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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 15:39

En route pour le luxuriant pays des parents perdus


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


Dans l’intimité de la salle de théâtre du Point-du-Jour, l’ambitieuse troupe du Hérisson bleu ose porter sur scène un texte inédit d’un des membres du collectif : Milena Csergo. Variation sur le mythe de Peter Pan, « Où le temps s’arrête et sans chaussures » offre plutôt une âpre réflexion sur les errements des adultes qu’un voyage enjoué au pays de l’enfance – même si le spectacle n’est dénué ni d’humour ni de fantaisie. Fulgurance et outrances juvéniles, maturité de la mise en scène, sont comme à l’image du mythe, et l’on aurait tort de ne pas y plonger.

ou-le-temps-sarrete-et-sans-chaussuresComme nombre d’histoires prétendument destinées à l’enfance, le mythe de Peter Pan recèle sa part de violence et d’amertume. C’est, Walt Disney ne saurait le faire oublier, l’histoire d’enfants rejetés par leurs parents et qui ne savent plus donner de sens au mot mère. C’est encore l’histoire d’un petit roi gracile qui est incapable d’aimer vraiment, c’est-à-dire de grandir dans la douleur de l’attachement. L’écriture de Milena Csergo, tout comme sa transposition au plateau, met en lumière cette part d’ombre. Davantage, elle réinvente la fable en offrant les plus beaux rôles à des personnages secondaires et comme maudits. Par exemple, on trouve une Clochette privée de parole articulée puis incarnée par un mouvement de rideau, ce qui la rend paradoxalement plus présente. On fait la connaissance du pathétique Capitaine Crochet, victime ici d’un Peter digne de Lautréamont. On redécouvre surtout les parents Darling.

Les moments qui mettent ces derniers en scène sont, en effet, remarquables. La mise en espace est alors signifiante, dépouillée et nette. Elle n’opte pas pour les raccourcis de l’illustration mais symbolise. Sont ainsi évoqués la liesse de la rencontre, comme le désamour ou la violence quotidienne. Est même figuré l’infigurable : un accouchement et l’inconscient. C’est une sacrée gageure et c’est, selon nous, ce qui fait la qualité du spectacle. On ajoutera que si l’interprétation des enfants est parfois déconcertante – on pourrait préférer que les comédiens ne jouent pas avec des voix de fausset –, celle des parents est souvent convaincante. Pas de bavardage, mais des (dé)placements ou de petits ballets. On regrette d’ailleurs qu’une musique originale n’accompagne pas ces moments. Le jeu du père (Antoine Thiollier), mis en valeur par la lumière, crée l’émotion et peut être relevé.

Prendre la main de ce conteur vêtu de noir

Pour raconter la vie déchirée de ces parents, mais aussi celle de Wendy (jusqu’à sa mort peut-être ?), le spectacle recourt à des procédés plus ou moins ingénieux. Le costume de Wendy et de ces parents évolue, certes, mais c’est surtout la voix du conteur qui tisse le fil entre les époques. Cette voix, poétique, portée avec justesse par Milena Csergo, donne une vraie cohérence à la pièce. On en vient même à regretter que ce personnage rentre dans la fable, et endosse le beau rôle de Crochet… pour en mourir. De fait, face à un spectacle si foisonnant, si elliptique et exigeant, on aurait peut-être besoin de continuer à prendre la main de ce conteur vêtu de noir.

Si Milena Csergo fait surgir les ombres de la malle de nos inconscients, qu’on se rassure, le spectacle révèle aussi des pépites d’humour noir ou bleu. La triple cravate du père, et ses discours, même en anglais, font sourire. En outre, le monde un peu vide des enfants perdus et de Wendy a la grâce de ces cabanes faites de bric et de broc, de lumière aussi que l’on se fabrique dans l’ombre de sa chambre d’enfant. Le lit, quant à lui, prend des allures de navire, et les grandes chaussettes d’un enfant perdu rappellent le vert paradis des déguisements enfantins.

On l’aura compris, la pièce Où le temps s’arrête et sans chaussures offre moult ressources, interprétations, surprises. Peut-être trop… Mais c’est le caractère de la jeunesse que de vouloir tout dire. C’est le privilège de la jeunesse d’y réussir en dépit de quelques maladresses qui ont aussi leur beauté. La Cie du Hérisson-Bleu se réclame d’une esthétique de la pauvreté, on lui souhaite quand même les moyens de recourir à un musicien et à un costumier qui sauront offrir un bel écrin à son talent. On lui souhaite surtout de rencontrer le public qu’elle mérite. Vous ? 

Laura Plas


Où le temps s’arrête et sans chaussures, de Milena Csergo

Compagnie de l’Éventuel-Hérisson-Bleu • 1, rue Albert • 75018 Paris

06 86 13 01 53

Site de la compagnie : www.cieeventuelherissonbleu.fr

Courriel de la compagnie : cie.herissonbleu@hotmail.fr

Mise en scène : Milena Csergo

Avec : Marion Bordesoulles, Lou Chrétien, Milena Csergo, Hugo Mallon et Antoine Thiollier

Régie lumière : Virgile Tyrode

Costumes et décor : compagnie de l’Éventuel-Hérisson-Bleu

Théâtre du Centre d’animation du Point-du-Jour • 1-9, rue du Général-Malleterre • 75016 Paris

Réservations : 01 46 51 03 15

Métro, ligne 9 : Porte-de-Saint-Cloud

Du 5 au 28 janvier 2011 (les mercredi, jeudi, vendredi) à 20 h 30 (relâche le 14 janvier 2011)

Durée : 1 h 30

9 € | 7 €

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