Leçon « particulière »
Par Emmanuel Arnault
Les Trois Coups.com
Samuel Sené, surdoué du spectacle, n’a de leçon à recevoir de personne. C’est lui qui veut nous donner une bonne leçon en montant au charmant Théâtre Mouffetard ce texte archiconnu, ou comment redécouvrir Ionesco en une seule leçon. Mais que cela nous serve de leçon ! Cette dramatique leçon particulière a de quoi décevoir les élèves studieux que sont les spectateurs. Tirons les leçons de cet évènement…
Cette pièce en un acte nous présente une jeune bachelière motivée venant prendre un cours particulier chez un vieil enseignant timide, en vue du doctorat total. La leçon commence de façon très drôle par des notions élémentaires de calcul, et se poursuit par un cours magistralement absurde de linguistique. Malgré les avertissements de sa bonne, le professeur devient de plus en plus agressif et autoritaire à l’égard de son élève devenue apathique. Jusqu’à ce que tout cela tourne mal… Ce « drame comique » a été écrit en 1950 par l’un des fondateurs de ce que l’on appelle le « théâtre de l’absurde ». Ionesco propose ici une action simple et dépouillée, dont le seul intérêt réside dans l’évolution de la situation et des personnages : un développement progressif au cours duquel le professeur vampirise son élève, dans un grand mélange de tragique et de comique. Alors que La Huchette joue sans interruption la mise en scène de la création depuis 1957, nous découvrons une nouvelle production de cette œuvre, à l’occasion du centième anniversaire d’Eugène Ionesco.
La laideur et la pauvreté de la scénographie, même voulues, déçoivent immédiatement. Deux tableaux noirs, deux tabourets, une table… Seules quelques mystérieuses cages à oiseaux, qui ne prendront sens qu’à la fin, aiguisent notre curiosité. Le jeu de Christian Bujeau en professeur vieillissant est un régal, tant est grand son sens du comique. Tout en ruptures bien pensées et en énergie corporelle maîtrisée, il donne à son personnage archétypal toute la profondeur nécessaire : d’abord doux et timide, il devient peu à peu passionné, puis tyran monstrueux. Face à lui les deux autres comédiennes, même excellentes, ont peu de choses à défendre. Claire Baradat, l’élève, compose superbement une parfaite poupée idiote. Cathy Sabroux incarne une bonne au sourire extraordinairement angoissant, dans une rigidité et une tenue admirables.
Monter un tel texte est un périlleux exercice de style, car il implique la fuite du réel, le mélange des tons, la tyrannie de l’existence, les relations dominants-dominés, les liens entre savoir et pouvoir… C’est un texte qui porte beaucoup de choses en lui et qui est bien plus profond que ses aspects burlesques. Le metteur en scène Samuel Sené semble avoir parfaitement compris et assimilé tout ce que comportait le texte : les enjeux sont clairs, les relations entre les personnages sont très bien dessinées, et il met en évidence toute la complexité d’Ionesco. Grâce lui en soit rendue, c’est une bonne leçon. Malheureusement, celle-ci reste bien trop « scolaire » ! Un metteur en scène n’est pas un professeur de littérature. Malgré quelques vrais rires, on ne peut s’empêcher de souffrir devant le vide énorme de la mise en scène. À quoi bon monter une pièce si c’est pour ne rien apporter de nouveau ? Aucune originalité, effets bâclés, situations convenues… Ionesco est complètement respecté, mais tellement que cela n’a plus d’intérêt. Quel dommage ! ¶
Emmanuel Arnault
La Leçon, d’Eugène Ionesco
Mise en scène : Samuel Sené
Avec : Christian Bujeau, Caire Baradat, Cathy Sabroux
Scénographie : Isabelle Huchet
Lumières : Franck Seigneuric
Assistant : David Eguren
Théâtre Mouffetard • 73, rue Mouffetard • 75005 Paris
Réservations : 01 43 31 11 99
Du 3 février 2010 au 20 mars 2010, du mercredi au samedi à 18 h 30
Durée : 1 h 10
22 € | 15 €