« Kawaï Hentaï » fait tomber les masques
Par Élise Ternat
Les Trois Coups.com
Le vent en poupe, Karelle Prugnaud ne cesse de faire parler d’elle. C’est aux Subsistances que nous la retrouvons avec la présentation de la dernière création de la compagnie L’Envers du décor. Fruit de son travail mené en résidence, « Kawaï Hentaï » est un spectacle hybride, à mi-chemin entre cirque et performance, qui invite un public curieux de culture japonaise à déambuler dans un univers nippon plutôt débridé.
Dans un premier moment, une « princesse canard », vêtue en mode cosplay (1), convie les spectateurs à pénétrer dans les multiples chambres de l’hôtel Otaku (2), lieu des No-life, des geeks (3). Munis de coussins bleu layette distribués à l’entrée, nous suivons notre étonnante guide dans les différentes pièces d’un univers très balisé. Au gré de cette sulfureuse expédition, le public se retrouve dans la position du voyeur, submergé par un univers fantasmatique et faussement mignon.
D’étranges personnages jalonnent ce parcours, parmi lesquels Yukihiro Suzuki, champion du Japon de Yo-Yo, exécutant ici une danse étrange à mi-chemin entre parade érotique et transe chorégraphique ; une contorsionniste, donnant à voir les tentacules d’un poulpe comme les plus étonnants fouets qui soient. On croise également Eugène Durif, très inspiré en Dr Squid. On peut s’adonner à des séances de câlins gratuits ou bien participer à un cours de para para (4). Ici, les artistes ont en commun de maîtriser parfaitement leur art. Ils donnent à voir de stupéfiants moments de cirque qui frôlent la perfection. La musique, signée Bob X, sait se faire hypnotique et malsaine, musique de backroom qui glisse vers des sonorités ludiques de jeux vidéo.
Plus qu’une mise en scène, Kawaï Hentaï offre ici un abécédaire exhaustif de la culture japonaise : univers du manga, sons du jeu vidéo, profusion de peluches, karaoké, jupes plissées et chaussettes hautes. Cette déambulation donne également à voir toute une palette des fantasmes japonais : de la culotte blanche au poulpe, créature à la portée ô combien érotique au Japon, en passant par les fameux dollers (5), dissimulés sous leur zentaï (6). Kawaï Hentaï est fidèle à l’image de cette culture nipponne où le mignon niais côtoie le trash, ici édulcoré, et le ridicule n’est jamais bien loin.
Mais à travers cette dépaysante démonstration, Karelle Prugnaud n’a pas seulement cherché à donner du fantasme à son public. Kawaï Hentaï fait tomber les masques et pas seulement ceux des poupées de la dernière salle. Cet étonnant spectacle dévoile le rêve d’une jeunesse éternelle, la frustration d’une société rigide qui compte l’expression « work hard, play hard » parmi ses adages. L’univers de Karelle Prugnaud reste fidèle à lui-même dans cette volonté d’esthétiser les choses à la perfection. Au point que la forme semble parfois dominer le propos. Par ailleurs, certains moments, heureusement rares, de la déambulation se font parfois poussifs. De Kawaï Hentaï, on retient la fraîcheur d’un défi original et osé, la portée critique d’un propos qui aime à déceler les failles enfouies dans les surfaces trop lisses. Le tout associé à une mise en scène qui sait séduire. ¶
Élise Ternat
1. Pratique consistant à jouer le rôle de personnages fictifs, voire de ses artistes de musique favoris, notamment en imitant leur costume et leur maquillage.
2. C’est une personne qui consacre la quasi-totalité de son temps à une activité d’intérieur obsessionnelle comme les mangas, « animes », et autres jeux vidéo.
3. Terme désignant une personne passionnée, voire obsédée, par un domaine précis.
4. Le para para est une danse de groupe synchronisée populaire au Japon.
5. Hommes d’une cinquantaine d’années qui, une fois rentrés chez eux, deviennent des personnages de fiction en cachant leurs visages sous des masques de poupée.
6. Un zentaï est une combinaison en Lycra donnant l’aspect d’une peau parfaite.
Kawaï Hentaï, de Karelle Prugnaud
Compagnie L’Envers du décor
Texte-dramaturgie : Eugène Durif
Mise en scène : Karelle Prugnaud
Dessins : Princesse Connard
Lumières : Jean-Louis Portail
Musique : Bob X
Costumes : Nina Benslimane
Régie générale-scénographie : Gérard Groult
Vidéo : Maximilien Dusmesnil
Avec : Yukihiro Suzuki, Gabrielle Jeru, Eugène Durif, Christophe Carasco, Sylvaine Charrier, Bob X, Julie Nicol… et des comédiens amateurs
Résidence et coproduction : Les Subsistances-Lyon
Avec le soutien de : Sirque-Pôle cirque / Nexon en Limousin, Regards et Mouvements (Pontempeyrat)
Avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication (D.R.A.C. Limousin)
Les Nouvelles Subsistances • 8 bis, quai Saint-Vincent • 69001 Lyon
Réservations : 04 78 39 10 02
5, 6, 7, 8, 9, 10 février 2010 à 19 h 30
Durée : 1 h 15 en déambulatoire
12 € | 9 € | 6 €