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18 novembre 2014 2 18 /11 /novembre /2014 21:41

Robert Lepage, l’alchimiste


Par Trina Mounier

Les Trois Coups.com


Les spectacles de Robert Lepage annoncent toujours un éblouissement. La recréation de « les Aiguilles et l’Opium », plus de vingt ans après, ravit.

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« les Aiguilles et l’Opium » | © Nicola Frank Vachon

C’est véritablement un enchantement dont nous sommes les victimes consentantes et éblouies. Car ce spectacle tient de l’alchimie, d’une combinaison parfaite entre un texte magnifique, lui-même composé de fragments alternativement poétiques et franchement drôles, et un dispositif scénique impressionnant, magique.

Sur un plateau qui va se teinter de toutes les nuances de gris entre blanc et noir, un immense cube suspendu dans les airs accueillera trois histoires : celle de Jean Cocteau, lui-même en plein ciel dans l’avion qui le ramène de New York ; celle de Miles Davis devenu la proie de l’opium ; celle d’un comédien québécois en visite à Paris, sorte d’alter ego de Robert Lepage lui-même.

Trois personnages (et bien d’autres : la lumineuse figure de Juliette Gréco ou celle, hypnotique, de Jeanne Moreau…), et seulement deux comédiens-acrobates qui évoluent, retenus par des fils invisibles dans un univers instable où verticalité et horizontalité n’existent pas. Le premier, Marc Labrèche, se livre à une démonstration époustouflante de ses talents d’acteur : irrésistiblement drôle, il est capable l’instant d’après d’évoquer la douleur, la solitude ou de passer derrière le miroir pour se balancer sur la lune…

Wellesley Robertson III, quant à lui, en trompettiste génial, trimballe son corps imposant et son instrument d’un espace et d’un monde à l’autre, avec une virtuosité qu’on découvrira sur le tard comme effet de prestidigitation : la musique est enregistrée et Wellesley Robertson III mime l’illusion de l’interprétation en direct. Tous deux font assaut de brio sans que celle-ci n’entache la sincérité, la spontanéité de leur jeu, ni l’émotion qui s’en dégage.

De l’autre côté du miroir

Le cube suspendu oscille, ses côtés se déploient, ils se referment sur une histoire, s’ouvrent sur une autre, découvrent une vue vertigineuse des gratte-ciel de New York, plongent dans l’intimité d’une chambre d’hôtel ou décrivent un studio d’enregistrement. Parfois, ils ne sont que des parois contre lesquelles les personnages se laissent tomber, recroquevillés dans la douleur.

Ce qui relie ces trois moments de vie qui font appel à des temporalités différentes (les années 1950 et les années 1990) et des espaces séparés par un océan (Paris-New York), c’est l’expérience vive du tourment, de la rupture amoureuse et de la recherche de l’apaisement, notamment grâce à l’opium qui donne accès à un monde débarrassé des contingences et de la logique, un univers qui explose en une multitude de dimensions. Ce qui réunit ces fragments, c’est la musique lancinante de Miles Davis et particulièrement celle qu’il a composée pour le film de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud.

Trois œuvres s’entremêlent : la Lettre aux Américains de Jean Cocteau, où il dit son attachement et sa désillusion pour ce pays ; les savoureux monologues d’un Québécois à Paris aux prises avec une culture si radicalement différente ; les arrangements de jazz… De la poésie pure, de l’humour à éclater de rire, de la musique à vous arracher des larmes, un cocktail puissant aux ingrédients pleins d’arômes. Certaines scènes sont proprement surréalistes comme celle où Marc Labrèche se transforme en homme-orchestre.

Dans le train qui roule vers la mort, cet « ascenseur pour l’échafaud », l’amour et la douleur, la création aussi, sont les seuls éléments qui nous prouvent que nous sommes irréductiblement vivants. Les Aiguilles et l’Opium, par ce qu’ils charrient d’inventivité, de force émotionnelle et d’émerveillement, sont d’abord un hymne à la vie et à la création. 

Trina Mounier


Autres critiques des mises en scène de Robert Lepage :

« Jeux de cartes 1 : pique », de divers auteurs (critique), Les Célestins à Lyon

« Le Dragon bleu », de Marie Michaud et Robert Lepage (critique), Théâtre national de Chaillot à Paris

« Le Projet Andersen », de Robert Lepage (critique), Théâtre national de Chaillot à Paris


Les Aiguilles et l’Opium, de Robert Lepage

Mise en scène : Robert Lepage

Avec : Marc Labrèche, Wellesley Robertson III

Assistance à la mise en scène : Normand Bissonnette

Scénographie : Carl Fillion

Conception des accessoires : Claudia Gendreau

Musique et conception sonore : Jean-Sébastien Côté

Conception des éclairages : Bruno Matte

Conception des costumes : François Saint-Aubin

Conception des images : Lionel Arnould

Le texte comprend des extraits de Lettre aux Américains et Opium de Jean Cocteau

Agent du metteur en scène : Lynda Beaulieu

Direction de production : Julie Marie Bourgeois

Direction technique : Michel Gosselin

Direction de tournée : Catherine Desjardins-Jolin

Régie générale : Adèle Saint-Amand

Régie son : Marcin Bunar

Régie vidéo : Thomas Payette

Régie des éclairages : David Desrochers

Régie des costumes et accessoires : Claudia Gendreau

Chef machiniste : Pierre Gagné

Machiniste : Sylvain Belan

Gréeur : Julien Clerc

Consultant automation : Tobie Horswill

Consultante vidéo : Catherine Guay

Maquillage : Jean Bégin

Réalisation des costumes : Carl Bezanson, Julie Sauriol

Trompette interprétée par Craig L. Pedersen

Consultants acrobaties : Geneviève Bérubé, Yves Gagnon, Jean‑Sébastien Fortin, Jean‑François Faber

Construction du décor : Scène éthique, Astuce décors

Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon

Réservations : 04 72 77 40 40

www.celestins-lyon.org

Du 15 au 20 novembre 2014, à 20 heures, dimanche à 16 heures, relâche lundi

Durée : 1 h 35

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