Le nouveau Racine est arrivé
J’avais entendu dire que « la Thébaïde » était une œuvre poussiéreuse de Racine. Ça devait donc être injouable. Bon Dieu, quel choc !
C’est ma-gni-fique ! Et, question « poussière », quoi de plus actuel que la lutte pour le pouvoir ? Comme si, de nos jours, ça ne se faisait plus ! Les partis politiques de tous bords ont, précisément, pour cette raison, perdu tout crédit auprès de leurs électeurs.
Mais revenons à Racine. C’est sa première pièce. Mais quelle maîtrise déjà dans la progression dramatique et dans l’alexandrin ! J’aime les auteurs modernes, certes, mais il est vrai aussi que je ne peux rester insensible à la magie de ce verbe, à la musique de ce vers de douze pieds. Quand on pense que Racine pondait chaque année une tragédie !
Quelle fine analyse aussi de la soif de pouvoir ! Ce vice qui, pour s’assouvir, est prêt à tout, même au meurtre. Il n’en reste pas moins que la frontière entre l’amour et la haine entre frères ennemis reste floue :
« La soif de se baigner dans le sang de leur frère
Faisait ce que jamais le sang n’avait su faire :
Par l’excès de leur haine ils semblaient réunis
Et prêts à s’égorger, ils paraissaient amis. » (Acte V, scène iii.)
Oui, Racine nous donne à voir une rareté : une haine fratricide physique, comme Zola avait réussi le prodige de nous montrer le remords physique dans Thérèse Raquin.
Mais il faut se battre, car « l’intérêt de l’État est de n’avoir qu’un roi ». Décidément, les hommes, les mâles je veux dire, ne comprennent jamais rien. Hémon, peut-être… Jocaste aura beau s’interposer, argumenter, rien n’y fera : la stupidité des hommes est infinie, et il faut bien que la tragédie s’accomplisse…
Cette première pièce de Racine est donnée – offerte, devrais-je dire – à Avignon, dans la cour du Chatelet, lieu d’une splendeur absolue. La mise en scène de Francine Eymery, assistée de Heinke Wagner, sert admirablement l’auteur. Tous les comédiens sont sans peur et sans reproche, avec un sens de la diction rare. Mais je veux en distinguer particulièrement deux d’entre eux. D’abord Jean-Pierre Girard-Créon, machiavélique à souhait et néanmoins touché par l’amour. Enfin, Juliette Uebersfeld-Antigone qui pleure, palpite, frémit… C’est une plaie en marche, qui rencontrera son couteau, bien sûr. Continuez Juliette, vous irez très loin. ¶
La Thébaïde ou les Frères ennemis, de Jean Racine
Mise en scène : Francine Eymery, assistée de Heinke Wagner
Avec : Bernard-Étienne Salva, Gilles Gelblum, Jeanne Carré, Juliette Uebersfeld, Jean-Pierre Girard, Olivier Bouana, Françoise Lorente, Jack Souvant
Scénographie : Yves Collet
Costumes : Frédérique Celle
Bande sonore : Guy Lerminier
Cour du Chatelet • rue Ferruce • Avignon
90 85 60 16
Du 10 juillet au 3 août (relâches les 14 et 26 juillet) à 22 heures
Durée : 1 h 50
70 F | 50 F