Raskine fait un triomphe !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups.com
Le public lyonnais a fait un accueil chaleureux et enthousiaste à la nouvelle création de Michel Raskine qui monte « le Triomphe de l’amour » de Marivaux. Un succès amplement mérité.
« le Triomphe de l’amour » | © Michel Cavalca
Lyon, capitale du théâtre décentralisé, entretient avec les metteurs en scène qui y font longuement escale des relations passionnées et souvent ambiguës. Cas particulier avec Michel Raskine qui semble avoir toujours disposé d’une place d’élection, faite de respect pour l’artiste généreux et d’amitié pour l’homme discret.
Depuis qu’il a quitté le Théâtre du Point-du-Jour, cette affection ne s’est pas démentie. C’est dire que l’on attendait avec impatience et curiosité sa nouvelle incursion sur les terres amères d’un Marivaux qu’il a contribué à sortir du costume empesé et frivole dans lequel il fut longtemps cantonné. Quatre ans déjà que Michel Raskine montait le Jeu de l’amour et du hasard avec Marief Guittier, son actrice fétiche, et Stéphane Bernard, que nous retrouvons tous deux dans le Triomphe de l’amour. Une comédie où il avait pris le parti de faire jouer le couple d’amoureux par des quinquagénaires, teintant ainsi la pièce d’une urgence vitale et d’une lucidité quelque peu inquiète, ainsi, surtout, que d’une évidente modernité.
Il choisit cette fois-ci une histoire où l’héroïne principale, Léonide, princesse de Sparte, pour conquérir le prince qu’elle désire, Agis, dont elle a usurpé la place, va prendre au piège de la séduction un philosophe et sa sœur, Hermocrate et Léontine, chez qui Agis s’est réfugié après avoir été chassé de Sparte. Les deux mentors, au crépuscule de leur vie, retirés des affaires, professent un grand mépris pour les appâts du monde, vivant pour la sagesse et dans l’austérité, et reportent toute leur affection sur le prince. Léonide doit donc user de stratagèmes pour n’être pas reconnue et approcher celui dont elle veut être aimée. Elle va ainsi se faire passer pour un homme, cette ruse entraînant moult rebondissements que l’on imagine. C’est en véritable stratège – bien plus qu’en amoureuse – que Léonide va conduire son entreprise. Les deux pauvres vieillards auront beau se défendre avec l’énergie du désespoir des tentations de la séductrice (que Léontine prend pour un séducteur), ils sont perdus d’avance et succomberont à l’appel d’un amour inespéré. La pièce, donc, est cruelle, autant que son héroïne.
Élégante et subtile distribution
Michel Raskine s’intéresse aux personnages qui se travestissent. Il suffit de se rappeler son formidable Max Gericke… Ici, il confie le rôle de Léonide à Clémentine Verdier, dont la grâce féminine a bien du mal à se cacher sous un costume masculin. Mais si sa silhouette, et plus encore sa magnifique chevelure flamboyante, ne trompent que ceux qui veulent être trompés, elle interprète une redoutable manipulatrice dont l’âme est d’acier trempé : seul la guide le désir de réussir, peu importent les dégâts collatéraux, et l’on se prend de quelque pitié pour le jeune ingénu, Agis, dont elle ne fait qu’une bouchée ! Elle excelle à faire jouer tous ses charmes pour, la minute d’après, retrouver un regard d’une froideur glaçante. Une main de fer dans un gant de velours, jamais une expression ne fut plus appropriée.
Face à elle, deux très grands comédiens. Marief Guittier, la sœur Léontine, corsetée de noir (les costumes sont signés Michel Raskine), allure altière, joue avec un humour ravageur les vieilles filles ridicules, les Dame Pernelle vite effarouchées, vite scandalisées. Quand elle tombe dans le piège, sa transformation est impressionnante. Marief Guittier découvre ainsi ses talents pour la comédie. Parallèlement, Alain Libolt donne à son personnage une retenue, une intelligence, une subtilité qui rendent Hermocrate attachant. Il faut encore parler de Stéphane Bernard en jardinier, dont la moindre des roueries est de se faire passer pour idiot : il confirme ici les talents qu’on lui connaît.
