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10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 22:21

Un régal de mise en scène


Par Céline Doukhan

Les Trois Coups.com


Le « Mariage » proposé par la Comédie-Française étincelle de mille feux. À voir absolument.

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« le Mariage de Figaro » | © Cosimo Mirco Magliocca

Les répliques ciselées de Beaumarchais fusent, on rit, on s’émerveille de la modernité naturelle de cette pièce de 1784. La fantaisie irrigue la mise en scène, les décors, l’interprétation. Elle donne un rythme et une vivacité admirables à un spectacle dont les trois heures passent avec une folle légèreté.

Au début, c’est pourtant davantage une impression de sagesse, d’un certain sérieux qui se dégage. Mais, vite, on est surpris par des petits effets, des microdispositifs comiques aussi simples qu’efficaces, faisant souvent vibrer une corde burlesque, presque absurde. Ainsi des décors : les comédiens ne jouent pas seulement dedans mais avec. Des toiles peintes posées çà et là figurent ces portes, cabinets, pavillons et autres cachettes dont la pièce pullule. Et ces toiles s’enroulent et se déroulent à toute vitesse en produisant un petit claquement comique : les personnages ont l’air d’être chacun dans un petit castelet, semblables à des marionnettes.

Même sorte de candeur piquante côté mise en scène. C’est tout bête, mais comme elle est drôle, cette bouille du page Chérubin qui émerge tout juste de la grande robe qui le dissimule sur le grand fauteuil de la Comtesse ! Cette scène fameuse est un grand moment : le Comte, dans un geste on ne peut plus théâtral, soulève d’un coup la robe qui cache le jeune homme. Parfaitement rythmé, le dénouement de cette scène suscite alors un éclat de rire bien mérité dans toute la salle.

Un monologue bouleversant

La salle, justement : c’est ce « théâtre éphémère » construit à deux pas de la salle Richelieu en travaux jusqu’en janvier 2013, pour assurer l’« intérim ». Une réussite : ce parallélépipède rectangle de bois brut et noueux, d’une capacité de 746 places entièrement frontales, est beau, sobre et, ce qui ne gâche rien, confortable. Chaque spectateur a une bonne vue sur la scène, et la modestie élégante du lieu favorise une relation de proximité entre le plateau et la salle.

Mais revenons à la pièce et avançons jusqu’au dernier acte. C’est là que culmine la fantaisie de la scénographie. En lieu et place des célèbres marronniers, c’est plutôt une forêt d’animaux suspendus dans les cintres, mais à l’envers (vous me suivez ?), qui vient cueillir le spectateur, décidément charmé dans tous les sens du terme. Manière de dupliquer avec humour le subterfuge de Suzanne et la Comtesse qui échangent leurs vêtements pour berner le Comte ? C’est en tout cas une trouvaille superbe.

Mais la scénographie ne fait pas tout, bien entendu. L’interprétation de tous les comédiens, fine, drôle, engagée, donne une impression d’homogénéité qu’on applaudit des deux mains. Laurent Stocker est Figaro. On l’a récemment vu au cinéma notamment dans le dernier film d’Emmanuel Mouret *, où il brillait déjà dans un rôle à quiproquos. Il se retrouve cette fois à la tête de l’intrigue, des intrigues. Si le comédien, par son jeu sobre, ne cherche pas à faire de Figaro un descendant d’Arlequin, il ne manque cependant pas de talent comique, loin de là. Face à ses répliques astucieuses dites sur un ton imparable, le Comte se retrouve comme un professeur ne sachant que répondre à un étudiant plein de repartie. Mais il peut aussi incarner un Figaro touchant, car blessé. Le monologue du début du dernier acte est à cet égard bouleversant. L’acteur tient son public avec ce texte qui n’a pas pris une ride. Ce sont tous les précaires, tous ceux qui peuplent la « France d’en bas », qui semblent apparaître en filigrane de cette narration d’une vie passée à tenter de trouver, au propre comme au figuré, « une place ».

Dans un autre registre, le début du troisième acte, après l’entracte, est brillant. C’est un dialogue entre le Comte et Figaro, vif, enlevé, intelligent comme du Mozart, l’humour en plus. Et les femmes ? Anne Kessel campe Suzanne avec talent, et son visage fin et volontaire reflète le spirituel caractère. L’autre couple (Elsa Lepoivre et Stéphane Varupenne) est tout aussi talentueux, mêlant, selon une autre variation, la gravité à la comédie. Mais le charme vient aussi des seconds rôles, tous très soignés. Saluons le Chérubin intense et juvénile de Benjamin Jungers, à qui l’on souhaite une belle carrière ; la Marcelline sensible de Martine Chevallier ; et le désopilant Brid’oison de Pierre Louis-Calixte, impayable en Droopy bégayant. 

Céline Doukhan


L’Art d’aimer.


Le Mariage de Figaro, de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Comédie-Française • place Colette • 75001 Paris

0 825 10 16 80

www.comedie-francaise.fr

Mise en scène : Christophe Rauck

Collaboration artistique : Martial Jacques

Avec : Martine Chevallier, Anne Kessler, Bruno Raffaelli, Christian Blanc, Jérôme Pouly en alternance avec Pierre Louis-Calixte, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Benjamin Jungers, Stéphane Varupenne, Elliot Jenicot, Romain Dutheil, Guillaume Mika, Émilie Prévosteau, Julien Romelard

Scénographie : Aurélie Thomas

Costumes : Marion Legrand

Lumières : Olivier Oudiou

Musique originale : Arthur Besson

Travail gestuel : Claire Richard

Comédie-Française, théâtre éphémère • jardins du Palais‑Royal • 75001 Paris

www.comedie-francaise.fr

Réservations : 0 825 10 1680

Du 23 mars au 6 mai 2012 à 20 h 30, sauf les 8, 15, 21 avril et le 5 mai à 14 heures

Durée : 3 heures avec entracte

39 € | 14 € | 8 €

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