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4 août 2008 1 04 /08 /août /2008 16:58

« Jeu » contre « je »

 

C’est un bonheur de se rendre aux Ateliers d’Amphoux. Ce lieu intime nous réserve un accueil chaleureux, presque familial, qui rend toute naturelle la rencontre entre spectateurs et professionnels, si chère aux festivaliers. Ils nous proposent durant le Off, aux côtés de « la Trappe » de Claude Mercadié, une autre pièce inscrite dans le contexte de la guerre d’Espagne : « Ay Carmela ! »… Une œuvre de José Sanchis Sinisterra, qui résonne comme un chant patriotique espagnol, créée en réaction à l’envahisseur français puis récupéré par les républicains pendant la guerre civile. Malgré quelques longueurs, cet « Ay Carmela ! » est une belle réussite.

 

Jouer, jouer encore et toujours. Et devant des troupes d’occupation ? Devant des prisonniers à la veille de leur exécution ? Le je, muni de sa dignité et de sa conscience politique, peut-il faire taire le jeu ? Eux n’auraient jamais dû se poser la question. Eux, Paulino et Carmela, un couple d’artistes itinérants qui promènent leurs numéros de variétés là où un public est susceptible de les accueillir, eux dont l’ambition a fait place à la résignation… Mais en pleine guerre d’Espagne, alors que la ville de Belchite, où ils se produisent, vient de passer aux mains des franquistes, ne reste qu’un seul moyen d’échapper à la mort : divertir les troupes de Franco par une soirée en l’honneur de la « libération ». Les troupes de Franco… mais également des miliciens des Brigades internationales, qui seront fusillés le lendemain.

 

Très jouée de l’autre côté des Pyrénées mais encore peu connue en France, Ay Carmela ! interroge les frontières : frontières entre le jeu et le je, entre le théâtre et la réalité, entre la vie et la mort, entre les « variétés » et l’art, entre la dignité de l’artiste et celle du citoyen… Frontières de l’écriture dramatique, aussi. Car José Sanchis Sinisterra n’hésite pas à ressusciter les morts, à utiliser une langue crue et quotidienne, ou encore à placer au cœur de la pièce un spectacle de cabaret… Tour à tour poétique et bouffon, héroïque et prosaïque, Ay Carmela ! mélange allègrement les genres, magnifiquement servi par des comédiens qui investissent avec grâce et aisance ces divers univers. Karine Badita est sublime en Carmela, et par sa seule présence invite la chaleur ardente de la vie ou la douceur glacée de la mort à s’emparer du plateau. Sébastien el-Fassi, Paulino énergique et touchant, l’accompagne avec justesse et sensibilité.

 

La sobre mise en scène de Stéphane Eichenholc laisse le plateau quasiment vide : disponible. Disponible au rêve, aux rencontres surnaturelles, à la mise en abyme. Les espaces se confondent ainsi sans crier gare : scène des Ateliers d’Amphoux, scène du spectacle joué par Paulino et Carmela, scène vide de l’après-spectacle, où Paulino retrouve Carmela revenue de l’au-delà. La proximité de la scène, où militaires franquistes et prisonniers condamnés à mort sont réunis, avec le public « réel » renforce encore l’intensité dramatique de cet Ay Carmela !

 

Seule ombre au tableau : quelques longueurs se font sentir au cours de la pièce, pourtant coupée de certains de ses passages. Elles sont toutefois vite oubliées, tant la performance des comédiens s’allie à la richesse de l’œuvre pour nous emporter dans le jeu… encore et toujours. 

 

Sarah del Pino

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


Ay Carmela !, de José Sanchis Sinisterra

Compagnie Romanizza • 22, avenue Primerose • 06000 Nice

06 62 58 55 05

Mise en scène : Stéphane Eichenholc

Avec : Karine Badita, Sébastien el-Fassi

Costumes : Solène Parietti

Création lumière : Stéphane Eichenholc

Chorégraphie : Nicolas Fleser, Angela Santa Maria

Les Ateliers d’Amphoux • 10-12, rue d’Amphoux • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 86 17 12

Du 10 juillet au 2 août 2008 à 22 h 10

Durée : 1 h 30

15 € | 10 € | 5 €

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