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15 octobre 2014 3 15 /10 /octobre /2014 22:18

Juste « rigolo »


Par Maud Sérusclat-Natale

Les Trois Coups.com


Seul, Michel Boujenah s’est invité sur les planches de la scène nationale de Montbéliard pour nous présenter son dernier spectacle, « Ma vie ». Cette fausse autobiographie comique a manqué de surprise et de finesse, c’est dommage.

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« Ma vie » | © Jean-Marc Helies

C’était pourtant prometteur. Michel Boujenah, bien connu du grand public, est un acteur atypique et autodidacte dont le parcours est un vrai sujet. Du moins, on aurait pu le croire. Il arrive en courant sur un plateau presque nu, fougueusement, presque un peu brutal. Seuls une chaise, agrémentée d’un foulard, et un chapeau melon l’attendent. Il nous salue vivement, il semble content de nous voir. Il exulte, crie, rouspète, chahute avec l’assistance, qui ce soir-là était très chaleureuse. Au cas où nous en aurions besoin, il est sonorisé, dès lors on ne risque pas de s’endormir. Bon. Jusque-là, nous sommes totalement dans les codes du « one-man-show », rien de très original, c’est presque convenu et un peu long. Déjà. Les blagounettes fusent, pas forcément très légères. Quelques dames assises à l’orchestre sont visiblement amusées, elles se font traiter de « folles », et la salle explose de rire. Pas moi. Mais je veux bien patienter encore un peu, histoire que ça commence vraiment. Alors qu’un soupir s’échappe presque de ma bouche, notre artiste s’exclame : « J’imagine un journaliste dans la salle, c’est un peu décousu… ». En effet.

Il faudra donc accepter d’entrer dans son jeu pour se laisser porter par ce travail, sans cesse interrompu par des digressions fantasques, tantôt écrites tantôt improvisées avec plus ou moins de subtilité. Soit. En conséquence, le spectacle aura les défauts de ses qualités : beaucoup d’énergie et de rythme, mais pas toujours de profondeur ou de fond. Pourtant, même si Michel Boujenah se défend de raconter réellement sa vie dans ce seul en scène, même s’il prétend la tourner en dérision par le truchement de boutades plus ou moins heureuses qui évoquent par exemple son goût pour les femmes – si délicatement représenté par l’épisode de « l’obsession des nichons » – ou pour les saveurs de son enfance tunisienne concentrées dans les fameux « abdobeignets » au miel de sa maman, son existence est semée de périodes drôles et sensibles, qu’il prend soin, l’air de rien, de nous distiller.

En effet, il y avait bien des choses à relater sur son arrivée en France alors qu’il a à peine dix ans et qu’il a dû faire ses adieux à sa maison aux volets bleus et mettre fin à ses conversations avec le soleil tunisien. Pareillement, il se devait de nous rappeler ses débuts dans le monde de la scène et de la culture, débuts chaotiques pour cet intrus qui était extérieur au sérail, qui s’est entendu dire qu’il « puait l’huile d’olive » et qu’il devait renoncer au répertoire classique parce qu’il n’en avait pas les codes. Ce n’est pas sans ironie que le comédien raconte pourquoi il s’est cantonné au registre de l’humour un peu gras, comme l’étaient les beignets de son enfance. Bien sûr, on comprend quel message sur la société française il veut porter ce soir sous des airs de légèreté. On aurait juste aimé qu’il l’assume un peu plus.

Ces passages, précieux et souvent poétiques, font bien partie du spectacle, mais demeurent à mon sens noyés par le flot de gags que Boujenah le clown s’évertue à nous proposer, comme pour mieux faire avaler l’amère pilule. C’est dommage et presque un peu lâche, parce que ce travail aurait pu gagner en intensité, s’il avait été plus engagé. Au lieu de cela, il est resté « rigolo ». En nous invitant à ne pas perdre de vue l’enfant qui sommeille en nous, Boujenah s’est senti obligé de jouer l’amuseur au milieu d’une cour de récré conquise d’avance. Or, il me semble que ce n’était pas l’idée. Il lui aurait suffi d’assumer un peu plus d’incarner cet artiste accompli et adulte de 64 ans, qu’il est devenu, pour que le public puisse entendre vraiment ce qu’il avait à dire. C’est cet homme-là que nous étions venus rencontrer, en toute simplicité. 

Maud Sérusclat-Natale


Ma vie, de Michel Boujenah

Collaboration artistique : Corinne Atlas

Avec : Michel Boujenah

Diffusion : Judith Marouani

Théâtre de Montbéliard, MA scène nationale • rue de l’École-Française • 25200 Montbéliard

Réservations : 0805 710 700

billeterie@mascenenationale.com

Le 8 octobre à 20 heures

Durée : 1 h 30 environ

16 € | 13 € | 11,20 € | 8 € | 5 € | 4 €

Tournée :

– Toulon : le 16 octobre 2014 au Théâtre Liberté à 20 h 30

– Palaiseau : du 14 au 19 novembre 2014 à l’espace Salvador-Allende

– Annecy : le 22 novembre 2014 au Théâtre Bonlieu

– Paris : Théâtre Édouard-VII, du 18 novembre 2014 au 4 janvier 2015

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