« Les Fuyantes » :
une échappée poétique
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups.com
Vous voulez vivre une expérience inédite ? Avec leur univers burlesque où se mêlent les disciplines, Boris Gibé et Camille Boitel jouent de nos perceptions pour changer nos repères. Interrogeant notre rapport au monde, ces artistes singuliers ont imaginé un stimulant jeu de pistes entre monde réel et espace virtuel. Un spectacle visuel et sensible qui ouvre de bien vastes perspectives.
« les Fuyantes » | © Jérôme Vila / Contextes
Boris Gibé développe un langage artistique au croisement du spectacle vivant et des nouvelles technologies, tandis que Camille Boitel, ancien compagnon de route de James Thiérrée, compose avec le cirque, le théâtre et la danse. De cette complicité est né un spectacle à la vitalité désespérée qui appréhende autrement les espaces qui nous entourent.
Une porte, puis une autre. Les cinq personnages traversent un drôle de monde, des pièces en enfilade. Une fenêtre, encore une autre. Seraient‑ils dans un huis clos ? En tout cas, ils cherchent leur place. À moins qu’ils ne visent le point de fuite. Les uns après les autres, ces êtres sont avalés par des trappes, d’innombrables béances par lesquelles, subrepticement, le vide finit toujours par s’immiscer. Mais ces comparses réapparaissent toujours, sans mots, sans cris, sans même être affectés par ces incidents de parcours. Planchers à bascule, escaliers qui ne mènent nulle part, ils défient sans cesse les lois de la pesanteur. L’homme est doué d’incroyables facultés d’adaptation, n’est-ce pas ?
Ces caméléons, tantôt acteurs, tantôt victimes de la microsociété qu’ils fabriquent, évoluent dans un décor en perpétuelle transformation, un piège dans lequel ce groupe tente coûte que coûte de rester en prise avec la réalité mouvante qui lui échappe. Métaphore d’un monde où plus aucun repère sensible n’est sûr, les Fuyantes aident à prendre du recul sur notre système de pensée, à une époque où le virtuel prend de plus en plus le pas sur les réalités tangibles. Avant que nous ne contrôlions plus la situation…
Cul par dessus tête
Entre ces dégringolades en série et ces improbables rattrapages, l’espace s’anime, palpite, respire, a des sautes d’humeur. À tel point que nous ne savons plus qui – du cadre ou des formes qui y circulent – est le plus vivant. Cette scénographie inventive est née de l’observation des lois géométriques et mécaniques. Mais nous sommes aussi emmenés vers ces territoires instables grâce aux illusions d’optique. L’habile jeu d’éclairage et de vidéo, qui repose sur un principe interactif, crée une boîte magique aux étonnantes perspectives et plans inversés. Ce spectacle visuel perturbe vraiment notre regard.
Enfin, ces troublantes sensations sont renforcées par l’exceptionnel travail sur la mise en espace des corps. La compagnie Les Choses de rien maîtrise parfaitement l’art de la chute. Tout est calculé au millimètre. Quel travail, aussi, au plan du rythme ! En perpétuel mouvement, ces acrobates aériens racontent une histoire dans une langue nouvelle, tout en virtualité et virtuosité. Le travail sur les états du corps (liquides, aériens) est impressionnant.
Vertigineux de poésie
Pas de parole, ni d’intrigue. Pas vraiment de situations, d’ailleurs. Pourtant, c’est dramatique. Boris Gibé et Camille Boitel fouillent les failles de nos existences, creusent nos gouffres à l’envi. La tension entre corps et espace, légèreté et gravité, jeu et drame, ordre et chaos, vie et mort, est palpable. Cette exploration des mondes parallèles est certes anxiogène, mais on ressort de là plus humains, car, si les lois de la physique sont sérieusement mises à mal, c’est l’absurde qui domine. Surtout, l’œuvre, aux innombrables niveaux de lecture, reste ouverte. Histoire de rebondir !
Pas étonnant que ce spectacle hybride soit programmé dans les festivals les plus excitants de ce printemps : Les Composites de l’espace Jean‑Legendre de Compiègne (du 13 mars au 11 avril 2012) et Hautes tensions à la Grande Halle de la Villette (du 11 au 22 avril 2012). Le cirque contemporain est d’une grande vitalité. Branché sur toutes les pratiques, il développe de nouveaux langages, des esthétiques inventives, des formats inédits.
Les arts du cirque, espaces de tous les possibles. Connectés au monde, ils ouvrent, comme les Fuyantes, une brèche vers des ailleurs poétiques susceptibles de transformer nos tragiques destinées. Tiens, La brèche !… C’est le nom du Pôle national des arts du cirque de Cherbourg-Ocqueville. ¶
Léna Martinelli
Les Fuyantes, de Boris Gibé
Compagnie Les Choses de rien
Conception et scénographie : Boris Gibé
Mise en scène : Camille Boitel
Avec : Florent Blondeau, Anna Calsina Forrellade, Boris Gibé, Xavier Kim, Éric Lecomte
Création sonore et conception du dispositif interactif : Antoine Villeret
Création lumière : Annie Leuridan
Dispositif temps réel : Cyrille Henry
Création images : Olivier Arnaud, Camille Baudelaire, Cyrille Henry, Annie Leuridan, Emmanuelle Vié Le Sage, Antoine Villeret
Création textile, costumes : Florinda Donga
Construction décors : Nil Admirari, Les Choses de rien
Coordination technique sur la création, régie plateau : Bertrand Duval
Régie plateau, construction machinerie : Mathieu Delangle
Régie plateau en alternance : Marinette Julien
Régie générale, régie son : Fabrice Duhamel
Régie lumière et vidéo : Emmanuelle Vié Le Sage
Espace Jean-Legendre, scène nationale de l’Oise en préfiguration • place Briet‑Daubigny - rue du Général‑Koenig • 60200 Compiègne
Réservations : 03 44 92 76 76
Les 20 et 21 mars 2012 2012 à 20 h 45
Durée : 1 h 10
21 € | 15 €
Spectacle tout public à partir de 12 ans
Tournée :
• Du 4 au 6 avril 2012 à Maison de la danse à Lyon (69) - Réservations au 04 72 78 18 00
• Du 11 au 14 avril 2012 à Paris Villette (75019) dans le cadre du festival Hautes Tensions - Réservations au 01 40 03 75 75
• Les 19 et 20 avril 2012 à Le Phénix, scène nationale de Valenciennes (59) - Réservations au 03 27 32 32 32
• Les 4 et 5 mai 2012 à Théâtre Gérard‑Philipe à Champigny‑sur‑Marne (94) - Réservations au 01 48 80 05 95
• Les 10 et 11 mai 2012 à Théâtre‑Cinéma Paul‑Éluard à Choisy‑le‑Roi (94) - Réservations au 01 48 90 89 79