Veuve noire ?
Par Lison Crapanzano
Les Trois Coups.com
Écrit à la fin des années 1960, « le Baiser de la veuve », de l’auteur américain Israël Horovitz, n’est pas sans rappeler le roman « Des souris et des hommes » de John Steinbeck ou la pièce « Un tramway nommé Désir » de Tennessee Williams. Ces trois œuvres nous font ressentir en effet la férocité de la société américaine. Les personnages principaux, des laissés-pour-compte, basculent peu à peu dans la tragédie. La Cie Cavalcade nous livre brillamment la pièce d’Horovitz, dans tout son malaise, et avec toute sa violence.
Nous sommes dans un atelier de recyclage de papier, avec sa presse à papier bleu-gris et son sol où s’amoncellent des feuilles de journaux, des palettes et des cartons. Ce décor réaliste est d’autant plus efficace que les comédiens l’utiliseront comme support tout au long de la pièce. Le spectacle s’ouvre sur la musique remasterisée des Temps modernes de Charlie Chaplin alliée à un bruit métallique confus. La scène s’illumine sur deux hommes qui fabriquent des balles de papier dans une sorte de chorégraphie du travail à la chaîne. D’une part, nous avons le nerveux et violent Robert Bailey, dit « Bobby le Bélier ». D’autre part, nous avons le fragile et ingénu Georges Ferguson, dit « Georgie la Crevette » (« question matière grise, c’est pas terrible »).
Tout en travaillant et en buvant des bières, ces trentenaires évoquent leurs souvenirs communs en attendant Betty Palumbo, une amie de jeunesse, revenue au pays après treize ans d’absence. Lorsqu’elle arrive enfin, on assiste à la rencontre de deux mondes : celui, figé, des célibataires Bobby et Georgie, qui ont toujours vécu dans cette ville de l’Amérique profonde et qui ont cumulé les travaux éreintants, et celui, animé, de Betty, qui a quitté le pays, s’est mariée, a eu des enfants, a perdu son mari et fait carrière. Mais pourquoi a-t-elle décidé de les revoir ? Pourquoi cette volonté de se replonger treize ans en arrière ? Que cherche-t-elle ?
« le Baiser de la veuve » | © Olivier Gendrin
Les protagonistes racontent leurs souvenirs petit à petit : les taquineries enfantines, les surnoms donnés à leurs camarades de classe, les relations entre filles et garçons… Et puis les souffrances du passé ressurgissent. Car « c’est les tragédies qui rapprochent les gens ». Peu à peu, la tension monte. Jusqu’à évoluer vers une tragédie dans laquelle les masques vont tomber progressivement et laisser éclater la cruelle vérité. La toile de la veuve noire va ainsi se tisser dans ce huis clos, qui devient de plus en plus étouffant. La dramatisation croissante dans le jeu des acteurs parvient à nous oppresser : nous passons du rire jaune au malaise.
Les trois personnages se confrontent dans cet entrepôt, où les comptes se règlent. Les comédiens rendent parfaitement la violence du texte, tant par leurs gestes et leurs expressions faciales que par leur intonation. Delry Guyon incarne avec brio Bobby, cet homme violent torturé par un terrible secret. Quant à Stéphane Benazet, qui joue Georgie, si on peut lui reprocher d’être un peu trop caricatural dans le premier acte, on ne peut qu’applaudir son jeu dans le second acte, où il explose. Enfin, la comédienne Sylvia Bruyant, à qui l’on doit la mise en scène, est remarquable : sa vaste palette de jeu touche juste, tout comme sa voix grave qu’elle sait moduler pour révéler toute la complexité de son personnage. Le retournement final constitue l’apogée de leur prestation. Alors n’hésitez à vous perdre dans la toile de la Cie Cavalcade ! ¶
Lison Crapanzano
Le Baiser de la veuve, d’Israël Horowitz
Traduction d’Éric Kahane, éditions Théâtrales
Compagnie Cavalcade • 45, petit chemin de Pierrelaye • 95220 Herblay
Contact compagnie : 06 31 65 91 20
http://www.troupe-cavalcade.net/
Mise en scène : Sylvia Bruyant
Assistante à la mise en scène : Andrée Chantrel
Direction d’acteurs : Bruno Dairou
Avec : Stéphane Benazet, Sylvia Bruyant, Delry Guyon
Scénographie : Nicolas Lemaître
Lumières : Alexandra Ursini et Marc Cixous
Costumes : Sylvie Jeulin
Création sonore : Marc Cixous
Théâtre de l’Intervalle • 21, rue Royale • 69001 Lyon
Réservations : 04 78 76 11 96 ou 06 09 60 30 90
Du 2 au 20 juin 2010, mercredi et jeudi à 19 h 30, vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h 30, relâche les lundi et mardi
Durée : 1 h 25
14 € | 12 € | 10 €
Spectacle présenté également au Off du Festival d’Avignon
L’Isle 80 • place des Trois-Pilats • 84000 Avignon
Réservations : 04 88 07 91 68 ou 06 42 69 00 26
Du 8 au 31 juillet 2010 à 11 heures