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13 juin 2010 7 13 /06 /juin /2010 21:41

« Hébron » : l’art de la guerre


Par Lise Facchin

Les Trois Coups.com


Très régulièrement, le théâtre de l’Odéon organise des lectures. « Présents composés », c’est le nom sous lequel officie ce tir croisé entre art et politique. Ce soir, c’est « Hébron », une dramaturgie en quatre actes qui vient juste d’être traduite de l’hébreu.

Quelques jours seulement après l’attaque militaire de la flottille humanitaire qui se rendait sur Gaza, la lecture d’un texte qui porte le nom d’Hébron fait frissonner. Hébron, une ville du sud de la Cisjordanie occupée, est connue pour une grande tuerie entre Israéliens et Arabes. Le nom, d’ailleurs, sonne un peu comme un glas : Hébron ! Organisée dans le cadre d’une soirée nommément pacifique, la lecture était donc supposée n’avoir aucun parti pris de violence ou de camp politique. Un défi qui n’est pas des moindres et dont l’auteur Tamir Greenberg s’acquitte, entre humour juif et poésie orientale. Comme l’éditorial du printemps de l’Odéon nous l’éructe : « La force révolutionnaire aujourd’hui est intime » *.

Deux familles. L’une est celle du gouverneur israélien d’Hébron, l’autre celle du maire, arabe. Ils sont tous deux d’âge avancé, et se respectent l’un l’autre. Mais en voulant assassiner le gouverneur, Ali, le fils du maire, abat son plus jeune enfant. Les germes de la rancœur, de la vengeance puis de la haine sont plantés et les enfants des deux familles s’entretuent en semant une violence terrible dans les sillons de la ville.

odeon thierry-depagne

Odéon-Théâtre de l’Europe

Deux « zones neutres » s’opposent : le jardin où s’entretiennent les oliviers avec « Terre nourricière » et « Jour de douceur printanière » et le check-point. Pour qui s’est rendu en Israël, le check-point est une ponctuation du paysage. Ces points de passages, qui essaiment le pays et tracent les frontières entre les trois différentes zones territoriales **, sont gardés par l’armée israélienne.

Dans la pièce de Tamir Greenberg, le check-point d’Hébron est gardé par un jeune soldat, seul, qui n’a comme contact avec le monde que son talkie-walkie, dans lequel il raconte son désarroi : « Est-ce que quelqu’un peut me dire pourquoi je suis là ? Jusqu’à quand ? Dites-moi quelque chose ! N’importe quoi ! ». Abandonné avec son règlement, il ne sait faire que l’appliquer, à tel point que lorsqu’une femme le supplie de passer pour aller à l’hôpital, son bébé mourant dans les bras, il ne sait que dire à son appareil : « Un soldat israélien en faction a-t-il le droit de pleurer ? Répondez-vite, je ne vais pas pouvoir me retenir longtemps. J’ai là une femme autochtone avec son bébé mort dans les bras. Répondez ! ». Incontestablement, il est le personnage le plus complexe, le plus profond et le plus fascinant de la pièce. Il est d’ailleurs celui qui symbolise la foi.

Jouant sur l’absurde des situations, l’innocence des enfants, et le comique de répétition (le personnage de Momo, le recycleur de pierres, qui tente de passer le check-point au moins quatre fois), Hébron est un texte troublant : profond et tragique sans pathos, drôle avec finesse, humain sans mièvrerie. La violence s’y déploie sans fard. La scène est un des lieux du sacrificiel ; elle est ce piédestal, inscrit dans l’espace et le temps sans toutefois en être l’esclave, sur lequel peuvent être présentés les moignons douloureux de notre humanité sans craindre pour autant de lustrer la douleur dans le banal. La scène rend possible ce soulagement du politique par le sacré anthropologique de l’art. 

Lise Facchin


* Olivier Py, « La politique n’est plus un fait littéraire », www.theatre-odeon.fr

** La zone C délimite les territoires appartenant à l’État d’Israël ; la zone B les territoires censés appartenir à l’Autorité palestinienne, mais qui restent sous occupation et gestion de l’armée israëlienne ; la zone A, en partie derrière le mur de clôture, les territoires dits d’autonomie palestinienne.


Hébron, de Tamir Greenberg

Traduction : Laurence Sendrowitz

Avec : Christophe Brault, Marie-Armelle Deguy, François Kergoulay, Christine Gagnieux, Julie Recoing, Thomas Blanchard, Joris Casanova, Gérald Maillet, Juliette Croizat, David Geselson, Juliette Plumecoque-Mech

Direction de lecture : François Leclère

L’Odéon-Théâtre de l’Europe • place de l’Odéon • 75006 Paris

Réservations : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.fr

De 5 € à 12 €

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