br /> En parlant du livre, je suis déjà dans le commentaire de la mise en scène de Raphaël Defour car le second mérite du spectacle est de non pas illustrer la pièce mais d'en prolonger et d'en amplifier<br /> le processus, ce processus de soulèvement d'un plan, puis de traversée.<br /> <br /> Le processus de soulèvement, de prélèvement, est prodigieusement actualisé et amplifié grâce au travail collectif, à la diversité et à la très grande qualité des comédiens. Il englobe désormais le<br /> théâtre contemporain et la performance.<br /> <br /> Le péril de la traversé (fragilité de la surface décollée, pesanteur), est conjuré par des moments de suspension (blancheur, fumée, attente), par la vitesse (courses) et par l'intensité du jeu.<br /> <br /> L'expérience m'a tenu en haleine deux soirs consécutifs, ça marche, ça tient. Chevauchée sur un plan de consistance *, certainement.<br /> <br /> Je rêve maintenant d'une programmation qu'on intitulerait " les fantômes de l'Elysée " avec en ouverture " jeudi soir " de Myriam Boudenia et Charlotte Duran, puis cette " Chevauchée " et enfin<br /> pour conclure ce chef d'oeuvre qu'est " Dead Woman Laughing " de Catherine Hargreaves.<br /> CHF<br /> (1)" Mille Plateaux "
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