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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 15:04

 Pour 

 

Oser le vertige


Par Laura Plas

Les Trois Coups.com


« Éclectisme », « découverte » : mots clés de la programmation du Théâtre Monfort, au risque même de bousculer. Cette fois, le théâtre accueille un spectacle de théâtre optique, « Urbik / Orbik », création inspirée du monde de Philip K. Dick, d’une autre dimension, hypnotique et très littéraire. Déconcertant ? Sans doute. Mais très intéressant pour cette raison même !

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« Urbik / Orbik » | © Siegfried Marque

Vous aimez le théâtre de chair, celui où l’on transpire et où quelque chose passe entre la scène et la salle dans une présence cérémonielle ? Alors, vous n’aimerez pas Urbik / Orbik. Vous venez, alléchés par la magnifique affiche du Monfort croyant entendre une histoire de gémellité ? Vos attentes ne seront pas comblées. Vous pensez que le théâtre, c’est ça, et pas ceci, vous n’aimez pas la science-fiction, vous voulez tout comprendre d’un spectacle ? Urbik / Orbik n’est pas pour vous. Mais si vous venez sans attentes préconçues, si vous acceptez le dessaisissement, alors vous pourrez vivre un moment étrange : une heure en apesanteur. Peut-être même qu’à l’issue du spectacle, il vous faudra quelques instants pour revenir à vous, et applaudir. Ce fut le cas le 1er février. Peut-être vous demanderez-vous : « Ai-je rêvé, ne suis-je pas moi-même le personnage d’un de ces “micromondes” dont on me parlait ? »

Pourquoi ? Urbik / Orbik repose sur un complexe système scénographique fondant comédiens et vidéo. Un écran nous sépare du plateau. Derrière s’ouvre alors un autre monde. Il est très difficile de faire le distinguo entre le corps d’un comédien et son hologramme, entre ce qui est réel et l’image. L’œil s’égare, le cerveau entre en confusion. À coup sûr, c’est une prouesse technologique. On imagine l’immense travail d’exploration des virtualités de la scène, les efforts accomplis pour coordonner les voix off et réelles, les corps en mouvement et les images. On dira que la maîtrise technique ne fait pas la réussite esthétique. C’est vrai. Les tentatives de Judith Depaule dans Même pas morte ou celle du Teatro Cinema ne nous ont d’ailleurs pas du tout convaincus.

Dans la position des geôliers

Cependant, ici, quand il s’agit de pénétrer le monde de la science-fiction et plus particulièrement celui de Philip K. Dick, le dispositif prend au contraire tout son sens. De fait, chez Dick, l’image est sans cesse en jeu et même enjeu : regards espions, société contrôlée, visions d’un cerveau dérangé (ou trop lucide ?). Dans Urbik / Orbik, un homme, Philip, est astreint à résidence dans un espace minuscule, sous surveillance sans cesse. Et le quatrième mur, matérialisé par un écran, nous met dans la position de ses geôliers. Cet homme est un écrivain, contraint à se médicamenter, c’est lui qui nous raconte. Alors, comment savoir si ce que nous voyons de lui, avec lui, est fiable ? Philip nous conte l’histoire d’un monde qui s’abîme, car la glaciation gagne. On y manque d’espace. Dans ce monde, un ami et lui ont mis en place des micromondes virtuels où l’on pourrait se réfugier, et ils ont été punis. Mais nous qui sommes dans le noir, dans un lieu qui prolonge celui de la scène et en est irrémédiablement coupé, ne sommes-nous pas prisonniers de ces micromondes ? Les questions, les analogies se multiplient donc.

Si on accepte cette vertigineuse mise en abyme que prépare le prologue, on comprend mieux les choix. On comprend le jeu des acteurs, leur diction. Ces voix sont celles de sirènes qui nous appellent au voyage, à l’hypnose. Presque désincarnées, douces, elles disent aussi la perte des repères des protagonistes. Les personnages nous refusent leur secret. Souvent de profil, peu mobiles, ils nous échappent. Peut-être délirent-ils, ou ne sont-ils que des fictions ? On peut ne pas apprécier, mais ces partis pris sont assumés, et ils font de l’effet. Par ailleurs, ils sont en parfaite cohérence avec la très forte littérarité de l’œuvre. Non seulement, les personnages agissent comme dans un roman de Philip K. Dick, mais ils parlent comme dans un roman. Ainsi, sans horizon d’attente en entrant, on peut sortir avec des horizons de lecture à venir.

Urbik / Orbik ferait donc songer à une expérience de nouvelle magie, à la beauté enivrante des lectures, tout en provocant l’étonnement de l’œil. Cela peut être dérangeant, mais pourquoi ne pas se découvrir une âme d’aventurier et oser le vertige ? 

Laura Plas


Urbik / Orbik, à la ville comme à l’univers d’après un roman de Lorris Murail

Texte inspiré de la vie et de l’œuvre de Philip K. Dick

Compagnie Haut et court

Site de la compagnie : www.compagnie-haut-et-court.org

Adaptation, scénographie et mise en scène : Joris Mathieu

Avec : Philippe Chareyron, Odile Ernoult, Marc Menahem, Marion Talotti, avec la participation de Vincent Hermano

Musique : Nicolas Thévenet

Lumière et scénographie : Nicolas Boudier

Création vidéo : Loïc Bontems, Siegfried Marque

Régie plateau : Rodolphe Moreira

Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris

Réservations : 01 56 08 33 88

Site du théâtre : www.lemonfort.fr

Du mardi 31 janvier au samedi 18 février 2012 à 20 h 30, relâche les dimanche et lundi

Durée : 1 h 30

25 € | 16 €

Tournée :

– le 23 février 2012 à l’Arc, scène nationale, Le Creusot

– le 2 mars 2012 à la Maison des arts de Thonon

– Les 8 et 9 mars 2012 à L’Hexagone de Meylan

– Les 19, 20, 21 mars 2012 au Théâtre Universitaire de Nantes

– Les 3, 4, 5 avril 2012 à la Comédie de Saint-Étienne

– Du 24 au 28 avril 2012 aux Subsistances à Lyon

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