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14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 18:40

Mort, suspends ton vol !

 

Avec « Robert Plankett », au Théâtre de la Cité-Internationale, le collectif La Vie brève nous offre jusqu’au 29 janvier 2011 l’histoire d’un deuil. Un deuil qui « fait des histoires »… mais de belles histoires : délicates, poétiques et poignantes.

 

robert-plankett-615 charlotte-corman

« Robert Plankett »

© Charlotte Corman

 

Robert Plankett est mort. Comment ? À la suite d’un A.V.C. (accident cardio-vasculaire), rien de plus brutal, pas de fin plus arbitraire. Soudain, très simplement, il n’est plus. C’est tout. Il faut réinventer le présent. C’est précisément ce qu’a demandé Jeanne Candel à ses comédiens. Acteurs-auteurs de leur spectacle, ils l’ont construit entièrement à partir de leurs improvisations. La méthode colle curieusement avec le contenu : le vide dans lequel il faut se jeter pour inventer le jeu, le texte et l’histoire, c’est aussi le vide avec lequel, face à la mort, il faut jouer dans la vie.

 

Comment faire quand quelqu’un disparaît ? Il laisse un trou, et les choses s’en trouvent toutes chamboulées. C’est brusquement, subitement, le désordre. Une vie perdue, c’est une vie défaite. On dirait un collier brisé dont les perles tombent en pluie sur le sol. Tous les liens sont coupés, le réel s’éparpille. Mais ce réel, il faut pourtant bien s’en « charger », s’en débrouiller avec les moyens du bord. C’est de cela qu’il s’agit dans la pièce. Un groupe d’amis et de proches se retrouvent pour ramasser, trier, ranger ce qu’il reste de Robert Plankett : des livres, un tapis, un poulet congelé, des contrats à résilier… un ensemble composite et qui ne tient plus ensemble de détails, de souvenirs. Des miettes de vie à se répartir. Il faut décider de ce qu’on en fait, du statut qu’on leur donne. « Le poulet qu’il voulait qu’on cuisine ensemble, je le jette, vous croyez ? » ne cessera de demander Camille, la compagne du défunt. Est-ce qu’il faut le jeter ? Et qu’est-ce qu’on jette exactement, avec ce poulet ?

 

C’est de vie qu’il est constamment question

Tenant entre ses mains la bête froide et déplumée, c’est une danse totalement incongrue et spectaculaire que Camille finit par exécuter avec elle. Chacun se rapporte de manière singulière à Robert Plankett, et chacun vit cette mort de manière différente. Ce qui est passionnant, c’est qu’il s’agit justement de la vivre. Aussi, l’enjeu se déplace : c’est de vie qu’il est constamment question. De vie, de désirs, de projets en cours, d’humains qui sont confrontés les uns aux autres. La mort est au centre, mais la périphérie l’emporte. Et, de fait, on ne peut que tourner autour de la mort, la décrire, l’expliquer de mille manières, ou même, devant le choc qu’elle impose, se taire, mais on ne peut pas la toucher. C’est donc plutôt ce qu’elle révèle, ce sont plutôt les effets qu’elle produit sur ceux qui restent, les vivants, qui nous intéressent.

 

Ainsi se dessinent, comme à l’aquarelle, des silhouettes émouvantes : ces personnages s’attaquant aux petites tâches concrètes que Plankett a laissées derrière lui, et qui nous délivrent, tour à tour, des secrets, des bribes d’intimité. Tous, à leur façon, continuent de faire exister leur ami disparu. Il y a l’ancienne amoureuse de Robert, par exemple, qui nous retrace sur un plan de Paris son histoire avec lui, puis éclaire les points de son corps qui évoquent les émotions qu’elle a connues à ses côtés. Il y a aussi l’amie médecin, qui passe un long moment à expliquer aux autres ce qui a pu se passer dans la tête de Robert au moment de l’A.V.C. qui l’a tué. Le temps s’arrête, chacun l’écoute, concentré et presque hypnotisé. Car non seulement elle fait revivre Robert, mais elle sait aussi ramener la singularité absolue d’une mort à une loi du genre humain, ramener l’incompréhensible dans les catégories apaisantes de la science.

 

Le spectacle se tisse ainsi autour d’une absence. Mais il reste toujours à la lisière du drame grâce à la poésie du détail, la grâce de l’insolite et l’humour omniprésent. Les matériaux utilisés – papier kraft et bouts de carton – permettent à l’imagination du spectateur de prendre son essor, de se mouvoir dans un univers onirique et presque enfantin. Le récit de la mort de Plankett, notamment, convoque une nature verdoyante et magique, où évolue toute une peuplade d’animaux qui parlent comme dans les dessins animés de Walt Disney. Les acteurs, enfin, ne forcent jamais le trait, tout en sachant offrir généreusement ce que l’homme peut avoir de plus démuni face à la mort, cette sorte de nudité, de pauvreté. De cette composition tout en finesse et en simplicité émerge un véritable amour de vivre, un désir profond d’être ensemble. N’est-ce pas pour cela que le théâtre existe ? 

 

Manon de Cèze

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Robert Plankett, par le collectif La Vie brève

Mise en scène : Jeanne Candel

Écriture et jeu : Marie Dompnier, Lionel Dray, Sarah Le Picard, Laure Mathis, Hortense Monsaingeon, Juliette Navis-Bardin, Jan Peters, Jeanne Sicre, Marc Vittecoq

Dramaturgie : Samuel Vittoz

Création lumières : Sylvie Mélis

Scénographie : Lisa Navarro

Direction musicale : Jeanne Sicre

Administration de production : Le Petit Bureau/Claire Guièze - Astrid Rostraing

Production : collectif La Vie brève

Coproduction Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse

Avec l’aide à la reprise d’A.R.C.A.D.I., avec l’aide au projet de la Ville de Paris

Ce texte a reçu l’aide à la création du Centre national du théâtre et le soutien artistique du Jeune Théâtre national

Théâtre de la Cité-Internationale • 17, boulevard Jourdan • 75014 Paris

Réservations : 01 43 13 50 50

www.theatredelacite.com

Du 6 au 29 janvier 2011, les lundi, mardi, vendredi, samedi à 20 heures, le jeudi à 19 heures, relâche les mercredi, dimanche

Durée : 1 h 30

21 € | 14 € | 10 €

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