D’une manière générale, toute la distribution est excellente et prouve s’il en est besoin que Michel Raskine sait diriger les acteurs avec justesse et précision. Il sait aussi révéler les ressorts comiques de la pièce, et la joie qu’on y prend ne gâche rien à sa gravité, elle ne masque pas la cruauté, bien au contraire, comme si nous épousions avec délices les desseins pervers de Léonide… Le metteur en scène signe ici un de ses meilleurs spectacles. Le public ne s’y est pas trompé qui a fait un éloge mérité à ce Triomphe de l’amour qui lui aura procuré de vraies émotions de théâtre, en le faisant rire noir. ¶
Trina Mounier
Voir aussi « Huis clos », de Jean-Paul Sartre (critique), Théâtre Sorano à Toulouse
Voir aussi « Huis clos », de Jean-Paul Sartre (critique), Le Granit à Belfort
Voir aussi « le Jeu de l’amour et du hasard », de Marivaux (critique), Théâtre du Point-du-Jour à Lyon
Voir aussi « Marguerite et François », de Gilles Pastor (critique), L’Élysée à Lyon
Voir aussi « le Président », de Thomas Bernhard (critique), Les Nuits de Fourvière
Voir aussi « le Président », de Thomas Bernhard (critique), Le Granit à Belfort
Voir aussi « Il y aura scandale, mais… » (critique), Le Lavoir public à Lyon
Le Triomphe de l’amour, de Marivaux
Mise en scène : Michel Raskine
Avec : Stéphane Bernard ** (Dimas), Prune Beuchat (Corine, alias Hermidas), Marief Guittier (Léontine), Alain Libolt (Hermocrate), Maxime Mansion * (Arlequin), Thomas Rortais (Agis), Clémentine Verdier * (Léonide, alias Phocion, alias Aspasie)
* Comédiens de la troupe du T.N.P., ** comédien de la Maison des comédiens
Décor : Stéphanie Mathieu
Costumes : Michel Raskine avec la collaboration de Marie‑Fred Fillion
Lumières : Julien Louisgrand
Assistante à la mise en scène : Louise Vignaud
Production Théâtre national populaire, Raskine & Compagnie
Remerciements à Catherine Ailloud-Nicolas, Sophie Bouilleaux‑Rynne, Ouria Dahmani‑Khouhli, Joëlle Érard, Adèle Gascuel, Romain Marietti
Et à Tadas Chimiliov, Maxime Iourinov, Daria Liatietskaïa, Irina Mazourkievitch, Lioudmila Motornaïa, Samvel Moujikian et Nikolaï Smirnov, les acteurs de Tarjestvo lioubvi
Le Triomphe de l’amour (Tarjestvo lioubvi, texte russe d’Alla Belyak) a été créé par Michel Raskine le 23 mars 2013 au Théâtre de la Comédie-Akimov à Saint-Petersbourg avec le soutien de l’Institut français
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex
Réservations : 04 78 03 30 00
– Métro : ligne A, arrêt Gratte-Ciel
– Bus : C3, arrêt Paul-Verlaine ; bus lignes 27, 69 et C26, arrêt Mairie-de-Villeurbanne
– Voiture : prendre le cours Émile-Zola jusqu’aux Gratte-Ciel, suivre la direction hôtel de ville
Par le périphérique, sortie Villeurbanne-Cusset / Gratte-Ciel
Du 29 janvier au 21 février 2014, salle Jean-Bouise
Durée : 2 h 45
28 € | 20 € | 11 €
Autour du spectacle :
Dossier autour du Triomphe de l’amour sur le site internet du T.N.P.